Défense dans le monde - États-Unis : les missiles MX, déploiement en groupement serré
Alors qu’au cours de ces dernières années plusieurs dizaines de modes de déploiement possibles du MX (Missile eXperimental) avaient été proposés par les experts et que les expériences relatives à l’effet fratricide remontent déjà à une vingtaine d’années, ce n’est qu’en mars 1982 que l’idée de les associer fut rendue publique. Désigné sous le nom de Dense Pack, ce type d’installation en groupement serré figurait déjà parmi les projets de l’US Air Force (USAF), qui très vite le remit au Pentagone lorsque le Sénat exigea qu’un mode de déploiement définitif et crédible lui soit présenté.
Ardemment défendu par le général Charles A. Gabriel, chef d’état-major de l’USAF, le Dense Pack fut tout de suite considéré comme un mode des plus prometteurs, susceptible de recueillir le consensus souhaitable tant auprès du Congrès que de la population. La commission Townes, chargée d’évaluer les différentes options de déploiement du MX lui consacra un examen approfondi, sans relever de faiblesses majeures au niveau des garanties de survie offertes, au moins jusqu’au début de la prochaine décennie. Dès lors, c’est une décision parfaitement attendue qu’annonça le président Reagan au cours de son allocution du 22 novembre 1982 lorsqu’il se déclara en faveur du Closely Space Basing (CSB) – terminologie officielle de la Maison-Blanche pour le Dense Pack, mode de déploiement choisi pour les 100 missiles MX, baptisés Peacekeeper en cette circonstance.
Le déploiement MX/CSB prévu
Le déploiement prévu consiste en l’installation de 100 missiles MX dans 100 silos (ou plus exactement « capsules » selon l’appellation du Pentagone) super-durcis sur un site adjacent à Warren AFB (AFB : Air Force Base ; base aérienne de l’Armée de l’air, les bases aériennes de la Marine étant des Naval Air Stations ou NAS), près de Cheyenne, dans le Wyoming. Les « capsules » espacées les unes des autres de 600 mètres forment une colonne rectangulaire d’environ 25 kilomètres de long sur 2 km de large. Disposé en 40 rangées alternées de 2 ou 3 silos, l’ensemble est supposé offrir un degré d’invulnérabilité jusqu’ici jamais égalé à une première frappe soviétique préemptive et massive.
La faible superficie du site nécessaire rend le projet plus facile à imposer que les précédents, en réduisant notamment les contraintes environnementales et les oppositions locales. Par ailleurs la présence de 20 escadrons de 10 missiles Minuteman chacun déployés à Warren AFB devrait permettre – grâce aux infrastructures, centres de commandements et soutiens logistiques existants – de réduire l’enveloppe budgétaire de 26,4 milliards de dollars 1982 prévue pour l’installation des MX.
La garantie de survie du système CSB
C’est grâce à la conjugaison de ses trois caractéristiques essentielles : durcissement, faible espacement des silos, forme allongée du réseau implanté que le Close Space Basing garantit un pourcentage acceptable (de 50 à 80 %) de survivabilité du MX.
Le durcissement des « capsules » atteindra 5 000 psi (pound per square inch, ou livre par pouce carré) pour des explosions en surface et 200 psi/s pour des explosions aériennes. Les essais récemment conduits sur des maquettes à FE Polk par la Defense Nuclear Agency montrent que les parois de béton renforcées de barreaux d’acier, épaisses de 2,5 mètres seront dix fois plus résistantes que les silos jusqu’ici construits aux États-Unis. La destruction d’un silo nécessitera l’emploi de charges mégatonniques, ce qui réduira d’autant la capacité d’emport en têtes nucléaires des ICBM (Missile balistique intercontinental) soviétiques, les contraignant à une « démirvisation ».
