La pierre et le vent, fortifications et marine en Occident
C’est une gageure de rassembler dans le même ouvrage ce qu’il y a de plus statique dans le monde militaire, la fortification, et ce qu’il y a de plus mobile, la Marine. Alain Guillerm justifie ce choix par une étude stratégique où il montre que les deux sont « centrales dans la manière dont la cité construit son espace, l’espace de la guerre ». Ici la fortification n’est par un limes mais un oppidum dont la forme moderne serait la dissuasion nucléaire.
Le livre traite ensuite de la marine des galères depuis les Grecs et les Phéniciens. Pour un marin, il est surprenant de voir y rattacher les navires des Anglais et des Portugais du XVIe siècle, vaisseaux « ronds » dont la propulsion principale, sinon unique, était la voile. La thèse qui veut détruire le mythe des « petits navires » n’en est pas moins exacte : Drake et Effingham, malgré la légende, ont fait fort peu de mal à l’Invincible Armada. La galéasse était un monstre comme tous les hybrides, mais le vaisseau de ligne du XVIIe siècle semble devoir plus au navire de commerce armé en guerre des « Cinque Ports ».
Deux chapitres sont consacrés aux châteaux-forts et aux forteresses. Ainsi la fonction militaire « a fusionné avec la fonction palatine, jamais l’habitat et la défense n’ont connu une pareille synthèse ». Charles V mène une grande politique « castrale et territoriale ». Puis la tour doit s’adapter au canon et la fortification moderne ne peut plus être exécutée que par l’État et Richelieu supprime les châteaux-forts inutiles.
Le chapitre V revient à la marine pour décrire l’ère du vaisseau. Vauban croit en la fortification et à la défense côtière mais aussi en la guerre de course. C’est la mort de notre commerce maritime. Choiseul reconstitue la marine de guerre après la guerre de Sept ans et elle gagnera la guerre de l’indépendance de l’Amérique. Le chapitre suivant étudie l’histoire maritime au XIXe et au XXe siècles, avec quelques mots sur les fortifications côtières aux États-Unis et sur la fin des fortifications permanentes avec la ligne Maginot. Malheureusement ce chapitre est émaillé d’erreurs de détail dont la moindre n’est pas de prétendre que les croiseurs de bataille britanniques n’avaient pas de protection (ils en avaient une mais défectueuse). La description de la bataille du Jutland comporte aussi des erreurs car il n’y a pas eu de fuite « éperdue » de la flotte allemande vers l’Elbe et la Weser ni de poursuite de nuit. Jellicoe a perdu le contact au crépuscule et il a été fort mal renseigné par ses bâtiments légers qui ont rencontré la Hochsee Flotte dans l’obscurité. Il est toujours risqué de se fonder sur les comptes rendus d’un seul parti, en l’occurrence le récit de von Hase.
En forme de conclusion. Alain Guillerm étudie rapidement la dissuasion qu’il compare aux remparts de la cité. Pour lui le sous-marin nucléaire lanceur d’engins ne fait pas partie de ce qu’il appelle le « Sea Power » (ce qui ne veut pas dire « maîtrise de la mer » mais la puissance d’un État). Sa véritable conclusion tient en quelques mots : la valeur des forces armées ne tient pas seulement à leur matériel mais à la volonté politique qui les anime. C’est en tout cas ce qu’il a voulu dire et ainsi se termine cet ouvrage très vivant mais qui n’est pas, du point de vue du marin, sans certaines faiblesses. Il est toujours délicat d’écrire de mémoire.