Revue des revues
• Fondé en 1979 à Londres pour « étudier le changement politique en Europe et son impact sur la stratégie et la défense », l’Institute for European Defence and Strategic Studies (IEDSS) a publié en décembre 1985 une courte étude (35 pages) intitulée Les héritiers de Clausewitz : changement et continuité dans la machine de guerre soviétique. Cette analyse est due à Christopher N. Donnelly, chargé des études soviétiques à l’Académie militaire de Sandhurst (formation des sous-officiers de la British Army). Spécialiste reconnu du système militaire de l’URSS, Donnelly souligne les particularités d’un État qui doit son existence et sa survie à la guerre. Pour le parti, la puissance militaire est un outil politique, d’intimidation vis-à-vis de l’extérieur (l’Union soviétique ne veut pas la guerre en Europe, mais les conditions politiques peuvent changer), et de contrôle à l’intérieur. Il ne faut donc pas s’attendre à des concessions en matière de défense. L’idéologie conflictuelle se traduit par l’autocratie du pouvoir, la militarisation de la jeunesse et la préparation de la nation entière à la guerre. Les conditions géographiques, humaines et climatiques enfin, déterminent certains aspects du système militaire : les opérations restent dominées par l’occupation terrestre des grands espaces ; le mélange des races et des langues explique le manque de souplesse de la tactique (le niveau de la manœuvre opérationnelle est celui du front) ; la rigueur hivernale impose des activités discontinues (« stop-go syndrom »).
C’est dans la doctrine d’emploi que Christopher N. Donnelly observe le changement, et d’abord dans le domaine du nucléaire. Certes, les Soviétiques n’hésiteraient pas à recourir à un emploi préemptif s’ils jugeaient que tel est leur intérêt, mais ils souhaitent éviter à tout prix une guerre nucléaire. La déclaration de Brejnev sur « le non-emploi en premier » répond tout à fait à cette préoccupation. La réorganisation des structures et des doctrines montre à l’évidence la recherche de la vitesse et de la surprise. Ayant pris conscience des lenteurs, des faiblesses et des divergences occidentales (il n’y a pas de commandement unifié), ils se sont mis en mesure d’obtenir la victoire avant que les présidents américain, français et britannique aient pris la décision de riposte nucléaire, et même de devancer la mobilisation et le déploiement vers l’avant des Alliés, en attaquant les points faibles que sont les corps britannique, belge, néerlandais et danois, et en lançant des groupements mobiles (GMO) dans la profondeur, vers les objectifs vitaux. L’emploi des ANT (Armes nucléaires tactiques) ne pourrait que compliquer une situation déjà très confuse, et les Soviétiques estiment nécessaire de « fermer la brèche nucléaire ». Ils redoutent cependant les armes neutroniques, qui sont plus faciles d’emploi. Contrairement à de nombreux auteurs, Donnelly pense que l’emploi des armes chimiques reste hypothétique, les Soviétiques craignant une riposte alliée qui serait nucléaire ou chimique ; ils considéreraient donc ces dernières armes comme un moyen dissuasif, et c’est dans ce but qu’ils améliorent leurs capacités défensives et offensives.
En conclusion, Donnelly décrit le champ de bataille du futur, caractérisé par la vitesse, la surprise, les changements brusques de situation, la profondeur et l’intégration air-sol. L’attaque surprise contre l’Ouest reste incertaine, mais les Soviétiques savent qu’ils ne pourraient gagner qu’en surprenant leurs adversaires.
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