L'intervention terrestre dans la guerre aéro-navale
La Revue de Défense nationale publiait récemment, sur la guerre aéro-navale, deux études d’inspiration opposée signées d’un marin et d’un aviateur (1). Peut-être n’est-il pas inutile d’en présenter une autre, où l’on essaiera de préciser la part qui revient à ce troisième partenaire de la « triphibious strategy » l’armée de terre. Il faut bien reconnaître que dans les dernières opérations où elle vient de se trouver aux prises avec la marine et l’aviation, son rôle n’a pas été très brillant. La défense des côtes était jusqu’ici une mission de tout repos. Les dernières tentatives, de forcement et de débarquement, celles de 1915 aux Dardanelles et dans la presqu’île de Gallipoli, avaient prouvé qu’un vieux canon derrière une crête ou une mitrailleuse dans un trou d’homme tenaient en échec les plus puissantes offensives venant du large. Les premières interventions de l’avion dans ce domaine n’avaient pas été très concluantes.
En Norvège, la surprise venant à l’aide d’une énorme supériorité matérielle, le débarquement avait réussi. Mais lorsque Hitler, maître des rives continentales du Pas-de-Calais, voulut tâter la défense britannique, la réaction fut toute différente. L’infériorité navale allemande n’était certainement pas en cause ; la « Home Fleet » naviguait ailleurs qu’entre Douvres et Folkestone. La supériorité de la « Luftwaffe », qui venait de prendre la part que l’on sait à la bataille de France, était indiscutable ; mais elle cessait dès qu’on franchissait les côtes de l’adversaire, tout comme celle des canons de la Queen-Elizabeth accompagnant les vagues d’assaut alliées dans Gallipoli. Du haut des falaises du Kent, quelques soldats rescapés de Dunkerque et quelques civils porteurs d’un brassard, appuyés sur leurs vieux fusils, narguaient le plus puissant rassemblement de forces militaires qui se fût jamais préparé à l’invasion des Îles Britanniques. L’affaire de Crête prouva que cet optimisme n’était guère justifié, et que la supériorité navale n’était pas de grand poids pour arrêter un débarquement, si elle ne se doublait pas d’une supériorité aérienne. La guerre en Extrême-Orient, à l’époque où les navires et les avions japonais étendaient en quelques mois leur domination des Philippines à la Nouvelle-Guinée, prouvait l’extrême facilité de ces opérations lorsque la maîtrise navale et aérienne était réunie entre les mêmes mains. Cependant, en mer Égée comme dans le Pacifique, on essayait d’expliquer les échecs alliés par des fautes assurément graves : la défense des aérodromes contre les débarquements aériens n’était pas organisée, Singapour n’était aménagé que pour repousser les attaques de l’ennemi flottant, les possibilités d’arrêt de la jungle malaise avaient été surestimées… Le succès des débarquements alliés, en Europe comme en Extrême-Orient, prouva que ces explications fragmentaires ne convenaient pas. Le plus souvent, la surprise ne jouait pas ; les effectifs réunis en Sicile ou aux Philippines montrent que la défense avait parfaitement apprécié le point d’application probable d’une opération longuement, préparée de part et d’autre. Les fortifications côtières avaient presque toujours été organisées avec un luxe de moyens auquel on n’était guère habitué. Le mur de l’Atlantique, les îles d’Okinawa ou d’Iwojima valaient la meilleure des lignes fortifiées de 1939. Mais les gros projectiles d’artillerie et les bombes d’avions bouleversaient les défenses les mieux établies ; les tirs de barrage des navires et les bombes-fusées des avions d’assaut arrêtaient les contre-attaques de chars les plus résolues. Jamais, faute de pouvoir leur opposer des moyens semblables, le défenseur ne s’était senti plus impuissant devant les feux venant du large ou du ciel.
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