Ces débats ont consisté en quelques sujets d’importance et, par ailleurs, en un grand nombre de questions et réponses ponctuelles qu’il n’est pas aisé de détailler. D’autre part, le président du Comité d’études de défense nationale a insisté pour que les échanges évitent de placer les officiers étrangers invités dans des situations délicates à l’égard de la politique de leur pays.
Les débats
Problèmes de frontières et de zones
• Litige sur la limite des zones maritimes entre Norvège et URSS. Une carte, extraite d’un article du capitaine de vaisseau Strömbäck publié dans la Revue Défense Nationale en août-septembre 1983, montre bien une zone hachurée qui est l’objet de contestations entre les Norvégiens et les Soviétiques, les premiers réclamant le droit à une ligne équidistante entre le Spitzberg qui leur appartient d’après le traité de 1920, et les Soviétiques s’en tenant à une ligne droite à partir de la presqu’île de Kola et la Norvège. Cette zone correspond aux 150 000 kilomètres carrés dont on a parlé.
• En ce qui concerne les violations, soit maritimes soit aériennes, commises par l’Union soviétique, j’ai retenu le chiffre de 2 000 et cette estimation avancée par les Américains me paraît considérable.
En ce qui concerne la Suède le chiffre fourni à l’instant est très nettement supérieur à la réalité : nous ne comptons que quelques dizaines de violations effectives. Et si on compte celles dues à l’Otan, elles sont plus nombreuses que celles des Soviétiques, mais il est vrai qu’elles sont non volontaires.
Il nous est impossible d’intervenir militairement contre les sous-marins qui pénètrent dans nos eaux territoriales. Nous cherchons à les détecter et nous nous préparons pour la guerre en affinant nos actions de renseignement et nos exercices anti-sous-marins. Il y aurait peut-être une action politique à mener, mais laquelle ?
Norvège. Le nombre des violations aériennes est certainement très inférieur à celui qui a été cité. De toute façon, ces actions ne présentent pas de graves difficultés. Le problème reste celui des violations faites par des sous-marins. Et la question pour la marine n’est pas de chasser l’intrus, elle sait très bien comment s’y prendre, mais elle n’a pas le droit de l’exterminer. De ce fait la marine norvégienne se trouve dans une situation assez peu confortable ; ce qui ne veut pas dire que notre marine ait perdu son efficacité.
Problèmes d’alliances
• Parler de la chasse aux sous-marins est certes important, mais assez technique. Or, on n’a pas parlé des alliances ni des relations en leur sein, pas plus que de la menace et du type de cette menace. Si nous prenons le cas du Danemark, les forces armées danoises sont obligées, en cas de conflit, de donner une grande partie de leur aviation au théâtre central en Allemagne fédérale. Qu’en est-il de la Norvège ? Voici deux pays faisant partie de l’Alliance et qui doivent se conformer aux décisions de cette alliance tandis que la Suède et la Finlande appartiennent à un autre ensemble. Quelle peut être leur position en cas de crise ou d’un conflit ouvert ?
Danemark. Je ne vois pas à quoi se réfère cette utilisation de l’aviation danoise en Centre-Europe. Il existe un commandement qui regroupe la presqu’île du Danemark, le Schleswig-Hosltein, la mer Baltique et, bien entendu, les approches directes dans le Skagerrak. Dans cette zone, l’aviation danoise est appelée à opérer, renforcée par tout ou partie de l’aviation navale allemande et aussi, comme nous l’avons demandé, d’une centaine d’avions en provenance des États-Unis. Il est donc absolument exclu d’engager des forces danoises en Centre-Europe ou en tout autre endroit.
La Finlande
• Je suis conseiller de l’ambassade de Finlande. Je pense qu’il me faut préciser certains points. Il a été dit que les Finlandais n’aimaient pas être appelés Scandinaves : en effet, nous ne le sommes pas. La Scandinavie est un concept géographique comprenant la Suède, la Norvège et le Danemark. Lorsqu’on parle de la Finlande, on dit la Fennoscandie. Entre nous, lorsque nous traitons de notre coopération ou de nos échanges, nous spécifions pays nordiques.
