L'indépendance agricole de la France
Dans le cadre d’une revue spécialement consacrée à la Défense nationale, l’examen du problème agricole français doit être envisagé sous un angle spécial qui, au demeurant, n’est autre que celui du véritable intérêt national. Il est évident que la question se présenterait sous un aspect assez différent si on la considérait soit du point de vue des producteurs — qui ont le légitime souci d’améliorer leur situation — soit du point de vue des consommateurs, qui ont le désir non moins compréhensible d’être ravitaillés le mieux possible et aux moindres frais. En élevant le débat au-dessus des seuls producteurs ou des seuls consommateurs, on parvient au stade de l’économie nationale proprement dite, où les intérêts particuliers, et apparemment opposés, doivent être conciliés en fonction d’une solution optima, dans le cadre intérieur des frontières. Il semble bien alors que la vocation agricole de la France soit, d’une part, de nourrir les Français et, d’autre part, de donner aux agriculteurs un niveau de vie leur permettant d’être des clients suffisants du commerce et de l’industrie. Mais, si l’on veut bien encore franchir un nouveau degré dans l’échelle des intérêts, on s’aperçoit qu’il convient de songer moins directement aux Français en tant qu’individus ou classes professionnelles, qu’à la France elle-même. Cela signifie qu’il faut, avant et au-dessus toutes autres considérations, chercher l’intérêt profond de la Nation prise comme unité internationale. Il ne s’agit de rien d’autre, en la matière, que de l’indépendance agricole, aussi parfaite que possible, de la France vis-à-vis de l’étranger.
Les raisons qui militent en faveur d’une telle position ont leur justification dans les difficultés d’une situation trop proche de nous pour que nous l’ayons oubliée. Depuis le Blocus napoléonien, nous n’avions jamais si cruellement souffert de nos insuffisances économiques, et il est nécessaire qu’à la veille d’une nouvelle orientation de notre économie, nous ne cessions d’avoir présentes à l’esprit les leçons d’un passé récent. Cette conception du problème est particulièrement importante non seulement en soi, comme il est facile de l’imaginer, mais aussi, et surtout sans doute, par son caractère de pressante opportunité. L’actualité de la question, en effet, tient à un double fait : premièrement, pour des raisons économiques, sociales et démographiques, nous ne pouvons pas attendre davantage pour réviser complètement nos méthodes agricoles ; deuxièmement, nous allons être — nous le sommes déjà — très vivement sollicités par des puissances étrangères pour aménager notre agriculture suivant des principes dont l’application, si nous les suivions, serviraient beaucoup plus leurs intérêts que les nôtres. Il est donc temps de savoir ce que nous voulons, de savoir ce que nous devons vouloir. La France commande et elle exige son indépendance alimentaire, dans la plus large mesure possible.
L’autarcie ? Nous n’aimons pas beaucoup ce mot qui rappelle trop de pénibles souvenirs et qui, en outre, semble impliquer une volonté d’isolement peu souhaitable dans un monde où les courants pacifiques, il faut l’espérer, finiront bien un jour par s’établir. Mais pas plus que « l’entraînement militaire obligatoire » aux États-Unis — euphémisme à peine voilé — ne signifie l’adhésion définitive des U. S. A. à la formule de la paix armée, pas davantage l’organisation délibérée de l’indépendance alimentaire de la France ne signifierait sa décision irrévocable de vivre à l’écart de tous, en admettant même que ce fût réalisable, à l’intérieur de ses barrières douanières.
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