Institutions internationales - Contre le racisme, la xénophobie et l'apartheid - Et si la Chine réintégrait le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) ?
Dans le même temps où elle rendait hommage à Robert Schuman, l’Assemblée européenne s’égarait dans des procédures qui n’auraient guère enchanté l’homme qu’elle célébrait comme l’un de ses fondateurs. Ayant à approuver un rapport sur le projet Eurêka, les parlementaires de Strasbourg n’ont pu s’empêcher de donner dans la confusion à l’initiative des socialistes et des communistes. Ceux-ci ont en effet fait adopter un amendement condamnant toute participation européenne à l’Initiative de défense stratégique (IDS). Cette introduction d’une clause totalement étrangère au sujet eut pour effet d’irriter le reste de l’Assemblée qui, du coup, n’eut d’autre recours que de rejeter l’ensemble du rapport, un vote obtenu par 156 voix contre 152 et 10 abstentions.
Il est fâcheux que les députés européens ne puissent se déterminer sur des projets communautaires sans mêler l’idéologie à leurs débats. La cause qu’ils entendent défendre n’en est pas mieux assurée, loin de là, et la cohésion de l’Europe n’en sort pas renforcée. La concertation aura été plus satisfaisante lors du conseil de l’Agence spatiale européenne (ESA), puisque ses membres se sont mis d’accord pour soutenir le programme de navette spatiale Hermes. Peu auparavant, la République fédérale d’Allemagne (RFA) avait pourtant exprimé de vives réticences à ce propos, non pas sur le fond, mais sur son financement, étant donné que l’Allemagne fédérale s’est engagée à participer au projet américain Columbus.
Contre le racisme, la xénophobie et l’apartheid
Avec beaucoup de solennité, l’Assemblée européenne a cosigné avec le Conseil et la Commission une déclaration commune contre le racisme et la xénophobie. Un texte qui réaffirme à juste titre les engagements moraux de l’Europe et qui reconnaît la contribution des travailleurs immigrés à son développement. Le document réprouve donc toute forme de ségrégation, ce qui n’a pas semblé suffisant à « SOS racisme » puisque Harlem Désir, son président, présent à Strasbourg à cette occasion, a souhaité qu’on n’en « reste pas aux symboles ».
Ce mois de juin 1986 aura particulièrement résonné des clameurs d’indignation aux violations des droits de l’homme. La manifestation la plus spectaculaire aura été cette conférence mondiale sur l’apartheid au siège de l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture). Elle s’est achevée par une déclaration qui préconise des sanctions globales et obligatoires contre l’Afrique du Sud et rejette l’idée qu’on puisse inscrire la situation en Afrique australe dans le conflit Est-Ouest. La conférence écarte de la sorte un des facteurs essentiels de la tension qui règne dans la région. On en vient alors à une morale in vitro.
La Grande-Bretagne ne participait pas à cette réunion. Mme Thatcher, opposée à des sanctions punitives contre Pretoria, avait obtenu le soutien des Communes qui ont repoussé une motion travailliste en faveur de telles mesures de rétorsion. Il est vrai que les intérêts financiers et commerciaux britanniques en Afrique du Sud ne sont pas négligeables. Mais Londres, en la circonstance, doit aussi tenir compte de la pression des pays du Commonwealth, favorables aux sanctions. C’est ce qui explique qu’au Conseil européen de La Haye, la Grande-Bretagne ne se soit pas dissociée de ses partenaires qui ont réclamé la libération inconditionnelle de Nelson Mandela, emprisonné depuis 1962. Les autorités sud-africaines ont toujours subordonné la remise en liberté du nationaliste noir à son engagement de ne plus soutenir les mouvements pratiquant le terrorisme, comme l’ANC (African National Congress). Son refus lui vaut d’être toujours derrière les barreaux.
La Conférence de Paris sur l’apartheid a d’ailleurs adopté une position en flèche à ce sujet en stipulant que les mouvements de libération d’Afrique du Sud et de Namibie devaient être libres de « choisir les moyens de leur lutte ». C’est, de toute évidence, consacrer internationalement le terrorisme urbain. Un seul pays a émis des réserves en l’occurrence : l’Australie qui a fait valoir qu’une telle clause était en contradiction avec la Charte des Nations unies.
Autre État absent de cette conférence sur l’apartheid : l’Allemagne fédérale. Bonn n’a jamais été enclin à souhaiter des sanctions contre un pays avec lequel les liens économiques et historiques sont étroits. N’oublions pas que l’Empire allemand avait soutenu les Boers [les pionniers blancs d’Afrique du Sud d’origine néerlandaise] du président Krüger (1883-1890), et avait colonisé le Sud-Ouest africain, l’actuelle Namibie. La République fédérale d’Allemagne (RFA) cherche à bénéficier de ces atouts et n’a nulle envie d’en abandonner les avantages pour d’inutiles et inefficaces mesures de rétorsion. C’est pourquoi, lors de la réunion des « Douze » à Luxembourg, le 16 juin 1986, la délégation Ouest-allemande fut aux côtés de celle de Grande-Bretagne pour s’opposer à un embargo sur les importations agricoles en provenance d’Afrique du Sud.
