Aéronautique - Le Propfan (Soufflante non carénée ou Open rotor) : chimère ou réalité ? (II)
Où en est-on ?
Bien que s’étant lancé dans l’aventure avec quelques années de retard, c’est General Electric, en collaboration avec la Société nationale d’étude et de construction de moteurs d’aviation (Snecma [ndlr : futur Safran]), qui a fait voler pour la première fois, le 20 août 1986, un Propfan sur un Boeing 727 100 modifié. Ce moteur est un Propfan « Unducted Fan » (UDF) utilisant le turboréacteur GE F404 modifié comme générateur de gaz pour entraîner deux rotors à huit pales d’un diamètre de 3,6 mètres. La poussée prévue est de l’ordre de 11 tonnes. Pour l’instant, les quelques vols d’essais effectués ont donné, semble-t-il, entière satisfaction. Notons qu’ils se déroulent à un rythme très lent car l’extrême prudence est de rigueur dans ce domaine très peu connu. Un second démonstrateur, monté sur un McDonnell Douglas MD-80 devrait voler au cours du printemps 1987.
Pratt & Whittney, associé à Allison et à Hamilton Standard, travaille sur le projet 578-DX. Il s’agit d’un Propfan classique avec deux hélices contrarotatives situées à l’arrière. La poussée escomptée se situe autour de 9,5 t. Le démonstrateur devrait être essayé en vol au cours du mois de décembre 1987.
Rolls Royce qui, pendant longtemps, était resté plus ou moins sceptique sur l’avenir du Propfan, s’est lancé résolument depuis quelques années dans la course. Trois projets sont à l’étude. Un Propfan classique non caréné dans la gamme de poussée des 4,5-11 t, un énorme Propfan, type UDF mais caréné, pour la zone des 20-23 t baptisé Contrafan et enfin, un moteur intermédiaire, 11 à 18 t, désigné Superfan, possédant deux rotors contrarotatifs carénés entraînés à travers un réducteur.
Dans le genre Superfan, la société allemande Motoren und Turbinen Union (MTU) développe le Crisp (Counter Rotating Integrated Shrouded Propfan). Ce sera un moteur d’environ 12 t de poussée, doté de soufflantes avant contrarotatives carénées. P&W étudie un projet analogue, mais avec soufflante unique, connu sous le sigle ADP (Advance Ducted Propeller).
Dans le cadre de cette rubrique, il n’est pas question de passer en revue toutes les études et tous les projets concernant le Propfan. Toutefois, à l’issue de ce rapide survol, deux constatations s’imposent : tous les grands motoristes se sont lancés dans le Propfan, mais avec des options (très) différentes, que ce soit dans les recherches qu’ils mènent pour leur propre compte ou dans les projets développés en coopération ; seuls l’UDF qui a débuté ses essais en vol. et le 578-DX qui volera à la fin de l’année 1987, semblent pouvoir être commercialisés, dans le meilleur des cas, au début des années 1990.
Un Propfan, pour qui ?
L’atout principal du Propfan, peut-être le seul, est sa consommation en carburant. L’intérêt que lui porteront les avionneurs est donc intimement lié au coût du kérosène. De plus, ainsi que nous venons de le voir, les premières certifications de ce type de moteur n’interviendront pas avant le début des années 1990.
Cependant, on estime que le marché mondial des avions commerciaux est fortement demandeur dans les quinze années à venir : 2 400 avions court-courriers de 110 à 160 places. 750 moyen-courriers et 550 long-courriers de 270 à 400 places. À cela, il faut ajouter les besoins des armées de l’air occidentales en appareils de transport. On comprend mieux pourquoi les grands constructeurs d’avions suivent avec grand intérêt le développement du Propfan.
Chez eux aussi les approches de cette nouvelle motorisation sont différentes, mais toutes restent prudentes, en dépit des quelques « coups » publicitaires lancés de temps à autre, car le Propfan reste encore pour l’instant un pari audacieux. Présentement, seules les firmes Boeing et McDonnell Douglas paraissent avoir défini une politique dans ce domaine.
Boeing travaille sur un nouvel avion bimoteur de 150 places, le 7J7, dont la commercialisation devrait débuter au milieu de l’année 1992. Le type de Propfan devant équiper cet appareil n’est pas encore choisi. La décision n’interviendra vraisemblablement pas avant que les 2 moteurs – UDF et 578-DX – aient été suffisamment testés en vol.
McDonnell Douglas, pour sa part, oriente ses recherches suivant deux directions : tout d’abord, la remotorisation avec des Propfan, au cours de la prochaine décennie, de ses MD-88 mis en service à partir du début de l’année 1987. Cet appareil, d’une capacité de 150 places, est directement dérivé des familles DC-9 et MD-80. D’un point de vue technique, sa conception est ancienne, et donc son prix d’achat est relativement modéré. Par contre, une fois remotorisé, il deviendra un avion ultramoderne. Cette démarche semble intéresser certaines compagnies aériennes, en particulier Delta Airlines qui vient de commander quatre-vingts MD-88.
La deuxième orientation suivie est l’étude d’un nouvel avion de 110 places mais qui, pour des raisons de facilités et d’économies dans sa réalisation, s’inspirerait largement du DC-9.
Airbus Industrie est la société dont l’attitude est la plus réservée dans ce domaine. La raison essentielle de cette modération réside certainement dans l’arrivée très prochaine de l’A 320 sur le marché. Cet avion qui a fait son premier vol le 22 février 1987 sera, et de loin pendant un certain temps, l’appareil le plus moderne dans la catégorie des 150 places. Cette société qui a beaucoup investi dans ce grand projet tient à voir ses efforts récompensés et n’est pas particulièrement pressée d’effectuer un changement de politique, d’autant plus que les premiers Propfan disponibles devront être montés obligatoirement sur des nacelles arrière (cette configuration se prête mal à l’architecture de la famille Airbus).
Nous avons donc constaté que les avionneurs suivent de très près, voire s’associent, au développement de la technologie Propfan. Cependant, les problèmes techniques à résoudre sont nombreux, des sommes importantes doivent être investies et le prix des carburants reste fluctuant. Tout cela explique la variété des solutions envisagées et la prudence relative dont font preuve les motoristes et les avionneurs. En tout état de cause, il est à peu près certain qu’aucun avion, propulsé à l’aide de moteurs type Propfan, ne sera certifié avant 1993. Les premiers seront des court ou moyen-courriers (100-150 places) et leur mise en service sera lente et progressive. Ce n’est que lorsque seront disponibles (pas avant 1995) les Propfan carénés, adaptables à tous les types d’avions, que ce type de propulsion pourra devenir vraiment compétitif.
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La hausse brutale du coût du carburant au cours des années 1970 a été déterminante pour l’étude et le développement du moteur Propfan. La simplicité de son principe et les avantages qu’il procure le rendent très attractif. Cependant, très vite, les ingénieurs ont constaté que de nombreuses difficultés devraient être surmontées avant de pouvoir réaliser un produit susceptible d’être commercialisé. Les solutions proposées sont multiples, chacune ayant, comme toujours, ses avantages et ses inconvénients.
Dans cette nouvelle compétition industrielle, CFM International (General Electric associé à Snecma) a, semble-t-il, pris un excellent départ. L’enjeu est important mais la lutte sera longue et difficile.
Chaque constructeur affiche un calendrier assez précis des études, des développements et des mises en service qui devraient avoir lieu, pour les premières réalisations, dans le courant de l’année 1992. Cette date nous semble quelque peu optimiste. On peut cependant retenir que c’est au début de la prochaine décennie que l’on saura si le pari du Propfan est en passe d’être gagné et par qui.