Le faible espacement des silos, suffisant pour autoriser la destruction des charges assaillantes par effet fratricide mais insuffisant pour permettre à une charge unique – même de 25 mégatonnes, c’est-à-dire le maximum de puissance délivré par les engins soviétiques actuels – d’anéantir deux silos simultanément, confronte l’adversaire à un dilemme. L’importance de l’effet fratricide, rayonnements gamma, neutroniques, X et thermiques ou débris, poussières et particules qui, jusqu’à quelques milliers de mètres d’altitude, rend inopérantes les ogives arrivant après l’explosion initiale, est en effet d’autant plus accentuée que la charge est élevée. Par voie de conséquence, le durcissement des silos conduit à une destruction accélérée des têtes ennemies.
La forme en colonne très allongée du champ de MX – orientée Nord-Sud ou Est-Ouest selon la version qui sera retenue – diminue la vulnérabilité du site, en obligeant l’attaquant à des frappes consécutives, relativement espacées dans le temps afin de minimiser les effets du phénomène fratricide, laissant ainsi le temps et les moyens de la réplique puisqu’un moins 70 MX survivraient. Et si même une attaque massive et prolongée, mettant en jeu la totalité des moyens stratégiques soviétiques, SLBM (Missile mer-sol balistique stratégique) compris, essayait en délivrant un fort mégatonnage à basse altitude et en surface de détruire l’ensemble de la composante MX, un délai d’au moins sept ou huit heures serait nécessaire. L’URSS serait dès lors dépourvue de tout son arsenal de seconde frappe tandis que les États-Unis en plus des MX résiduels conserverait encore intactes ses autres forces, sous-marine et aérienne.
Les ogives arrivant sous une incidence d’une trentaine de degrés, à des vitesses de 9 000 km/h seront d’autant plus exposées et vulnérables à l’effet fratricide, tandis que les missiles MX, lancés verticalement à faible vitesse et dotés de boucliers de protection traverseront sans difficultés les espaces aériens les plus ravagés.
L’avenir du système CSB
Si le système CSB dans ses formes actuelles semble garantir l’efficacité de la composante MX jusqu’au début des années 1990, il est néanmoins certain que les percées technologiques soviétiques l’obligeront par la suite à renforcer ses capacités de survie. Les aides à la pénétration, les MARV (Manœuvrable Reentry Vehicle ou ogive de rentrée manœuvrante) à guidage terminal dotés d’une précision de quelques mètres, les systèmes de synchronisation de mise à feu de l’ordre de la microseconde sont autant de technologies que l’URSS cherchera à maîtriser.
Bien qu’il soit peu probable qu’elle y parvienne pleinement avant la fin du siècle, le traité interdisant les essais nucléaires dans l’atmosphère ne lui ayant notamment pas permis de développer une connaissance approfondie de l’effet fratricide, les États-Unis envisagent cependant d’ores et déjà diverses options additionnelles. Parmi celles-ci on retrouve l’adjonction de la Ballistic Missile Defense (système ABM – Anti Ballistic Missile – doté de 61 intercepteurs Sprint et de 39 missiles Spartan associés à 18 radars à réseau de phase), le renforcement des silos déjà super-durcis, l’enfouissement des MX à grande profondeur, et la construction de « capsules » nouvelles, 100 ou 200 ou plus, entre lesquelles circuleraient les MX (deceptive dense pack).
Selon les experts du Pentagone, ces divers perfectionnements assureraient une garantie de survie suffisante au MX, bien au-delà de l’an 2000.
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Bien des incertitudes subsistent néanmoins quant à l’adoption finale de l’option Close Space Basing. De nombreux sénateurs démocrates, mais aussi nombre de personnalités militaires ou scientifiques restent sceptiques sur l’efficacité réelle de ce nouveau mode de déploiement. On lui reproche de ne jamais avoir été testé en vraie grandeur, mais seulement à partir de données et simulations introduites dans des programmes de calcul. Pour d’autres il viole de façon flagrante les accords SALT (Traité de limitation des armes stratégiques, signés le 26 mai 1972) et pour les partisans du gel nucléaire, il relance inconsidérablement la course aux armements stratégiques, mais c’est là une tout autre question. ♦