Aéronautique - AWACS : un système d'armes polyvalent
Il y a une dizaine d’années, alors qu’il était encore au stade du développement, le programme AWACS (Airborne Warning and Control System) a dû faire face à de nombreuses critiques de la part de certains membres du Congrès américain. Des parlementaires de l’opposition de l’époque n’hésitaient pas à affirmer que l’AWACS n’était qu’un « jouet » coûteux sans véritable intérêt opérationnel.
Aujourd’hui, l’US Air Force met en œuvre une escadre AWACS : la 552e Division aéroportée d’alerte et de contrôle équipée de l’avion E-3A Sentry [Sentinelle] ; l’Otan met sur pied sa force aéroportée d’alerte, équipée également d’E-3A, et la France avait inscrit dans sa Loi de programmation militaire 1984-1988 l’acquisition d’un système similaire.
Ainsi, personne ne conteste plus désormais les remarquables possibilités offertes par un Système de détection aéroporté (SDA) tel que le Sentry, non seulement en temps de guerre dans le domaine tactique – pour lequel il a été conçu – mais aussi dès le temps de paix pour le maniement des crises.
Le système d’armes
La plate-forme
Utilisant la cellule bien connue du Boeing 707, l’E-3A Sentry se caractérise extérieurement par la grande antenne rotative de son radar montée sur la partie arrière du fuselage. À l’intérieur, une cabine de pilotage classique abrite un pilote, un copilote, un navigateur et un mécanicien navigant, responsables de la conduite machine. Le volume habituellement réservé aux passagers est utilisé dans l’E-3A pour loger le système AWACS proprement dit et son personnel de mise en œuvre et d’exploitation, soit 13 personnes. Évoluant à une altitude moyenne de 9 000 mètres, le Sentry peut assurer sans ravitaillement en vol des patrouilles de 6 heures dans des zones situées à plus de 1 500 kilomètres de sa base de rattachement. Il dispose de points d’emport externes où pourraient prendre place, à la demande, des armements d’autodéfense ou des dispositifs de contre-mesures électroniques.
Le radar
Ce radar, initialement conçu pour la détection des mobiles à très basse altitude, peut également assurer la surveillance maritime tout comme la surveillance aérienne générale. En utilisant un mode de fonctionnement passif, il participe aussi à la mission écoute électronique, aptitude particulièrement précieuse au-dessus d’une zone de combats où s’affronteraient des systèmes d’armes indiscrets du point de vue électromagnétique.
Les moyens de traitement des informations
Le Sentry dispose de puissants moyens de calcul qui réalisent en temps réel l’analyse et l’interprétation des quantités d’informations électroniques générées par les combats dans sa zone de surveillance. Ces données, présentées de façon sélective ou globale sur des consoles de visualisation, permettent d’établir la situation générale dans la zone, d’y évaluer les menaces et d’assurer le guidage des avions amis.
Les transmissions
Elles constituent un segment capital du système AWACS et lui confèrent l’essentiel de sa valeur opérationnelle. Il faut en effet communiquer avec le sol pour diffuser l’alerte et transmettre la situation générale sur zone établie à bord (Warning) et rester simultanément en contact avec les avions amis pour les guider (Control). Pour répondre à ces impératifs, les E-3A sont dotés du JTIDS (Joint Tactical Information Distribution System), système de transmissions numérique chiffré capable de dialoguer avec un nombre très élevé de correspondants tout en offrant une excellente résistance au brouillage électronique. Le nombre d’intervenants sur le réseau pourrait aller de quelques dizaines à plusieurs milliers selon le volume d’informations qu’ils auraient à échanger.
Emploi tactique
Les caractéristiques brièvement évoquées ci-dessus destinent tout naturellement l’E-3A à jouer un rôle essentiel dans la défense aérienne. En effet, s’ils assurent une couverture radar complète à moyenne et haute altitudes, les réseaux de défense aérienne actuels, à base de stations sol disséminées sur le territoire à protéger, souffrent d’une grave lacune du fait de leur capacité de détection à basse altitude très fragmentaire. Cette faiblesse offre une relative sécurité à l’assaillant aérien qui a de bonnes chances de passer inaperçu tant qu’il reste au ras du sol et à l’écart des radars fixes dont il connaît les emplacements. L’agresseur perd cet avantage dès qu’il entre dans la zone de surveillance du Sentry, véritable centre de détection et de contrôle aéroporté doté des mêmes capacités de synthèse et de guidage que ses homologues au sol auxquels il apporte l’appoint décisif de sa détection lointaine à basse altitude. Procurant en temps réel une connaissance complète de la situation aérienne générale, l’E-3A permet aux forces de défense aérienne de disposer du préavis indispensable à la pleine efficacité de leurs moyens air-air et sol-air.
