Afrique - Afrique australe : fin des ambiguïtés ? - Gestes et paroles du président Houphouët-Boigny (Côte d'Ivoire)
Afrique australe : fin des ambiguïtés ?
Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, comme nous avons pu le constater déjà, la situation intérieure de la République sud-africaine s’est spectaculairement dégradée. Dans les villes noires notamment, les désordres provoquent des répressions policières, dont la violence accroît le nombre des victimes, et les deuils entraînent de nouveaux désordres. L’opinion occidentale qui, auparavant, ne s’alarmait guère de l’immobilisme de Pretoria, ne semble avoir découvert la nocivité du problème que pose le régime sud-africain que depuis que celui-ci a lui-même pris conscience de son isolement et qu’il cherche à établir les bases d’une évolution vers un multiracisme susceptible d’être agréé par tous. L’opinion occidentale devient maintenant exigeante et considère que la bonne volonté des Blancs ne sera démontrée que lorsque ceux-ci auront accepté de renoncer à l’émancipation des bantoustans et qu’ils auront étendu le suffrage universel à toutes les communautés ; autrement dit, elle ne se contente plus d’une évolution, mais elle réclame une réforme immédiate et totale des mœurs et des institutions. Ses pressions excessives ont placé M. Botha, élu d’une communauté minoritaire et soutenu par une faible fraction des métis et des Indiens, dans une situation qui l’a contraint à user d’une dialectique subtile. Le président sud-africain devait laisser croire à ses électeurs qu’il manœuvrait pour conserver leurs privilèges tout en progressant dans la direction réformiste, recommandée par les plus modérés des Occidentaux. Cette attitude a renforcé la méfiance de l’opinion internationale, également celle des autres clans sud-africains, opinions qui se sont radicalisées des deux côtés. Cela renforce l’opposition des plus extrémistes du Parti national à toute évolution et, par conséquent, cela justifie le recours à la violence des uns comme des autres. En période de crise, l’ambiguïté n’est pas payante, mais peut-on l’éviter ?
Les pays de la ligne de front sont également obligés de mener une politique louvoyante : ils alternent déclarations ambiguës à l’égard du problème sud-africain et accords avec Pretoria, accords jugés anormaux par les États qui n’ont pas à subir les contraintes économiques et politiques d’un pouvoir dont les ressources sont sans commune mesure avec les leurs. Zimbabwe, Mozambique, Botswana. Zambie appartiennent à un ensemble économique que la Grande-Bretagne a voulu dépendant d’une Afrique du Sud où elle pensait être profondément enracinée et où, d’ailleurs, elle entretient toujours des liens affectifs, industriels et commerciaux qui restent tangibles malgré les bouderies. Le Malawi (ex-Nyassaland) fait partie du même ensemble mais, sans doute parce que les ressources les plus concrètes de sa population dépendent d’un emploi régulier dans les mines sud-africaines, son gouvernement n’a jamais voulu rompre avec Pretoria ; il préfère être excommunié par les autres États africains qui le considèrent comme une sorte de protectorat du « pays de l’apartheid » et qui, du reste, n’ont pas besoin de lui. De son côté, l’Angola n’a pas les mêmes raisons que les États de l’Est du continent d’adopter, à l’égard de l’Afrique du Sud, une attitude ambiguë. Ses condamnations verbales sont d’autant plus nettes et sans appel qu’elle est l’objet des agressions périodiques de l’aviation et de l’armée sud-africaines. Elle peut reprocher également à son puissant voisin d’aider la rébellion de l’UNITA (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola), c’est-à-dire de favoriser les révoltes d’une partie des campagnes contre le pouvoir du MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola), lequel s’appuie davantage sur les populations extra-coutumières des villes que sur la paysannerie des ethnies. Toutefois, bien que n’étant pas soumise à une dépendance économique, elle est contrainte de maintenir des relations plus ou moins directes avec le gouvernement sud-africain en raison de la faiblesse même de son autorité, celle-ci s’appuyant davantage sur l’effet dissuasif des forces armées cubaines que sur le consensus spontané des masses. L’Occident, parce qu’il cherche à contrebalancer, en Angola, l’influence soviétique, s’est accommodé jusqu’ici de cette forme paradoxale de gouvernement : pouvoir assuré, comme à l’époque coloniale, par une force étrangère, sous le prétexte que, sans parti et idéologie imposés, aucune détribalisation n’étant possible, une nation ne pourra se constituer et que le chaos prévaudra. La Tanzanie est le seul État de la ligne de front à n’être pas astreint à des acrobaties verbales. Toutefois, M. Nyerere, quand il fut président en exercice de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) durant l’année 1984, bien qu’il se fût promis de reconstituer une ligne de front agressive, ne parvint pas à faire disparaître, dans les propos de ses collègues, les prises de position ambiguës.
Il reste 81 % de l'article à lire