Défense dans le monde - Point de situation à Chypre
Située à 65 kilomètres au sud de la Turquie et à une centaine du Moyen-Orient, Chypre occupe une situation géostratégique privilégiée qui a souvent excité les convoitises des pays dominants en Méditerranée. 658 000 habitants peuplent l’île dont 150 000 Turcs (22 % de la population) qui occupent, depuis 1974, 40 % du territoire.
La proclamation, le 15 novembre 1983, de la République turque de Chypre du Nord par M. Rauf Denktash (dirigeant de cette République de 1976 à 2005), leader de cette communauté, a rappelé l’actualité du problème chypriote. Cette partition de fait de Chypre se traduit, sur le terrain, par une situation politico-militaire bloquée.
Un processus déjà ancien
La tension actuelle n’est que l’aboutissement d’un processus déjà ancien et l’île de Chypre a subi de nombreuses ingérences étrangères. Ottomane depuis 1571, elle passe sous le contrôle du Royaume-Uni en 1878 en échange d’un soutien britannique à la Turquie contre la Russie. En 1915, la Grande-Bretagne propose Chypre à la Grèce pour prix de son entrée en guerre aux côtés des alliés. L’offre est déclinée et l’île est donc annexée à la couronne britannique, ce que contestera pendant des décennies la population chypriote. Le maintien sur place, depuis 4 siècles, des descendants des anciens maîtres turcs, formant le 5e de la population, portait déjà en germe les drames ultérieurs.
La décolonisation de Chypre en 1960 (Accord anglo-gréco-turc), obtenue à l’issue d’une cruelle guérilla antibritannique menée par les nationalistes chypriotes grecs partisans de l’Enosis (rattachement de Chypre à la Grèce), n’a résolu aucun des problèmes de fond. En effet, les 3 capitales, en imposant leur tutelle et un carcan institutionnel inadapté à la nouvelle république, ne faisaient que déplacer les tensions.
L’évolution tourmentée de la situation depuis 1960 ne fut donc qu’une suite logique de ce vice initial : tentative unilatérale de Monseigneur Makarios (le président de la République de Chypre) de changer l’ordre constitutionnel en voulant restreindre le nombre de postes attribués par la loi aux Chypriotes turcs (1963), refusée par la communauté turque ; omniprésence pendant les années 1960 du thème de l’Enosis ; violences grecques contre la communauté turque (Noël 1963) ; envoi d’une force des Nations unies dans l’île (1964).
Le point culminant de l’affrontement indirect entre Athènes et Ankara se situe en 1974. Pour répondre à une tentative de déstabilisation menée par le gouvernement militaire grec, les Turcs envahissent une partie de l’île. Le dernier avatar a eu lieu en novembre 1983 : M. Rauf Denktash, en proclamant unilatéralement l’indépendance de la partie occupée par les Chypriotes turcs, vise à faire reconnaître par la Communauté internationale la partition de fait de l’île.
La situation actuelle
Sur le terrain, la situation politico-militaire semble bloquée. Chypre est traversée par une ligne de démarcation tracée par l’ONU et jalonnée d’un contingent international de 2 450 hommes. De part et d’autre de celle-ci, les forces militaires sont les suivantes.
Au Nord, les forces turques appelées « Forces de maintien de la paix à Chypre » comptent 18 000 hommes répartis en deux divisions disposant de 150 blindés et de 80 pièces d’artillerie. Compte tenu de la proximité du territoire turc (100 km), un appui aérien pourrait leur être fourni. En outre, l’administration de M. Rauf Denktash a constitué des « Forces armées chypriotes turques » fortes de 6 000 hommes.
Au Sud, le contingent national grec (ELDYK) représente un groupement d’infanterie de quelque 2 000 hommes. De plus, la Garde nationale chypriote grecque rassemble 8 000 hommes dont l’équipement est en cours de modernisation.
Les forces britanniques, quant à elles, sont stationnées dans deux bases placées sous la souveraineté du Royaume-Uni. La base aérienne d’Akrotiri, près de Limassol, est occupée par la Royal Air Force et celle de Dekhela, près de Famagouste, par l’armée de terre.
Tant par la supériorité numérique et matérielle de ses forces dans l’île, que par la proximité de son aviation basée sur le continent, Ankara dispose, actuellement, d’un rapport de force très favorable que la Grèce n’a pas la possibilité d’inverser.
Pour les États-Unis, le statu quo actuel est un moindre mal. Si la discorde gréco-turque affaiblit le flanc Sud de l’Alliance, il importe surtout qu’aucun conflit ouvert n’éclate entre alliés.
L’avenir
Un conflit armé entre la Grèce et la Turquie semble être à exclure à court et moyen terme.
La République chypriote créée en 1960 était une fiction que les événements récents viennent à nouveau de démontrer.
L’exode des populations, amorcé en 1974 et poursuivi actuellement, consacre dans les faits, à défaut du droit, la partition de l’île. Cette situation ne sera pas réversible sans nouveau drame. ♦