Aéronautique - Le Bourget 1983
En 1783, quelques privilégiés assistaient à l’envol d’un ballon de tissu et papier gonflé à l’air chaud. Sans en avoir peut-être une exacte conscience, ils vivaient un moment exceptionnel de l’histoire de l’humanité. Deux siècles plus tard, du 26 mai au 5 juin 1983, au Bourget, plusieurs centaines de milliers de professionnels et de badauds ont assisté avec la même passion au 35e Salon de l’aéronautique et de l’espace.
Les choses de l’air suscitent toujours une attention soutenue et la foule qui, les deux derniers jours, a envahi les pelouses du Bourget montre bien tout l’intérêt que le profane attache à ce type de manifestation. Mais au-delà de son aspect spectaculaire, ce salon a permis de faire le point en matière de technique et de commercialisation. Il n’a cependant pas dévoilé de nouveautés majeures, hormis la navette spatiale américaine. En effet, la conjoncture économique est peu favorable aux constructeurs aéronautiques, ce qui les incite plus à améliorer les modèles existants qu’à proposer des prototypes révolutionnaires. Par ailleurs, la durée de vie opérationnelle des aéronefs en service et les délais nécessaires à l’aboutissement d’un programme déterminent un intervalle d’une vingtaine d’années entre 2 générations d’appareils. C’est pourquoi les successeurs des F-16, Tornado, Mirage 2000 ne sont encore que sur la planche à dessin ou au mieux sous forme de maquette. II n’en reste pas moins que le 35e Salon du Bourget a offert une excellente synthèse des réalisations actuelles et a permis de dégager les tendances qui se concrétiseront dans l’avenir.
L’absence des appareils soviétiques et la participation réduite des constructeurs américains ont mis en exergue la navette spatiale ainsi que les productions européennes.
Enterprise, associée au Boeing 747 porteur, a été la grande attraction de ce Salon. Le vaisseau spatial était pour la première fois présenté au public. Il s’agissait en fait d’une navette expérimentale utilisée dès 1977 dans le cadre des essais atmosphériques destinés à vérifier les qualités aérodynamiques en phase d’approche et d’atterrissage. Enterprise ne connaîtra donc jamais le vol spatial. Le programme lancé par l’administration Nixon prévoyait aussi la construction de 5 appareils opérationnels. Columbia et Challenger ont déjà volé avec le succès que l’on sait. Discoverer et Atlantis suivront durant les 2 prochaines années ; quant au dernier exemplaire, sa réalisation n’est toujours pas lancée. Malgré quelques retards, le programme américain d’exploration et d’exploitation de l’espace par un véhicule réutilisable est sans conteste un grand succès.
Par ailleurs, et pour en terminer avec les productions américaines les plus marquantes, nous citerons le F-20 et le QSRA (Quiet short-haul research aircraft). Équipé d’un réacteur General Electric F-404, l’intercepteur F-20 de la compagnie Northrop est dérivé de la famille des F-5 construits à plus de 1 500 exemplaires. Il tend à réaliser un compromis entre l’efficacité opérationnelle et un prix d’achat et d’entretien raisonnables. Son avenir reste cependant incertain : un seul prototype est actuellement construit et les commandes se font attendre. De plus, ce créneau du marché est convoité par d’autres constructeurs, en particulier par Dassault qui présentait le Mirage NG dont nous reparlerons plus loin. Quant au QSRA, il s’agit d’un avion expérimental financé par la NASA (National Aeronautics and Space Administration). Il a pour but d’étudier les conditions de mise en œuvre d’un avion de transport futur dans les zones très urbanisées. Équipé de quatre réacteurs soufflant l’extrados de l’aile, de systèmes hypersustentateurs de bord de fuite très élaborés, il offre d’excellentes qualités de vol à basse vitesse démontrées lors des présentations. Par ailleurs, son silence de fonctionnement est remarquable. Enfin, l’agencement de sa cabine de pilotage dotée de systèmes très évolués offre un intérêt indiscutable. En résumé, cet appareil discret et peu spectaculaire nous a semblé faire une bonne synthèse des tendances actuelles qui visent à construire des avions à grande plage de vitesse permettant de limiter les sujétions découlant de l’utilisation de grandes plates-formes éloignées des centres urbains. Les techniques expérimentées par ce programme auront certainement des applications civiles et militaires dans les 20 années à venir.
Mais, comme nous l’avons souligné plus haut, en l’absence des grandes firmes américaines telles que General Dynamics, Mac Donnell Douglas ou Lockheed, l’attention s’est naturellement portée sur les réalisations européennes. Les constructeurs français en particulier, ont été très actifs et nous accorderons une place privilégiée à leurs réalisations tant au plan national que dans le cadre de la coopération.