Enfin, la France, pour la première fois participait à ce forum contre l’apartheid, mais à titre d’observateur. Le secrétaire d’État chargé des droits de l’homme, M. Claude Malhuret, tout en affirmant clairement que l’apartheid doit disparaître, souligna que « c’est sans doute aux Sud-Africains seuls, mais à tous les Sud-Africains, qu’il appartient de déterminer leur avenir ». Une sage observation qui devrait nous éviter la tentation de nous ingérer dans les affaires intérieures d’un État qui est bien moins un bastion blanc sur le continent que le centre névralgique de la paix dans une région où l’Union soviétique nous dispute la solution. En raison de quoi les États-Unis se sont abstenus de venir au siège de l’UNESCO.
Et si la Chine réintégrait le GATT ?
La Chine fut l’un des membres fondateurs du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), en 1948, mais elle s’en retira après la défaite de Tchang Kaï Tchek. Depuis trente-six ans, Pékin est donc absent des négociations commerciales qui s’y déroulent au niveau mondial. Mais entre-temps, ce pays a su redresser son économie, se faire admettre par la communauté internationale et s’imposer aujourd’hui en de nombreux domaines industriels et scientifiques. Nous sommes fort loin de la révolution culturelle de la fin des années soixante et voici que la Chine souhaite redevenir membre du GATT ; une démarche qui ne se heurte pas à l’hostilité de principe dont l’Union Soviétique est la cible de la part des États-Unis et de l’Europe occidentale. Il est même possible, sinon probable, que Pékin bénéficie d’un statut d’observateur lors du prochain round de Punta del Este en Uruguay, prévu en septembre 1986.
Il ne faut cependant pas se cacher qu’une réintégration de la Chine au sein du GATT modifierait la physionomie de l’organisation, étant donné l’envergure économique qu’est appelé à prendre ce pays. Les chiffres sont éloquents à cet égard. Si en 1984, après avoir doublé ses exportations au cours des cinq années précédentes, la Chine ne dépassait pas 1,5 % des exportations mondiales, on ne peut douter que depuis lors cette part n’a cessé de s’accroître et que cette courbe ascensionnelle n’est pas près de fléchir. La Chine est déjà un concurrent redoutable dans le secteur du textile, et son commerce affecte les producteurs européens ou asiatiques comme le Japon ou l’Indonésie. De la même manière, elle se pose en rivale des États-Unis pour les ventes de maïs et de soja.
Parallèlement, il est vrai, la Chine offre bien des perspectives aux exportateurs occidentaux depuis qu’elle a ouvert ses marchés en fonction de ses besoins. Ceux-ci sont de plus en plus importants, ce qui joue indiscutablement en faveur d’une insertion de la Chine dans le système commercial mondial. Si le volume de ses échanges continue ainsi à croître, elle n’aura pas à subir les clauses imposées à d’autres pays socialistes comme la Hongrie ou la Roumanie qui sont astreintes à un contrôle régulier de leur politique commerciale. Rappelons que la Pologne, pour sa part, s’est vue imposer une augmentation annuelle de 7 % de ses achats dans les pays membres du GATT.
La Communauté économique européenne (CEE), de son côté, affine sa position à l’approche de la prochaine conférence. À Luxembourg, les « Douze » ont complété le document élaboré en mars de l’année dernière, lequel insistait sur la nécessité de ne pas remettre en cause la politique agricole commune. La CEE rappelle aujourd’hui les maux dont souffre le commerce mondial : offre surpassant de plus en plus la demande, concurrence de plus en plus vive entre pays producteurs, baisse des prix, etc. Les ministres des Affaires étrangères des « Douze » souhaitent donc l’abandon des politiques d’exportation trop agressives et attendent des membres du GATT un effort coordonné pour remédier aux carences de la situation actuelle.
Un exemple de conciliation vient d’ailleurs d’être fait en ce sens par la CEE et les États-Unis en vue d’aplanir leur différend agricole. Des négociations ont eu lieu à la fin de juin 1985 dans l’État du Maryland. À cet effet, la CEE a renoncé à traiter la question globalement : les dossiers espagnol et portugais (qui sont à l’origine des frictions) doivent être examinés séparément. Mais les producteurs américains sont en position d’autant plus forte qu’au mois de novembre prochain auront lieu les élections. Le contentieux entre l’Europe et les États-Unis risque de ne pas trouver de solution facile dans de telles conditions.