Les débats
• Il a été question du déséquilibre entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine : celle-ci est-elle homogène ?
Le Mexique a mené une politique de limitation des naissances extrêmement vigoureuse depuis presque quinze ans en ayant même recours à la coercition. Il y a donc eu une chute très importante de la natalité au Mexique, mais ce n’est pas le cas dans le reste du continent latino-américain non plus qu’en Afrique.
• Il y a un élément que nous oublions toujours lorsque nous parlons de nos traditions assimilatrices : c’est l’enjeu religieux et culturel. Les assimilations en France tout au long des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles concernaient des populations judéo-chrétiennes qui avaient donc un certain nombre de facteurs communs. Ce n’est pas le cas des populations venues de l’autre côté de la Méditerranée, et je crois que c’est un problème extrêmement important et qui n’existe pas entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine : s’il y a des différences de couleur de peau, il s’agit toujours néanmoins de peuples en majorité chrétiens.
Si actuellement on n’enregistre pas de changement du taux de fécondité des pays au sud de la Méditerranée, il pourrait en être différemment à l’avenir. Je reviens d’Égypte et d’Algérie et de nombreux jeunes m’ont assuré que dans un délai très rapide il y aurait une politique restrictive qui, sans aller aussi loin que celle du Mexique, n’en serait pas fort éloignée. Mais n’oublions pas qu’il y a dans ces pays des facteurs hostiles à une telle politique de contrôle, à commencer par les sectes, mais il se peut que la pression de la nécessité puisse conduire les responsables politiques à vouloir maîtriser la démographie et il n’y a rien dans le Coran qui l’interdise.
• Du point de vue géostratégique, il serait opportun de verser au dossier les chiffres concernant la démographie de « l’empire éclaté », car il y a des différences considérables entre les diverses régions.
Pendant très longtemps les Russes ont constitué 60 % environ de la population de l’URSS, et la très forte fécondité musulmane a fait remonter la part des républiques d’Asie centrale et de Transcaucasie au point qu’on peut prévoir d’ici une vingtaine d’années un équilibre entre le nombre des musulmans et celui des Russes.
• En Europe, à partir de 1993, peut-on envisager l’élaboration d’une législation commune qui estompera les différences actuelles ?
Il est fort délicat d’harmoniser des politiques migratoires, aussi bien en ce qui concerne les clauses d’entrée que celles permettant la naturalisation. Chaque pays porte derrière lui une longue histoire, avec une tradition coloniale souvent, et on ne peut pas faire abstraction de cet héritage culturel et historique. De plus chaque pays a ses préférences en la matière et on voit mal une harmonisation à l’échéance de quelques années ou même de quelques décennies.
• Un des facteurs de l’assimilation est le mariage mixte ; or il ne semble pas que cette pratique soit très répandue entre Maghrébins et Français. D’autre part la politique libérale, pour ne pas dire laxiste, de la France en matière d’immigration ne risque-t-elle pas de favoriser l’entrée dans la Communauté d’immigrés désirant s’installer dans d’autres pays européens à partir de 1993 ?
Il y a officiellement peu de mariages mixtes, mais les statistiques sont trompeuses, car les Algériens résidant en France ne sont pas décomptés comme étrangers dès lors qu’ils ont été francisés à la naissance, leurs parents étant en Algérie avant les accords d’Évian. De toute manière, la fréquence des mariages mixtes est bien moindre que ce qu’elle fut au début du siècle avec les autres communautés européennes. D’autre part, si une réelle politique d’immigration s’avère difficile au sein de la Communauté européenne, il serait très grave de ne pas avoir des critères communs d’accès, car il suffirait, à partir de 1993, qu’un seul pays parmi les Douze laisse entrer librement n’importe qui pour lui permettre de se déplacer dans les autres pays. C’est un problème très important qui n’est pas résolu pour le moment.
• La situation démographique des pays d’Europe de l’Est est-elle comparable à celle que nous enregistrons chez nous ?
