Les relations internationales dans le monde d’aujourd’hui (conflits et interdépendances)
Nos lecteurs connaissent et apprécient les écrits de Philippe Moreau Defarges, puisqu’il assure ici avec talent la rubrique « Politique et Diplomatie ». Fort de sa triple expérience de conseiller des Affaires étrangères, membre de la direction de l’Institut français des relations internationales et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, il nous offre aujourd’hui une troisième édition, revue et augmentée, de son livre sur Les relations internationales dans le monde d’aujourd’hui. Cet ouvrage, présenté de façon très pédagogique, parfaitement répertorié quant aux thèmes évoqués et noms cités, assortis d’indications bibliographiques, enrichi de tableaux et de cartes bien choisis, est en effet devenu le manuel par excellence d’initiation et de référence pour tous ceux qui, sans être des spécialistes, s’intéressent à ces questions.
Le plan de sa nouvelle édition est le même que celui des précédentes, c’est-à-dire qu’il s’articule en trois parties : données fondamentales, questions régionales, conflits et interdépendances. Mais comme l’indique son sous-titre, qui reprend l’intitulé de cette troisième partie, sa philosophie générale a évolué par rapport à celle de l’édition précédente, laquelle datait de 1984 et était sous-titrée « Les dérives de puissance ».
Après avoir ainsi rappelé les données fondamentales de notre époque que constituent le « système Est-Ouest » et « l’explosion du Sud », l’ouvrage nous présente dans sa deuxième partie une analyse très claire des principales situations régionales, analyse qui reste parfaitement opératoire bien qu’elle ait été rédigée avant l’accord relatif à la « double option zéro », qui bouleverse l’équilibre des forces en Europe, et avant aussi les escalades en cours dans le Golfe, qui internationalisent le conflit Iran-Irak. En ce qui concerne la « construction de l’identité communautaire » européenne, dont il est un des meilleurs experts, notre auteur n’est pas très optimiste, pour les raisons qu’il avait déjà développées l’année dernière dans son livre intitulé « Quel avenir pour quelle communauté ? », que nous avions eu le privilège de présenter dans cette revue. Et ne sont pas plus optimistes ses appréciations relatives à l’Afrique, qui passe fâcheusement « de la colonisation à l’enlisement », ou celles concernant l’Amérique latine, qui hésite dangereusement entre « le développement et la déstabilisation ».
Mais c’est dans la troisième partie de son ouvrage que Philippe Moreau Defarges a surtout fait porter l’effort de renouvellement de sa réflexion prospective sur la conduite des relations internationales. Il aborde alors successivement les sujets suivants : indépendances et interdépendances, sécurité-armement-désarmement, le fait nucléaire, le jeu économique, les espaces océaniques et extra-atmosphériques, et les droits de l’homme.
Tout au long de cette réévaluation viennent à plusieurs reprises sous sa plume les trois observations suivantes qui nous paraissent particulièrement dignes d’intérêt : mondialisation des relations internationales, mise en question du binôme État-Nation, développement de la notion de crise. Concernant la première, notre auteur accumule les constats : explosion du Sud (130 États non-alignés qui font la loi à l’ONU et dans ses filiales) ; multiplication de ses compétences (politiques, économiques, culturelles) ; revendication par les mêmes de la constitution d’un « patrimoine commun de l’humanité » (au fond des océans et dans l’espace) ; développement des échanges (commerce, monnaie, information, tourisme) ; perméabilité des frontières (américanisation des sociétés civiles, effet Tchernobyl) : évocation de plus en plus générale des droits de l’homme (Gorbatchev lui-même veut convoquer une conférence internationale sur le sujet) ; enfin, et nous aurions, quant à nous, insisté peut-être davantage sur ce point, médiatisation des relations internationales (sommets spectacles, diplomatie de la place publique, appels aux pôles d’opinion).
Mais, face à cette tendance mondialiste, notre auteur observe à juste titre le développement dans les relations internationales de réactions ultranationalistes, même et surtout chez les États de fraîche date, soulignant ainsi que la nation reste un « pôle majeur d’identité et de sécurité », alors que le rôle de l’État lui-même, « enserré dans les interdépendances et les contraintes », a généralement tendance à s’effriter, en particulier dans les pays développés. Enfin, pour les raisons qui viennent d’être évoquées et en conséquence du fait nucléaire, se développent des situations en équilibre instable entre la paix et la guerre, appelées crises, dont notre auteur ébauche avec bonheur la typologie. Nous aurions souhaité qu’il la prolongeât pour examiner dans quelle mesure le maniement de la force, militaire bien sûr, mais aussi économique, culturelle, et nous ajouterions volontiers médiatique, peut contribuer à soutenir la diplomatie. N’a-t-il pas d’ailleurs lui-même rappelé dans son introduction, en évoquant le témoignage de Raymond Aron, que si la diplomatie doit séduire et convaincre, il faut aussi qu’elle soit implicitement en mesure de faire peur ?
Nous en arrivons ainsi à une interrogation, majeure de notre point de vue, sur « les formes et les équivoques de l’indépendance et de la puissance » à notre époque, alors que s’opère une « redistribution de la puissance par la technologie, la démographie… ou même la religion ». Philippe Moreau Defarges l’aborde dans la conclusion de son ouvrage qu’il a intitulée « Et la France ? », dans laquelle il évoque rapidement sur le mode interrogatif la « dimension moyenne de la France », la France qui « tient à inventer l’Europe », la France qui « se veut puissance mondiale ». Ces trois questions nous apparaissent comme capitales en effet, puisqu’elles ne peuvent manquer de nous imposer prochainement des choix dramatiques, compte tenu de la limitation de nos ressources nationales et des perspectives pessimistes de l’unité européenne, qui seule permettrait d’envisager une répartition des tâches.
Nous souhaiterions donc pouvoir les approfondir avec notre ami, et profiter ainsi de son expérience pour prendre la vraie mesure de notre pays dans le monde contemporain. Mais pourquoi ne ferait-il pas de ce thème le sujet de son prochain livre, que nous attendrons de toute façon avec beaucoup d’intérêt, tant ses réflexions sont toujours lucides et exposées de façon lumineuse.