Mais en se rapprochant des zones du front, tout en restant à distance de sécurité grâce à la grande portée de son radar, il peut aussi faire bénéficier les raids aériens offensifs amis de renseignements précieux sur la nature et la position des défenses ennemies. Cette capacité à observer la zone de combats, à suivre son évolution et à en rendre compte instantanément présente tout autant d’intérêt dans un cadre interarmées. C’est pour en tirer le plus grand profit que les armées de terre et de l’air américaines se sont lancées dans le programme JTIDS, réseau interarmées de distribution d’informations tactiques, dont la partie aéroportée est opérationnelle sur l’E-3A.
Face à la menace aérienne à très basse altitude, le Sentry constitue donc une parade particulièrement efficace. Ses multiples possibilités corollaires dans les domaines du renseignement et des communications en font un atout essentiel dans la conduite des opérations interarmées. Fort heureusement, aucune occasion d’en faire la démonstration dans des conflits de grande envergure ne s’est encore présentée. Pourtant, sans avoir contribué au tir du moindre coup de feu depuis leur mise en service, les E-3A de la 552e Division aéroportée d’alerte et de contrôle de l’Armée de l’air américaine ont joué un rôle important dans plusieurs crises depuis 1979.
Emploi en situation de crise
Le système AWACS, de par ses aptitudes propres limitées à la surveillance et à l’observation, ne représente pas en lui-même une menace. Sa mise en œuvre à proximité de zones où se développent des situations de crise ne peut être considérée stricto sensu comme un geste hostile, dès lors qu’elle se situe dans l’espace aérien international. Cependant, sa seule présence, en interdisant l’exécution anonyme ou discrète d’un « coup » facile, présente un caractère très dissuasif pour un éventuel agresseur et contribue à éviter – ou au moins à retarder – le recours aux armes pour régler une situation conflictuelle.
Ainsi apparaît un volet supplémentaire de l’utilisation d’un avion comme l’E-3A. En effet, dans toute situation de crise les gouvernements doivent le plus souvent réagir vite et de façon nuancée, qu’ils soient ou non directement impliqués dans cette crise. Le Sentry s’adapte parfaitement à ces deux impératifs. Grâce à sa vitesse et à son rayon d’action, il peut se porter dans les meilleurs délais là où sa présence se révèle nécessaire. Selon qu’il reste en espace aérien international ou qu’il évolue depuis celui d’un des pays acteurs de la crise, selon qu’il se limite à l’observation de la zone ou qu’il y effectue du guidage au profit de tel ou tel État, selon enfin qu’il se déploie seul ou accompagné d’un détachement de chasseurs, l’E-3A constitue pour les États-Unis un excellent moyen de montrer leur intérêt pour les conflits qui peuvent surgir ici ou là et de « doser » leur implication dans ces différends. La mise en place de 4 E-3A en décembre 1980 à Ramstein (République fédérale d’Allemagne, RFA), pour suivre l’évolution de la situation en et autour de la Pologne, revêtait une signification bien différente de celle, à Khartoum (Soudan) en août 1983, de 2 E-3A accompagnés de 2 ravitailleurs McDonnell Douglas KC-10 Extender et de 8 chasseurs McDonnell Douglas F-15 Eagle pour aider le gouvernement soudanais à combattre les forces rebelles soutenues par la Libye.
Depuis sa mise en service en 1977, le Sentry a ainsi été utilisé par les États-Unis à plus de dix reprises sur presque tous les continents et s’est révélé être un excellent instrument de « gesticulation » politique.
Conclusion
Un système de détection aéroporté tel que l’AWACS, grâce à ses capacités très diversifiées, répond à des besoins dépassant largement le seul cadre d’une armée de l’air. Appoint essentiel pour réaliser une couverture de défense aérienne homogène à toute altitude, il apporte en même temps au responsable de la bataille aéroterrestre – ou aéromaritime – la possibilité de suivre en temps réel l’évolution des combats et de disposer ainsi de tous les éléments nécessaires à ses décisions. Dès le temps de paix il contribue à marquer, à temps et à un niveau variable, l’intérêt et la détermination d’un gouvernement dans une situation de crise.
Compte tenu de sa vocation stratégique et de l’intérêt interarmées de son apport au niveau tactique, un tel système augmente sensiblement la sûreté des forces engagées dans un conflit ainsi que la variété des modes d’action possibles face à une crise, où qu’elle surgisse.