Défense en France - Revalorisation de la condition militaire - Politique de communication du ministère de la Défense
Lors des débats sur le budget de 1988, certains rapporteurs avaient fait état des contraintes de la condition militaire : mobilité, disponibilité, sous-effectifs, difficultés de logement et de reconversion. Les données numériques citées à cette occasion éclairent une situation qui est mal connue de l’opinion :
– 20 % des cadres sont mutés chaque année, avec changement de garnison ;
– le taux d’encadrement (officier, sous-officier) de l’Armée de terre est de 28 % (53 et 52 % pour l’Air et la Marine ; 35 %, 48 % et 49 % pour les armées de terre allemande, britannique et américaine) : il manque 500 sous-officiers ;
– un sous-officier du rang travaille 65 heures pendant 46 semaines, et 30 week-ends par an (Rapport Briane) ;
– 33 % seulement des épouses travaillent (63,5 % dans le milieu civil) ;
– 7 à 10 % des cadres vivent en célibataire pour ne pas compromettre les études de leurs enfants ou la situation de leurs épouses (ils étaient 2 % en 1980) ;
– la perte de pouvoir d’achat des militaires est estimée à 7 % depuis 1978 (Rapport Chauveau) ;
– 44 % des officiers et 35 % des sous-officiers n’accèdent pas aux logements militaires.
Une remise à niveau avait été effectuée en 1975-1978, mais le décalage s’est à nouveau creusé, en raison des progrès réalisés dans les conditions de travail et de temps libre de la population « civile ». En même temps, la crise de l’emploi a aggravé les difficultés de reconversion des cadres (2) et de travail des épouses. Depuis 1984, le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) s’est fait l’interprète des préoccupations et des aspirations des militaires, et a obtenu un certain nombre d’améliorations, traduites en mesures catégorielles au budget. C’est ainsi qu’une augmentation des bas salaires (engagés et appelés) et des primes de service en campagne a été inscrite au budget de 1988 (cf. chronique de janvier 1988).
Mais la situation appelait une politique de revalorisation plus globale. Après avoir mené à bien la Loi de programmation des équipements, le ministre de la Défense « a reporté son attention sur la condition militaire, et fait procéder à une réflexion d’ensemble, sous la responsabilité du directeur de la fonction militaire », et des chefs d’état-major, dans le but « d’assurer des conditions de vie qui soient le reflet de l’importance vitale de la fonction de défense, première vraie fonction de tout État, et qui soient à la mesure du dévouement et de l’immense esprit de service des personnels militaires ».
Cette réflexion a abouti à l’adoption d’un programme quinquennal qui a reçu l’aval du Premier ministre, et qui a été présenté par M. Chirac lui-même, le 3 février 1988, aux membres du CSFM. « Je sais que votre statut, a-t-il déclaré, la discrétion et la pudeur qui sont de règle chez les militaires, vous interdisent d’exprimer publiquement ce que vous ressentez, même quand vous avez à faire face, chez beaucoup de nos compatriotes, à l’ignorance et à l’incompréhension de la véritable condition qui est la vôtre… Le gouvernement est conscient des sacrifices qui sont consentis tous les jours par celles et ceux qui ont choisi de servir sous l’uniforme ».
Ce programme contient quatre séries de mesures :
– pour compenser les contraintes de la vie militaire, une revalorisation de l’indemnité pour charges militaires pendant 5 ans (10 % en 1988) ;
– pour le logement, l’amélioration des prêts d’accession à la propriété (leur maintien en cas de mutation), et un accroissement de l’offre locative en région parisienne ;
– pour la reconversion, l’attribution de pécules, le rétablissement du congé spécial, des conventions de reclassement avec les entreprises, des prêts bancaires pour la création d’entreprises, et l’expérimentation de « cellules de conversion » ;
– pour les sous-officiers retraités, l’accélération du reclassement en échelles de solde 2 et 4.
Ce plan constitue bien une revalorisation générale de la condition militaire : peut-être pourrait-on souhaiter que soit poursuivie, pendant les cinq années du programme, l’action entreprise pour la compensation des activités opérationnelles, auxquelles tous les personnels ne participent pas (3).
