Aéronautique - La pénétration nucléaire préstratégique
L’ultime avertissement
La France fonde sa politique de défense sur le concept de la dissuasion du faible au fort. Elle dispose d’un ensemble cohérent d’armes nucléaires stratégiques capables d’infliger à tout adversaire des dommages insupportables au regard des avantages qu’il pourrait retirer de son agression. L’emploi de ces armes, une fois décidé par les plus hautes autorités de l’État, serait massif et définitif.
Pour que l’adversaire ne puisse contourner notre stratégie en lançant par exemple une série d’actions limitées dont aucune ne justifierait le déclenchement du feu nucléaire stratégique, la France s’est dotée, d’une part, de moyens conventionnels suffisants pour montrer sa détermination à se défendre et, d’autre part, d’armements nucléaires préstratégiques destinés à délivrer l’ultime avertissement avant le recours aux extrêmes.
Dans le cadre de la mise en œuvre des armements préstratégiques, la Force aérienne tactique (Fatac) a reçu une mission de pénétration nucléaire. Elle dispose actuellement pour l’assurer de vecteurs pilotés, aptes à délivrer l’arme AN52, dont le remplacement par le système d’armes Mirage 2000N-ASMP (Air-sol moyenne portée) débutera dès juillet 1988.
La pénétration basse altitude tout temps
Du fait de ses qualités spécifiques : rapidité, allonge, souplesse d’emploi, l’Armée de l’air s’est vu confier la responsabilité de mettre en œuvre l’arme préstratégique AN52, de conception entièrement nationale.
Les vecteurs chargés de la délivrer, le Jaguar A et le Mirage IIIE, équipent les cinq escadrons à vocation nucléaire de la force aérienne tactique. Le Jaguar A est un appareil monoplace et biréacteur. Ses capacités de ravitaillement en vol accroissent considérablement sa zone d’action. Le Mirage IIIE est, quant à lui, monoréacteur. Ces deux avions sont dotés d’un système de navigation qui permet d’assurer la mission à basse hauteur et grande vitesse, quelles que soient les conditions météorologiques.
Bien qu’intégré au sein d’un dispositif aérien, le vecteur piloté effectue sa pénétration de manière autonome, depuis le terrain de décollage jusqu’à l’objectif fixé : concentration de troupes, passages obligés, postes de commandement, aérodromes, nœuds de communication… Pour ce faire, le Mirage IIIE est équipé d’un radar et d’un calculateur de navigation. L’image du relief, fournie en vol par le radar, est comparée avec l’image prévue sur une carte de consigne, valable pour un itinéraire déterminé. Appelée « prédiction radar », cette carte est obtenue par la technique de numérisation du terrain, qui permet à un ordinateur de calculer une image « radar » très proche de celle que fournira l’équipement de bord. Le pilote dispose aussi d’un calculateur qui élabore une route à suivre – cap et distance vers un point désigné – à l’aide d’une centrale gyroscopique et d’un radar Doppler.
Deux systèmes indépendants de navigation « en aveugle » sont donc utilisés en permanence et concourent à la précision et à la sûreté de la pénétration du Mirage IIIE. Le Jaguar ne dispose pas de radar, mais la grande précision de son calculateur de navigation lui permet d’effectuer la mission de manière satisfaisante par mauvaise visibilité ou de nuit.
Au cours du vol. les charges de travail du pilote ne se limitent pas à la navigation. Il doit aussi mettre en œuvre des moyens de guerre électronique (détecteur-brouilleur, contre-mesures électromagnétiques et infrarouges) pour contrer les différentes menaces adverses (chasseurs, missiles et artillerie sol-air). Il doit enfin, le moment venu, sélectionner et préparer l’armement pour le délivrer sur l’objectif dans des conditions optimales d’efficacité.
Pour pouvoir réaliser cette mission avec les meilleures chances possibles de réussite, les navigants suivent un entraînement approprié et rigoureux. Un simulateur de vol restituant fidèlement les réactions de l’avion leur permet d’effectuer régulièrement des missions fictives dans d’excellentes conditions de réalisme (voir notre chronique aéronautique du mois d’octobre 1987). Par ailleurs, les délais de formation sur l’avion de combat sont considérablement réduits par l’utilisation de Mystère XX équipés du système d’armes Mirage IIIE (radar et calculateur de navigation, radar Doppler, centrale gyroscopique). Déchargé des opérations de sauvegarde de l’appareil par un second pilote, le personnel à l’instruction peut se consacrer à la mise en œuvre du système de navigation et se familiariser progressivement avec la mission de pénétration.
Des exercices spécifiques permettent de mesurer régulièrement le niveau d’entraînement des escadrons nucléaires. Lors de ces manœuvres « en vraie grandeur », la Fatac met en œuvre d’autres formations aériennes chargées d’assurer leur sûreté face aux menaces adverses. Ces unités sont spécialisées dans le domaine de la guerre électronique, de la destruction des installations radar et de l’attaque air-sol conventionnelle.
Disposant de systèmes d’armes adaptés et de personnels rigoureusement formés et entraînés, la Fatac est apte à assurer par tout temps et à basse altitude la mission nucléaire préstratégique qui lui est confiée.
L’avenir proche : le systeme Mirage 2000N-ASMP
La crédibilité des moyens de pénétration impose une constante évolution des systèmes d’armes pour les maintenir au plus haut niveau d’efficacité face aux améliorations apportées par l’adversaire à ses moyens défensifs.
Il devenait donc nécessaire de faire profiter les matériels de la Fatac des progrès techniques dans les domaines suivants :
• Navigation : l’utilisation de centrales à inertie et de radars de suivi de terrain permet d’améliorer la pénétration tout temps (navigation et attaque plus précises, hauteurs de vols plus faibles).
• Motorisation : les moteurs modernes ont des performances accrues qui, ajoutées aux possibilités de ravitaillement en vol des aéronefs, augmentent notablement leur rayon d’action.
• Armement : l’emport d’un missile à navigation autonome rend possible le tir à distance de sécurité (Stand off). Les systèmes de guidage actuellement développés améliorent considérablement la précision de l’arme.
• Contre-mesures électroniques (CME) : l’autoprotection du vecteur piloté peut être améliorée par l’emploi de contre-mesures électroniques adaptées aux menaces nouvelles (actives et passives), gérées par un système intégré performant.
La conception du système d’armes associant le Mirage 2000N au missile ASMP de l’Aérospatiale est le fruit de ces progrès techniques et technologiques. Dans un avenir proche, l’Armée de l’air équipera progressivement ses unités nucléaires de Mirage 2000N-ASMP, et le premier escadron ainsi modernisé sera opérationnel à la mi-1988.
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Investie d’une importante responsabilité de mise en œuvre de l’armement préstratégique, l’Armée de l’air y consacre des moyens de plus en plus performants servis par des personnels parfaitement entraînés à leur mission de pénétration basse altitude. Elle a ainsi forgé un outil indispensable à la crédibilité de la politique de dissuasion française. Les escadrons nucléaires de la Fatac sont aptes et prêts à donner à l’adversaire, sur ordre des plus hautes autorités du pays, l’ultime avertissement avant l’engagement des forces nucléaires stratégiques.