En ce qui concerne l’évolution militaire et stratégique de l’après-guerre dans la région, il faut évoquer l’évacuation de la base militaire de Porkkala en 1955 : elle avait dû être cédée par la Finlande à l’URSS ; il y avait un contrat de location de vingt ans, mais l’Union soviétique a décidé de l’évacuer en 1955 par suite de l’action diplomatique des autorités d’Helsinki. Il est évident que ce retrait n’aurait pas été possible si Moscou n’avait pas eu confiance dans la politique de la Finlande.
À propos des relations des pays nordiques avec la CEE, le cas de la Suède, de la Norvège et du Danemark a été mentionné, mais pas celui de la Finlande. Lorsque la Communauté s’est élargie en 1979, la Suède et la Finlande se sont trouvées devant un problème : comment assurer la poursuite de leurs exportations ? La Finlande a opté pour une solution identique à celle des autres pays neutres : un accord de libre-échange apportant des garanties au commerce finlandais. En cela la Finlande s’est rangée à la solution des Autrichiens ou des Suisses.
• En ce qui concerne la base de Porkkala, je l’avais mentionnée dans l’article que j’avais écrit (1). C’est faute de temps que ce soir je me suis abstenu d’examiner ce cas.
Je n’ai pas explicitement analysé les relations économiques de la Finlande avec la CEE mais j’ai souligné que son taux de croissance était dû principalement au développement de ses exportations vers tous les pays, qu’ils soient nordiques ou occidentaux.
• Une précision assez curieuse : on a dit que la base de Porkkala avait été évacuée en 1955 ; or il se trouve que celle de Port-Arthur, de l’autre côté du continent eurasiatique, a été évacuée à la même date. Il semble donc que Khrouchtchev ait mené à ce moment-là une politique de repli de certaines bases extérieures.
• Militairement, pour l’Union soviétique cette base de Porkkala avait perdu de son importance. La Finlande a tenu à en obtenir l’évacuation pour mieux afficher sa politique de neutralité.
Le pacifisme
• J’ai participé à Kiel à un débat sur le pacifisme en Scandinavie et je crois qu’il n’a pas les mêmes caractéristiques dans les différents pays ; il n’a pas les mêmes racines non plus. Il serait intéressant de le préciser. Il y a une chose qu’on ignore en France, c’est que le rôle que jouent les différentes Constitutions n’est pas comparable à celui de nos Constitutions en Europe occidentale.
• Quand on parle du pacifisme dans les pays nordiques, le mot est mal choisi car il s’agit surtout d’un mouvement antinucléaire et c’est toute autre chose, car il reste évident qu’une très large majorité de nos populations est favorable à la défense et à l’armée. Mais il est vrai qu’une grande partie de la population est également antinucléaire. L’autre semaine, s’est tenue à Copenhague une conférence, réunissant la Finlande, la Suède et le Danemark, pour discuter de la création d’une zone non nucléarisée dans la région nordique. La Norvège n’y a pas participé parce qu’elle se trouve sous le parapluie de la dissuasion de l’Otan. Ajoutons que lorsqu’on regarde cette zone nordique de l’Europe, où trouve-t-on les armes nucléaires ? Ni en Finlande, ni en Suède, ni en Norvège, ni au Danemark ; en revanche elles sont nombreuses dans la région contiguë de l’URSS. Cette situation est d’importance et c’est elle qui anime la réflexion des pays nordiques.
• Pourquoi dire que le pacifisme progresse dans les pays nordiques ? Tout dépend, bien sûr, de ce qu’on appelle le pacifisme. Pour nous, Finlandais, il consiste surtout en l’absence ou le refus de toute volonté de défendre le pays. Or, selon tous les sondages qui ont été effectués, cette volonté défensive est très élevée dans tous les pays nordiques et en Finlande le pacifisme est vraiment un phénomène très marginal. Il ne faut pas considérer le mouvement de dénucléarisation comme lié au pacifisme : à nos yeux, le projet de dénucléarisation est plutôt une mesure de désarmement qui a un objectif politique tout autant que militaire ; cet objectif est de placer les pays nordiques à l’écart des spéculations comme d’une éventuelle guerre nucléaire. Il ne s’agit pas d’un geste unilatéral puisque la proposition inclut des négociations avec les pays nucléaires susceptibles de menacer éventuellement la région.
• Il convient de faire une distinction rigoureuse entre pacifisme et refus de se battre et d’ailleurs j’ai bien signalé le consensus qui caractérise les Finlandais à l’égard de leur politique de défense.
(1) Robert Carmona. « Lettre de Finlande ». Revue Défense Nationale, avril 1984.