Politique de communication du ministre de la Défense (1)
La politique de communication est une autre priorité du ministre de la Défense, concrétisée par la publication d’un remarquable ouvrage à l’usage du grand public : La défense de la France. La présentation de ce livre aux journalistes, le 15 mars, a donné l’occasion à M. Giraud de souligner l’importance de l’information des citoyens, essentielle en temps de paix : « Aucune politique n’a de valeur sans consentement national ». Pour adhérer à la défense, le pays doit donc comprendre ce que sont les menaces, les parades et les moyens destinés à y faire face. Le ministre définit ainsi une nouvelle politique de communication, qui soit à la fois instantanée et adaptée aux moyens modernes de diffusion. La nécessité de réagir en temps réel a conduit à créer au sein du service d’information et de relation publique des armées (Sirpa), le Centre opérationnel de la presse internationale de défense (Copid). Parallèlement, un effort particulier est porté sur les moyens audiovisuels. Enfin l’information étant une responsabilité du commandement a été décentralisée au niveau des états-majors.
Le livre constitue un autre vecteur d’information, dont l’intérêt réside dans son caractère de document permanent et dans le choix des destinataires. La défense de la France est un ouvrage de 230 pages, sur lequel 80 rédacteurs ont travaillé plusieurs mois. Un premier tirage de 20 000 exemplaires est distribué aux élus locaux, aux administrations et aux établissements d’enseignement. Puis l’ouvrage sera mis en vente au prix de 145 F. Il se présente comme un album cartonné de 27x21 centimètres, dont chaque page est consacrée à un sujet particulier. Le texte est clair et concis, abondamment illustré de cartes, de photographies et de croquis panoramiques (certaines images d’écoulement des fluides sont étonnantes). L’environnement international de la France est exposé sous la forme didactique d’un album de géostratégie ; les autres parties, consacrées aux missions des armées et aux moyens militaires, humains, techniques et économiques, constituent un catalogue complet de tous les domaines de la défense (la précision sur la portée du Hadès, près de 500 kilomètres, a surpris les représentants de la presse).
La défense de la France n’est donc-pas un Livre blanc et ne prétend pas exposer de façon théorique la politique de défense de la France, mais il la traduit en formules simples, accessibles à tous. Voulant marquer la continuité de cette politique, il se réfère à Michel Debré et cite en préambule les quatre présidents de la République. Quelles en sont donc les grandes lignes ?
La France souhaite apporter une réelle contribution aux efforts de désarmement, mais elle ne peut réduire sa défense tant que les deux Grands, responsables de la course aux armements, possèdent 98 % des armes nucléaires mondiales. Le Traité de Washington du 8 décembre 1987, qui se traduira par la destruction de 3 % de ces potentiels, demande à être suivi de réductions plus importantes des forces nucléaires, classiques et chimiques. Face à la menace du Pacte de Varsovie, qui reste surarmé en dépit des déclarations de bonne volonté de Gorbatchev, la France contribue à la sécurité de l’Europe par l’effet dissuasif de ses forces stratégiques et préstratégiques, ainsi qu’en préparant l’intervention de ses forces conventionnelles et en soutenant la construction d’un pilier européen de l’Alliance atlantique. La France ne peut se désintéresser de la Méditerranée, « carrefour d’influences et de tensions » ; elle doit aussi protéger ses intérêts dans un monde déséquilibré. La stabilité des Dom-Tom et des pays d’Afrique, l’approvisionnement pétrolier, les centres de Kourou et de Mururoa, la lutte contre le terrorisme et la protection « médiatique » requièrent également des actions de défense. C’est donc à un effort constant et soutenu que sont conviés les Français pour maintenir l’efficacité minimale mais suffisante de leur défense. La Loi de programmation des équipements concrétise cette volonté.
Le désir de communication et le souci pédagogique exprimés par le ministre trouvent ainsi la possibilité d’informer et de sensibiliser les Français concernés par la défense, en particulier les contribuables et les jeunes qui sont appelés à y participer. Cette réalisation leur donnera l’image d’une armée opérationnelle, dont les hommes sont motivés et les techniques à la pointe du progrès.
(1) L’importance et l’actualité des sujets traités dans cette chronique nous imposent de reporter au mois de juin 1988 la suite de l’étude sur renseignement de défense en France.
(2) Reconversion rendue plus difficile par la loi instituant « la contribution de solidarité » (loi sur le non-cumul abrogée en 1986).
(3) Dans La défense de la France, ouvrage cité plus loin, il est affirmé que « les compensations financières ne doivent pas diminuer la disponibilité ; ce qui élimine toute idée de récupération en congés supplémentaires ». Telle n’est pas semble-t-il la politique de toutes les armées.