L'auteur, grand prix de littérature coloniale, après avoir esquissé l'histoire du Japon moderne et, notamment, décrit le culte de l’Empereur, analyse l’âme du peuple nippon.
Études et enquêtes - Au Japon (I) : La mentalité nippone avant la guerre
L’empereur dispose d’un pouvoir absolu. Tout Japonais lui doit, non seulement sa vie, mais aussi ses biens. Ses décrets sont les vrais « commandements de Dieu » du peuple japonais, de ce peuple trop poli, réservé et sournois, follement orgueilleux, qui, par son affinité avec le Mikado, pense, lui aussi, appartenir à une race de surhommes, un Herrenvolk plus grand que celui des nazis allemands. Il est persuadé que lui seul détient la vérité en toutes choses ; ceci est sans doute dû à la facilité avec laquelle, sans aucune résistance, ni de la S. D. N., ni de l’Amérique, ni de l’Angleterre, il put intervenir à Shanghai, occuper le Mandchoukouo, s’installer en Mandchourie, obliger l’U. R. S. S. à lui céder le dernier chemin de fer qu’elle possédait dans ce pays. Depuis cette époque, c’est-à-dire vers 1931, il crut sincèrement à la supériorité des Jaunes sur les Blancs, dans tous les domaines et, plus particulièrement, dans celui de la technique moderne. En est-il de même encore aujourd’hui, après son écrasante défaite et cette découverte sensationnelle qui pouvait l’anéantir ? Son visage fermé, sous lequel se cache un féroce impérialisme, ne le révèle pas.
Le peuple japonais est intoxiqué par la doctrine officielle. Dans le prolétariat, cette intoxication prend parfois des proportions émouvantes : avant la défaite, l’ancien chauffeur de taxi rêve encore du jour où il pourra conduire une grosse voiture par les rues de New-York. La ménagère japonaise, devant sa maigre ration de sucre, assure « qu’elle aura l’année prochaine plus de sucre qu’elle en veut » des Philippines. L’écolière, frissonnant dans un chandail de fibre végétale, se réchauffe d’espoir : « Bientôt, nous aurons de la laine merveilleuse d’Australie. » Et c’est ainsi pour le reste, le coton de l’Inde, le riz de Birmanie, le café de Java, le pétrole de Sumatra. La doctrine totalitaire garda le Japon dans une boîte hermétiquement close, à l’abri de toute infiltration extérieure et de tout contact jugé pernicieux. Les postes de radio à ondes courtes furent bannis, les livres de l’étranger furent bannis, les films furent bannis, les nouvelles non officielles furent bannies ; l’oreille du public fut bourrée de coton et sa bouche muselée. Le moral se garda, ainsi, au niveau d’un mirage.
Les affiches exhortent le public à se préparer à un exode général vers le sud. « Nempof vers le Sud ! » est le cri de ralliement. Des écoles linguistiques, enseignant toutes les langues, depuis le thaï jusqu’au tagalog, surgissent dans tous les coins de l’Empire. On offrit partout, aux hommes et aux femmes, des cours sur diverses branches de sciences appliquées, de médecine, d’affaires, d’administration, d’agriculture. Il est surprenant de voir, même pendant les mois qui précédèrent la défaite, l’empressement dont firent preuve les Japonais à l’égard de cet enseignement, la foi avec laquelle ils restaient persuadés qu’ils garderaient et reconquerraient toutes leurs possessions. Cette foi les soutint, provoqua une excitation qui touchait à l’extase, à l’occasion d’une victoire ou de toute autre nourriture propre à soutenir le moral du public — le moral et non le physique, — car la situation économique n’était pas brillante : nourriture, combustibles et vêtements étaient rationnés et les rations insuffisantes au maintien du confort et même de la santé.
Il reste 64 % de l'article à lire