Afrique - Libye : risques calculés ou va-tout ? - Tchad : un nouvel appel au secours
L’événement attendu est arrivé. Après un voyage en Arabie saoudite, suivi par une visite au roi du Maroc, ces deux démarches de bonne volonté étant destinées à montrer au monde que la Nation arabe pouvait rester unie en dépit de la diversité des régimes qui la gouvernent et des idéologies qui l’animent, le colonel Kadhafi a voulu relever l’affront infligé par l’Organisation de l’unité africaine (OUA). L’opération visant à restaurer le pouvoir du Gouvernement d’union nationale (Gunt) et de son chef, Goukouni Oueddei, à N’Djamena devait, semble-t-il, se dérouler avant ou, à la rigueur, pendant le « Sommet » de l’OUA, tenu à Addis Abeba en juin 1983 ; elle aurait permis au président libyen de disposer d’une monnaie d’échange pour faire admettre la République arabe Sahraouie démocratique (RASD) comme membre à part entière de l’organisation africaine. Pour une raison difficile à déterminer, elle ne fut déclenchée qu’après la réunion des chefs d’État, après le mois de jeûne et, comme nous l’avons dit, après que le chef de la Jamahirya libyenne, propagandiste d’une nouvelle idéologie démocratique, eut voulu rassurer les autorités arabes plus traditionnelles sur le sort qu’il entendait réserver aux affaires du Maghreb et du Proche-Orient, du moins dans un avenir immédiat. L’opération, en quelque sorte « rédemptrice », a donc eu lieu mais à une date qui ne paraît pas avoir été vraiment celle choisie par le colonel Kadhafi : son déclenchement en plein été a surpris mais sa nature n’a pas étonné. Le retard lui enlève cependant le caractère qu’on voulait initialement lui donner : permettre à la Libye de négocier l’admission de la RASD à l’OUA. Il oblige les observateurs à rechercher quels peuvent bien être les nouveaux objectifs poursuivis par le colonel Kadhafi lui-même sinon par tout son gouvernement.
Il semble que le Libyen ait voulu en premier lieu restaurer à N’Djamena un pouvoir qu’il avait soutenu militairement et qu’il avait dû abandonner pour faire un geste de conciliation ; il estimait alors qu’en réponse à ce geste, l’Afrique continuerait à considérer ce pouvoir comme légitime. Le succès d’Hissène Habré et la reconnaissance de son gouvernement par l’OUA ne pouvaient donc être regardés que comme un camouflet réclamant une réparation. D’une manière plus générale d’ailleurs, le Libyen entendait faire usage de la force afin de montrer l’efficacité de son « coup de poing déstabilisateur » et de prouver aux petits États du Sahel et de l’Afrique Occidentale que le soutien du régime en place, à supposer même qu’il s’agît d’appliquer des traités existants, n’allait pas sans poser de graves problèmes au monde occidental. Il espérait ainsi compenser, par une démonstration militaire évidente sinon avouée, les échecs récents de sa diplomatie. Il semble même que cette tentative de revanche, ou plutôt de diversion, ait été rendue nécessaire par un certain climat de désenchantement dont quelques indices ont été remarquées au sein de l’armée libyenne.
L’offensive se déroula en deux temps : d’abord les forces de Goukouni Oueddei seules amorcèrent une descente vers le Sud : plus tard, devant la résistance de l’armée tchadienne, le soutien libyen fut mis en place graduellement, en manière de défi à l’égard des États africains ou autres qui n’apprécient pas les thèses et les méthodes du gouvernement de Tripoli. Avec des moyens modernes, cette ruée à travers le désert n’est pas sans rappeler les chevauchées sénoussistes qui s’abritèrent autrefois « sous l’étendard vert ».
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