Les débats
Débats après l’exposé de M. Ortoli
• En 1970, la France tirait les trois quarts de ses approvisionnements en pétrole du Golfe et principalement d’Arabie Saoudite ; en 1985 cette proportion est tombée à 17,5 %, dont 3 % venant d’Arabie Saoudite alors que curieusement nous en avons importé 5 % d’Iran ; simultanément la part fournie par la mer du Nord est montée à 30 % ; puis, nouveau retournement de situation en 1986 puisque les approvisionnements venant d’Arabie montent en flèche au détriment de ceux venant de la mer du Nord : ces fluctuations aberrantes résultent-elles d’un libéralisme sauvage ou bien s’agit-il d’une stratégie très élaborée ?
Nous avions au départ une économie pétrolière organisée et contrôlée dans laquelle il y avait un phénomène d’adaptation des prix au marché, un phénomène d’intégration et pas de pétrole de substitution venant de la mer du Nord, cela dit grosso modo. La dominante était proche-orientale et elle était parfaitement encadrée du point de vue de la stabilité des prix. Avec la hausse de ceux-ci, on a vu apparaître des pétroles de compétition et surgir un véritable marché libre, phénomène qui n’existait pas auparavant d’autant que le mécanisme OPEP était celui d’un contrat où n’existait aucun lien entre le prix et la situation du marché. Dès l’instant où un mécanisme technique a pu jouer à Rotterdam, l’approvisionnement s’est effectué au bénéfice des sources les plus proches, phénomène encore accentué par la rigidité de l’OPEP. Le pétrole produit par cette dernière restait moins cher, mais le profit que le Proche-Orient laissait à l’explorateur et au développeur était moins grand que celui apporté par le pétrole cher de la mer du Nord. De plus, comme l’OPEP, de par sa rigidité, n’épousait pas le marché, un phénomène de déclassement s’est produit au profit de la proximité des ressources, mais quand le pétrole est tombé à des prix beaucoup plus bas, des substitutions temporaires ont eu lieu au bénéfice des productions du Proche-Orient ; tout cela, compensé par des décisions de restockage, l’offre étant alors plus forte que la demande. Mais ce n’est plus vrai aujourd’hui, et il est difficile d’apprécier l’évolution du marché dans l’immédiat.
• Que faut-il penser actuellement des prévisions très pessimistes du Club de Rome sur les ressources pétrolières à long terme ? D’autre part qu’adviendrait-il si la guerre Irak-Iran cessait ? Enfin ne doit-on pas prendre en compte l’absorption de plus en plus importante de pétrole par l’industrie chimique ?
Le Club de Rome a toujours oublié dans ses estimations l’apologue de l’échiquier : l’idée d’une croissance continue l’a empêché de prendre en considération d’autres phénomènes comme ceux de saturation ou de ruine. Les appréciations provenaient d’une vision erronée de l’expansion mondiale. De plus, il a oublié que notre espèce a le tracassin technologique, ce qui lui donne la capacité d’inventer la substitution. Quant à la guerre du Golfe, elle est un facteur très important du jeu. Elle annule toute possibilité d’extension de la production dans deux pays en lutte ; d’autre part, le poids important de l’Iran dans l’OPEP est un facteur de cohésion de cette organisation car, ne pouvant accroître sa production et devant subir le poids d’une population abondante, ce pays s’attache au prix de vente de son pétrole, sans oublier son importance politique. Tout cela constitue des facteurs d’équilibre dans le jeu du Proche-Orient. Enfin, on ne peut effectivement passer sous silence la place de la pétrochimie dans cette affaire.
Débats après l’exposé de M. Capron
• Il est certain que l’effort d’exploration des compagnies pétrolières baisse en fonction de l’effondrement du prix du brut. En 1984, il y avait dans le monde un peu plus de 4 000 appareils de forage en activité ; en 1986, il y en avait moins de 2 000. Donc l’industrie du forage, qui est un facteur essentiel pour la mise au jour de réserves, a chuté de moitié en deux ans. Autre incidence de la baisse du prix du pétrole : l’activité du secteur industriel parapétrolier s’est, elle aussi, amoindrie. Et en ce qui concerne la France, cela a un impact important sur notre balance des paiements puisque le solde exportateur net de ce secteur était de 40 milliards de francs en 1982 et qu’il a été estimé à 26 milliards pour 1986, ce qui reste un chiffre tout à fait considérable et qui fait de cette industrie parapétrolière l’un des premiers exportateurs français. En outre ce secteur développe des technologies qui ont un intérêt non négligeable pour la défense : géophysique, oléoducs flottants avec poste de ravitaillement en mer, etc.
