Aéronautique - La modernisation des forces aériennes stratégiques
À la fin du printemps de cette année, soit plus de 20 ans après la première prise d’alerte nucléaire d’un Mirage IV A, le premier escadron de bombardement des Forces aériennes stratégiques (FAS) aura achevé sa transformation sur son nouveau système d’armes Mirage IV P - ASMP (missile Air-sol moyenne portée) et reprendra l’alerte opérationnelle pour une durée d’au moins dix ans. Ainsi se concrétisera la dernière phase de la modernisation des deux composantes de la force nucléaire stratégique mises en œuvre par l’Armée de l’air.
La chronique de ce mois se propose de rappeler les aspects principaux de cette modernisation et d’en apprécier le profit pour l’efficacité et la crédibilité de notre FNS (Force nucléaire stratégique).
Modernisation de la composante SSBS (Sol-sol balistique stratégique)
Achevées en 1985, les améliorations ont porté à la fois sur la tête militaire du missile et sur l’ensemble des moyens concourant à la mise en œuvre des missiles sol-sol balistiques. Pour les têtes militaires, sans modifier la puissance de la charge nucléaire, la capacité de pénétration a été accrue grâce à l’adjonction de leurres aux caractéristiques identiques à celles de la charge utile vis-à-vis des moyens de détection adverses, et par une meilleure résistance aux effets d’explosions nucléaires à très haute altitude que pourrait provoquer la défense pour neutraliser les charges pendant leur vol balistique.
De leur côté, les installations du plateau d’Albion – silos, postes de commande de tir – ont fait l’objet d’aménagements visant à diminuer leur vulnérabilité face à des attaques nucléaires ou classiques, tandis que les moyens de transmission associés étaient simultanément durcis contre l’Impulsion électromagnétique (IEM).
Cette transformation du système S3 en système S3D (D comme durci) donne ainsi une meilleure capacité de frappe en second à notre composante SSBS dont la probabilité d’atteindre ses objectifs est par ailleurs augmentée.
Modernisation de la composante pilotée
Cette opération concerne l’arme nucléaire, l’avion de pénétration et le ravitailleur en vol. L’arme nucléaire qui équipe le Mirage IV A (ANM-22) est du type bombe freinée et présente l’inconvénient d’imposer le survol de l’objectif, toujours très défendu dans un contexte stratégique. En outre, sa technologie date des années 1950, époque à laquelle la taille des armes nucléaires limitait la puissance envisageable pour une arme aéroportée. Le missile ASMP permet de s’affranchir de ces deux contraintes importantes.
En effet, utilisant la technologie la plus moderne, cette arme réunit, sous un volume très réduit, un propulseur, des moyens de navigation autonome et une charge militaire d’une puissance très supérieure à celle du Mirage IV A. Capable de suivre des trajectoires très diversifiées (itinéraires, altitudes) à des vitesses largement supersoniques, elle a une grande portée qui permet à l’avion de pénétration de se tenir à distance des défenses les plus meurtrières. Sa taille réduite, alliée à sa grande vitesse rend de surcroît sa détection et sa destruction très difficiles. Enfin son système de navigation autonome lui confère une excellente précision. La mise en service du missile ASMP marque donc un très net progrès et renforce les capacités de pénétration du bombardier nucléaire.
Pratiquement impossible à distinguer du Mirage IV A dont il conserve la cellule et les moteurs, le Mirage IV P constitue pourtant un véritable avion nouveau en raison des modifications radicales qu’a subies l’ensemble de ses équipements et notamment le système de navigation et de bombardement.
Deux centrales à inertie remplacent l’ancienne centrale gyroscopique pour fournir les références d’attitude et les éléments nécessaires à l’élaboration de la navigation, tandis qu’un radar doté des derniers perfectionnements autorise un recalage très précis de la position. Comme sur Mirage 2000, les informations entre les divers ensembles circulent sous forme numérique, en particulier vers le système de navigation autonome du missile ASMP. Lors de la préparation de la mission, tous les paramètres concernant la navigation, l’environnement tactique, les horaires, etc. sont regroupés sur un MIP (Module d’insertion des paramètres) qui permet l’initialisation et la programmation du système, l’équipage conservant bien sûr toujours la possibilité d’effectuer en vol les modifications dictées par les circonstances.
Dans le domaine des contre-mesures électroniques, le Mirage IV P a également bénéficié des études conduites pour le Mirage 2000 dont il emporte certains équipements (détecteur d’alerte, brouilleurs actifs) en complément de ceux déjà développés pour le Mirage IV A.
Précision de la navigation, aptitude au tir à distance de sécurité, contre-mesures électroniques, font du système d’armes Mirage IV P-ASMP une menace redoutable, capable de déjouer les défenses les plus modernes.
Dernier élément de la composante pilotée, le ravitailleur C-135F a lui aussi fait l’objet de transformations importantes qui lui permettront de rester en service opérationnel bien au-delà de l’an 2000. Après un renforcement du revêtement des voilures exécuté à la fin des années 1970, il a été doté de deux centrales de navigation à inertie, mais surtout ses 4 réacteurs J-57 de Pratt et Whitney sont remplacés par 4 CFM-56, coproduits par General Electric et la Snecma, qui lui procurent une poussée maximale disponible pratiquement doublée. Cette remotorisation se traduit par une masse maximum au décollage augmentée de 9 tonnes et une consommation spécifique diminuée de plus de 20 %.
Le gain en termes de capacités d’emport et de distance franchissable, donc en quantité de carburant livrable en vol, allonge le rayon d’action du Mirage IV P, lui-même augmenté de la portée du missile ASMP. Corollairement, le C-135FR (R comme remotorisé) présente aussi un grand intérêt pour les avions de combat de la FAR (Force d’action rapide), dont il accroît notablement la distance possible d’intervention.
Intérêt de la modernisation des FAS (Forces aériennes stratégiques)
Au-delà de l’amélioration de la valeur opérationnelle de chacune de ses deux composantes, l’intérêt de la modernisation des FAS réside dans le maintien jusqu’à l’horizon 2000 d’une FNS diversifiée et complémentaire, dont la possibilité de neutralisation totale demeure très improbable. En conjuguant les qualités de souplesse d’emploi du vecteur piloté et d’instantanéité de réaction des missiles du plateau d’Albion, les FAS continueront de renforcer la crédibilité de la force océanique stratégique et de fournir au pouvoir politique le moyen de marquer concrètement sa volonté, sans recourir inéluctablement au déclenchement du feu nucléaire stratégique.
En effet, le bombardier est unique en ce qu’il permet l’exécution ostensible de manœuvres de dissuasion – déploiement des avions, tenue de l’alerte en vol – et le report jusqu’au dernier moment de la décision d’engagement. Par ailleurs, même si les perspectives ouvertes par les projets de défense spatiale ne constituent une réelle menace pour les systèmes à base de missiles balistiques, sol-sol ou mer-sol, qu’à une échéance assez lointaine, il reste du plus haut intérêt de conserver une diversification des moyens de pénétration nucléaire, susceptible de faire face à toute percée technologique soudaine.
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Depuis plus de vingt ans, l’Armée de l’air apporte une contribution éminente à la crédibilité de notre force nucléaire stratégique. Avec la modernisation des FAS, elle continuera de mettre en œuvre des armements nucléaires d’une très grande valeur opérationnelle et de jouer un rôle capital dans notre concept national de dissuasion. Afin d’assurer la pérennité de ce concept, il importe de préparer dès maintenant les systèmes d’armes qu’il reviendra à l’Armée de l’air de servir au XXIe siècle pour préserver la diversification de notre FNS.