L’Aérospatiale tout d’abord a confirmé sa position enviée dans le domaine des hélicoptères. Super-Puma, Dauphin, Écureuil ont un succès indiscutable sur un marché pourtant déprimé. En effet, les ventes civiles, en pleine expansion jusqu’en 1981, connaissent une récession sensible qui se traduit par des difficultés grandissantes pour obtenir des commandes nouvelles. Comme parallèlement les ventes militaires ont tendance à stagner, c’est l’ensemble des plans de charge qui subit un ralentissement. Mais ce phénomène qui touche tous les constructeurs d’hélicoptères civils ou militaires, n’a pas empêché l’Aérospatiale de livrer le 1000e Écureuil durant le Salon. Par ailleurs, l’amélioration permanente des modèles actuellement produits – motorisation accrue, aptitude au vol tout temps, diversification permettant de répondre aux besoins spécifiques de l’utilisateur potentiel – met l’Aérospatiale en excellente posture pour profiter d’une prochaine reprise des ventes.
Quant à la famille Airbus, fruit d’une exemplaire coopération, elle s’est enrichie récemment du A310 concurrent du Boeing 767. La gamme pourrait d’ailleurs, avec le 150 places A320, connaître d’ici quelques années une nouvelle extension.
Chez le constructeur Dassault-Breguet, nous avons tout d’abord noté la maquette de l’ACX. Il s’agit d’un appareil expérimental dont le premier vol pourrait intervenir en 1986. Biréacteur, monodérive, doté d’une aile delta et d’un empennage canard, il intégrera toutes les technologies nouvelles dont il fera une synthèse au profit d’un avion de combat futur. La présence proche de la maquette de l’appareil britannique ACA permettait d’ailleurs d’intéressantes comparaisons !
Outre l’ACX, Dassault-Breguet a présenté la série des Falcon et annoncé le développement du modèle 900 qui complétera la gamme vers le haut.
Enfin, la production déjà très complète des avions de combat Dassault-Breguet s’est enrichie du Mirage III NG qui intègre dans une cellule aux qualités éprouvées des solutions récentes mises au point grâce à l’expérience acquise sur les Mirage 2000. Cet appareil pourrait connaître le succès à l’exportation.
Chez les motoristes français, la Snecma proposait le M53 dont le modèle P2 vient d’être commandé par l’Armée de l’air, le CFM56, réacteur franco-américain qui équipe nos DC-8 militaires, et le M88 qui poursuit son développement et pourrait propulser les avions de combat de la prochaine décennie. Turbomeca, qui a fabriqué près de 1 000 moteurs en 1982, poursuit son expansion en particulier grâce aux programmes menés en coopération avec les fabricants allemands, anglais et américains. Sa gamme s’élargit et vise maintenant avec le RTM322 des puissances pouvant aller jusqu’à 3 000 chevaux. Par ailleurs, l’Arriel et le Makila poursuivent sur les hélicoptères de l’aérospatiale une carrière très satisfaisante. Microturbo, enfin, confirme les ambitions dans le domaine de la petite turbine adaptable aux avions légers, aux missiles, aux avions cibles ou de reconnaissance télépilotés.
En ce qui concerne les missiles sol-air, les fabricants français proposaient les différentes versions du Crotale, ainsi que du SATCP (Sol-air très courte portée), ce dernier devant être livré à l’armée française dès 1986. Cet engin léger, guidé par un auto-directeur infrarouge et caractérisé par une mise en œuvre simple, se prêtera sans doute à de multiples utilisations telles que la défense des bases aériennes ou la couverture rapprochée des forces de l’avant ou des navires de combat.
Dans le domaine des missiles anti-navire, l’Exocet et l’AS 15 aux performances plus limitées, ont attiré l’attention d’un public sensibilisé par le déroulement du dernier conflit des Malouines.
Au bilan, on doit donc souligner la remarquable prestation des exposants français qui témoigne de la vitalité de notre industrie aéronautique, présente sur la plupart des créneaux civils et militaires, et qui en 1982 a exporté pour 45 Mds de Francs.
Dans le cadre restreint de notre chronique il n’est évidemment pas possible de passer en revue l’ensemble des matériels et équipements exposés. Du train spatial soviétique aux fabrications plus modestes mais essentielles des nombreuses firmes spécialisées, françaises ou étrangères, nous avons donc volontairement limité notre propos qui, à vouloir être exhaustif en serait vite devenu lassant.
Pour conclure, nous dirons donc que ce 35e Salon a été un immense succès populaire qui a confirmé l’engouement de nos concitoyens pour les activités aéronautiques et spatiales. S’il n’a pas révélé de nouveautés déterminantes pour l’avenir proche, il a cependant prouvé que, grâce à l’ultra léger motorisé, aussi bien qu’à la navette spatiale, l’extraordinaire aventure de l’air commencée il y a 2 siècles par Pilâtre De Rosier et le marquis d’Arlandes restait d’une actualité toujours renouvelée. ♦