• Pourriez-vous développer le point de votre analyse concernant les pays en voie de développement et les pays riches ?
M. Ortoli a indiqué que les besoins énergétiques des PVD devraient croître de 3,2 % alors que les besoins des pays industrialisés devraient présenter une croissance inférieure à 1 %. Or, si on considère le lien entre la croissance et la consommation d’énergie, l’élasticité dans les pays industrialisés a été ramenée à un taux de 0,7, ce qui signifie que pour augmenter d’un point la croissance de l’économie, il suffit d’augmenter de 0,7 % la consommation d’énergie. Dans les pays en voie de développement, cette élasticité n’est pas aussi favorable, elle est très certainement supérieure à 1. De ce fait, l’une des contraintes qui pèsent sur les PVD est la libre disposition d’énergie bon marché. Celle-ci est fournie par le nucléaire et si certains pays en voie de développement ont eu et ont encore des projets en ce domaine, ils ne se réalisent pas, tout d’abord parce que cette industrie nécessite des investissements massifs, ensuite parce que le nucléaire a des contraintes de fonctionnement et de sécurité que bien des pays du Tiers-Monde ne peuvent actuellement respecter, faute de culture technologique. Si l’Inde en est capable, comme le Pakistan, il n’en va pas de même de l’Égypte par exemple, et cela n’a rien de péjoratif. Or, tout accident, type Tchernobyl, ne pourrait que ralentir l’extension du nucléaire car les populations réagiront de manière émotive. Il convient donc de faire très attention. Si l’on veut que les pays en voie de développement disposent de l’énergie la mieux adaptée à leurs besoins, à savoir l’énergie pétrolière, il faut que les pays industrialisés fassent le choix nucléaire.
• Ne pourrait-on faire en sorte que l’installation et l’exploitation d’une centrale nucléaire dans ces pays soient données à des entreprises spécialisées pendant une période d’une quinzaine d’années, comme on l’a envisagé pour la Turquie ?
Cela s’appelle une concession. Or, toute concession, dans notre monde post-colonial, a mauvaise réputation. Si tous les préalables politiques étaient levés, le problème serait de savoir comment se répartissent les risques. Outre la sécurité apportée sur le plan technique par cette concession à des compagnies fortes de leur expérience en ce domaine, il faut bien voir que l’opération comporte un certain nombre de risques financiers : d’abord en cas d’accident ou incident sérieux ; risque commercial ensuite, car la compagnie concessionnaire devra se payer sur les factures qu’elle émettra, or il existe très peu de pays dans le monde où le coût du kilowatt-heure soit libre : on prendrait alors un risque sur le comportement tarifaire d’un gouvernement pendant 15 ans ; risque politique aussi, touchant aux exigences du gouvernement d’un pays tiers… Et qui peut couvrir tous ces risques ? Le gouvernement français, c’est-à-dire la Coface : cette affaire ne concerne donc pas tant les industriels que les grands assureurs-crédits. Il n’en reste pas moins que si on veut développer le nucléaire dans les PVD, il faudra passer par des formules de ce type, mais aujourd’hui l’étude de la couverture des risques n’en est qu’à ses débuts.
• Le Club de Rome avait surtout pour objectif de prouver qu’une croissance exponentielle comme celle des années 1958-1968 ne pouvait pas durer. Par la suite, il a reconnu que l’épuisement des ressources n’était pas pour l’an 2000. Mais concernant le pétrole, il a suggéré que son prix à la consommation soit maintenu à un niveau tel qu’on puisse développer les énergies de remplacement, autrement dit que les effets de marché soient corrigés par la prise en compte du long terme. Pour ce qui est de l’énergie nucléaire, le Club de Rome est divisé pour des raisons de dissémination de la capacité de l’explosif nucléaire. Il l’est aussi pour les risques d’une maintenance insuffisante dans nombre des pays candidats. Enfin, les supraconducteurs ne sont-ils pas une révolution dans le stockage de l’énergie électrique ?
Tchernobyl est précisément survenu dans un pays où il y a une « culture de non-maintenance ». Quant à la dissémination, il est vrai que la prolifération des centrales nucléaires aboutit à la production de matières pouvant, pour certaines d’entre elles, être utilisées pour fabriquer des armes. Mais il faut être réaliste : un pays qui veut se doter de l’arme nucléaire peut parfaitement le faire, qu’il ait ou non des centrales électronucléaires ; ensuite il s’agit de savoir s’il faut retraiter ou non : en stockant le combustible en l’état, on aura dans un siècle de véritables mines de plutonium, même bien avant et alors existera une véritable prolifération. En ce qui concerne les supraconducteurs, notons au passage que la découverte a été faite dans un laboratoire de Strasbourg et que, faute de moyens, c’est IBM qui a mis au point les qualités de supraconducteur de ce composite. Mais il ne faut pas perdre de vue le fait que nous en sommes au tout début, et en admettant qu’on parvienne à stocker de l’énergie sous cette forme, il faudra le faire sous terre, de manière à faire reprendre par le terrain les efforts considérables qui seront développés dans les bobines. L’industrie pétrolière a apporté la démonstration qu’on était capable de stocker des liquides à – 150° dans des conditions économiques acceptables. Il est certain que la supraconductivité est l’une des frontières qui auront été abattues avant la fin de ce siècle.
Débats après l’exposé de M. Couture
• Quelle est l’évolution actuelle des importations pétrolières de la CEE ?
Il est clair qu’il y a une tendance très forte de la part des pays producteurs à « mettre de la valeur ajoutée » dans leurs produits avant de les exporter ; c’est une ambition justifiée de leur part et il est inévitable que le raffinage français ou européen s’adapte à ces nouvelles dispositions. Il y a déjà un accroissement sensible des capacités de raffinage dans les pays producteurs, nul doute que cette tendance s’affirmera d’ici l’an 2000. Cette situation mérite réflexion. Lorsque nous parlons sécurité, nous voyons revenir des éléments de dépendance pétrolière vis-à-vis du Proche-Orient, car nous voyons s’amplifier l’ensemble des importations de produits raffinés. Il existe donc un problème économique, car ces pays ont tendance à valoriser leur production, soit par raffinage, soit par l’achat de réseaux. Cela renforce notre dépendance à leur égard en perdant les facteurs de diversification qu’offre le brut. Mais cela ne nous empêche pas de placer notre rente là où nous jugeons préférable. La diminution chez nous du raffinage est inévitable, d’abord parce qu’il y a trop de raffineries pour ce que nous consommons, ensuite en raison de la modification du marché. Il conviendrait au moins que cette charge des produits s’exerce sur l’ensemble des pays occidentaux et non pas seulement sur l’Europe seule. Il faut donc étudier de près dans quelle mesure nous entendons maintenir une industrie du raffinage dès lors qu’il s’agit de sécurité. Certes, on doit admettre les produits raffinés, mais il faudrait que de grands pays fassent savoir à leurs fournisseurs que le jeu a ses limites en dépit de notre ouverture car nous avons des préoccupations d’une nature particulière.
Intervention de l’amiral Lacoste
• Parlant des mines marines et du danger que représentent des attaques militaires contre des pétroliers, je ne peux pas m’empêcher de rappeler qu’il y a quelques années encore nous estimions les uns et les autres que toute action militaire de ce genre dans la région du Golfe serait un véritable casus belli. Or, nous observons depuis quelque temps un nombre élevé d’attaques contre des pétroliers et nous sommes toujours en paix. Cela me conduit à poser une question fondamentale : dans quel monde sommes-nous, car il ne nous paraît plus justiciable des raisonnements que nous avons tenus jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Autrement dit, le problème qui nous agite en termes de géostratégie est de savoir comment nous pouvons gérer ce monde dangereux, de plus en plus interdépendant, en demeurant en deçà du seuil d’un conflit nucléaire. Il faut donc que les mesures de rétorsion, de dissuasion, soient suffisamment stables et connues de tous les acteurs pour nous éviter de dépasser le stade fatidique de l’irrationnel.
Si l’attaque de pétroliers dans le Golfe a été possible, c’est en partie parce que les acteurs ne sont pas les deux Grands, mais des belligérants qui échappent à la logique de l’affrontement Est-Ouest ; d’autre part, ces événements se situent dans une conjoncture générale d’excès de fret maritime. Nous avons donc là une situation particulière, mais il faut observer que les grands belligérants se sont soigneusement abstenus de recourir à des rétorsions militaires sur le plan naval. J’ai toujours été frappé par le fait que les États-Unis ont fait durant plus de sept ans la guerre au Vietnam, en maintenant une force navale qui avait la domination totale du ciel et de la mer dans le golfe du Tonkin, et que rien n’a été fait pour interrompre le trafic du port d’Haiphong : on se contentait de couper la piste Ho Chi Minh en la bombardant, mais jamais on n’a cherché à couper le cordon ombilical amenant le ravitaillement soviétique au Vietnam du Nord.
Notre problème aujourd’hui en matière d’énergie est d’essayer de considérer nos vulnérabilités à des actions restant en dessous du « seuil ». Et là, nous pouvons jouer sur le phénomène de l’interdépendance mondiale en laissant une certaine liberté aux acteurs, mais en les prévenant de la façon la plus solennelle qu’existe un seuil qu’il ne faut pas dépasser, parce que nous sommes dans un système d’équilibre dynamique. Sans doute est-ce cela qui peut garantir la stabilité du monde dans les années qui viennent.
Débats finaux
• Une vulnérabilité de notre réseau énergétique réside dans les centres d’interconnexion, ce qui est inquiétant en période de crise, car il est possible de priver la France d’électricité pendant au moins huit jours avant de parvenir au rééquilibrage du réseau. Or, depuis 1973, la consommation d’électricité augmente de 7 à 8 % l’an pour l’ensemble de la défense, ces taux étant variables selon les armées. Il y a donc là un facteur de vulnérabilité important touchant la communauté militaire. En outre, toujours en ce qui concerne la vulnérabilité, reconnaissons que les plates-formes offshore sont particulièrement sensibles à des actions ponctuelles et anonymes ; quelle est donc la proportion de pétrole offshore dans la consommation ?
Globalement, la proportion des gisements marins par rapport à la production mondiale est d’environ 18 à 20 %, et pour ce qui concerne l’Europe la mer du Nord pèse d’un poids important ; il est évident que la protection de ces centres d’extraction est fondamentale. Par ailleurs, il est certain que le réseau électrique est vulnérable et que sa mise hors-service entraînerait les conséquences que l’on imagine pour les transports ferroviaires électrifiés. Une atteinte au réseau, par sabotage ou impulsion électromagnétique, mettrait hors circuit les centrales qu’il faudrait faire redémarrer ; nous disposons pour cela des usines hydroélectriques, mais on pourrait construire des centrales à démarrage rapide qui serviraient, en temps normal, à couvrir l’extrême pointe des besoins.
• Ne serait-il pas opportun de réagir contre la désinformation touchant au nucléaire et s’opposer aux offensives de dénucléarisation dont nous sommes témoins, de manière à amener l’opinion, dont le rôle est essentiel, à une plus juste appréciation des risques mais aussi des avantages que présente cette source d’énergie ?
Une telle réaction serait d’autant plus utile que l’accès des pays en voie de développement au pétrole ne peut être garanti que si les pays industrialisés ont systématiquement recours au nucléaire civil. Il y a donc là un axe intéressant de persuasion des populations. Le sujet est cependant difficile, car il se heurte à une question de crédibilité : si j’énonce les avantages du nucléaire, mon interlocuteur me demandera qui je suis, et si je lui réponds que je suis président de la société française d’énergie nucléaire, il ne manquera pas de m’interpeller « Comment alors voulez-vous que je vous croie ? » Il y a donc un problème de communication qu’on ne doit pas négliger, et le gouvernement s’en est rendu compte puisqu’il vient de transformer le conseil supérieur de l’énergie nucléaire en un conseil supérieur de la sécurité et de l’information nucléaires. Mais il faut bien admettre que c’est un sujet de spécialistes et que la communication ne s’improvise pas. Nous avons donc à étudier de près cette question dans nos pays où les « verts » sont manifestement manipulés.
• Si l’Opep devient le régulateur du marché pétrolier, comment pourra-t-on échapper aux dangers inhérents à une seule source d’approvisionnement, ce que nous avons connu en 1973 ? Certes, il y a le nucléaire, mais aussi le gaz naturel dont on a peu parlé.
Sur le plan français, il y a eu un développement du recours au gaz naturel important, puisque si nous consommons 240 millions de tep en l’an 2000 il y en aura 30 millions de gaz naturel, soit 12,5 %. Peut-on envisager de le développer davantage pour des raisons de sécurité ? La question peut être examinée mais en bien des domaines, cela soulève quelques difficultés, notamment dans le domaine des transports du fait de l’encombrement du matériel. De plus un effort très accentué serait d’un prix hors de proportion avec les efforts que nous soutenons en d’autres domaines.
• L’acheminement du gaz par voie maritime est chose délicate et onéreuse ; de plus il y a de nombreux preneurs ; alors peut-on véritablement considérer que le recours au gaz naturel présente une sécurité réelle ? Il en va de même d’ailleurs pour le charbon importé.
Le gaz effectivement ne présente pas plus de sûreté que le pétrole ; la répartition est quelque peu différente mais les risques sont de même nature. En ce qui concerne le charbon, la situation est très différente dans la mesure où, potentiellement, l’Europe reste un producteur très important. Malheureusement, l’utilisation du charbon reste limitée à des domaines précis ; quant à la liquéfaction, outre les problèmes de coût, c’est une opération qui consomme au minimum trois tonnes de charbon pour une tonne de carburant avec les procédés les plus performants. L’Afrique du Sud est parvenue à mettre sur pied un complexe industriel en la matière, mais dans un contexte très particulier. La part du charbon dans l’économie énergétique européenne avoisine 10 % et accroître cette part prendrait énormément de temps. Son avantage réside dans le fait que les gisements sont plus dispersés que ceux du pétrole. Certes son transport présente des inconvénients, mais son stockage est aisé. De toute manière la liquéfaction du charbon reste hors de question dans l’état actuel de l’Europe.
• Est-on réellement dans un système d’énergie pilotable et piloté ? Où sont les centres de décision, s’ils existent ? Il en est certains au niveau professionnel, voire économique, mais y en a-t-il au niveau politique ?
À vue, il y a trop de pétrole, par conséquent nous avons un système dans lequel les forces d’équilibre que nous observons entre les différentes énergies peuvent être maintenues, autrement dit notre effort de diversification peut se poursuivre. Il est cependant évident que si sur la période qui s’ouvre, se produisent de nouvelles ruptures portant le pétrole à 60 dollars le baril, la maladie atteindra aussi bien les économies occidentales que les pays en voie de développement. Cela peut même entraîner des subversions politiques et sociales. Il convient donc de parvenir à un certain degré d’organisation pour assurer la stabilité du marché, mais dans ce genre d’affaires le dialogue s’ouvre quand les gens sont faibles, il se ferme lorsqu’ils se sentent forts. La négociation est donc extrêmement difficile, d’autant qu’intervient la notion libérale selon laquelle le marché a, malgré tout, une capacité d’expression et de vérité supérieure à toute forme d’organisation.
La crise peut s’ouvrir sur l’embargo, mais celui-ci atteint des sociétés suffisamment diversifiées et disposant de stocks qui leur permettent de tenir, d’autant plus qu’un embargo ne dure jamais très longtemps. Il y a aussi le chaos qui peut survenir dans les zones de production ; cela veut dire que la réflexion politique sur le Proche-Orient est fondamentale de la part de toutes les puissances intéressées.
Enfin, existe un autre type de danger : la guerre chez soi. Lorsqu’on en prend conscience, il est évident que le risque le plus immédiat est économique, et il impose une action continue ; là, les compagnies ne peuvent pas faire grand-chose car elles ne sont pas à la source du pétrole qui est maintenant entre les mains des États. Or, le jour où le marché aura retrouvé son équilibre, lorsqu’il n’y aura plus ces dix millions de barils que l’Opep pourrait déverser sur le marché, les prix seront « tirés vers le haut ». Il y a là une situation qui concerne les politiques qui doivent aménager le long terme : diversification géographique des sources et apport des énergies de substitution, choses que nous avons jugées, dans la crise, nécessaires à notre sécurité. Le gouvernement des pays et des hommes doit être autre chose que de regarder faire : il faut voir loin, et savoir que le libéralisme n’exclut pas une certaine organisation des marchés.