La plupart de ces pays ont adopté des politiques démographiques qui ont obtenu plus ou moins de succès, mais d’une manière générale leur situation démographique est bien moins catastrophique que celle des pays d’Europe de l’Ouest. L’Union soviétique renouvelle très largement ses générations, la Pologne est bien au-dessus du niveau et dans les autres démocraties populaires on n’a pas de situation aussi préoccupante que celle de la RFA ou de l’Italie.
• Dans nos sociétés développées, la baisse du taux de natalité est le signe que l’individu a, vis-à-vis de la collectivité, un rapport différent de celui qu’avaient ses ancêtres et qu’il considère que cette collectivité doit lui apporter le bonheur. Il y a donc quelque chose de commun entre la démographie et la défense : le changement d’esprit à l’égard de la natalité correspond aussi à un changement d’esprit à l’endroit de la défense. Une réponse à cette situation est, certes, d’insister sur nos valeurs traditionnelles, mais est-ce que le changement n’est pas tel qu’il faille imaginer une autre défense, car je doute que la famille puisse retrouver son rôle traditionnel ?
Nous sommes en train de vivre la fin d’un empire, et je ne suis pas certain qu’une société avec des familles monoparentales, environnées d’homosexuels qui d’ailleurs ne se reproduisent pas et de drogués, soit une société qui ait de l’avenir. Il ne semble pas qu’il y ait d’autre solution qu’un retour aux schémas classiques, et s’il en existe une, il serait intéressant de la trouver. Il faut serrer les rangs sur des valeurs éprouvées.
• Toutes les civilisations ne meurent pas de la même manière : les unes meurent de langueur, les autres sont assassinées. Si la famille continue à se dissoudre, il est évident que la reproduction de la population ne sera pas assurée et que la fécondité en France, qui est actuellement insuffisante, pourrait tomber au niveau allemand ou italien. C’est-à-dire que dans cinquante ans il n’y aura plus de nation française : le territoire sera occupé par d’autres et la civilisation française, la nation française, son histoire, sa langue, disparaîtront. Cela dit, le pire n’est pas toujours sûr. Rien ne dit, parce que la famille s’est décomposée entre 1975 et 1985, que le mouvement va se poursuivre. On assiste au contraire aujourd’hui à une certaine stabilisation. Je ferai observer aussi que la population française est composée de deux sous-populations qui n’ont pas les mêmes comportements. Actuellement les trois quarts continuent à se comporter d’une manière parfaitement traditionnelle et sont capables à eux seuls d’assurer la survie de la nation. Dans le cadre du mariage actuellement la reproduction des générations est presque assurée. Il en a été de même dans le passé. Dans la France du XIXe siècle, un certain nombre de familles pratiquant une politique égoïste n’avaient pas d’enfants : en 1930 leur proportion dépassait 20 % des foyers français. Ces familles se sont éteintes. Nous ne descendons pas de toutes les familles d’autrefois, nous sommes les héritiers des familles les plus nombreuses qui ont assuré la continuité de la population française. Cette reproduction différentielle était si forte qu’en 1914 les deux tiers des combattants étaient issus d’un tiers des familles seulement. Je pense donc que les marginaux vont s’éliminer. Comme disait Chaunu, « la stérilité n’est pas héréditaire ». et sans doute reste-t-il une importante fraction de notre population pour assurer l’avenir de la nation.
• En ce qui concerne les statistiques soviétiques, les démographes sont fort gênés, car ils savent qu’elles ne sont pas exactes. De plus, certaines informations font état d’un taux de mortalité infantile de l’ordre de certains taux du Tiers-Monde. Il en irait de même pour la tranche des hommes de 35-45 ans. Ces phénomènes ne sont-ils pas en mesure de modifier brusquement la situation ?
Les données soviétiques sont douteuses et peut-être même falsifiées, comme Gorbatchev l’a reconnu pour les données économiques. On peut donc émettre des doutes sur celles fournies sur la mortalité en URSS. Malgré tout, on ne peut nier que le pays bénéficie globalement d’un taux de fécondité satisfaisant.
• En RFA et en RDA, de 1945 à 1974, les courbes de natalité sont sensiblement les mêmes : le taux de fécondité chute des deux côtés à partir de 1963-1964. La République démocratique allemande, dès 1974, a mis en place des procédures (elle a adapté les lois hitlériennes sur la natalité), de sorte qu’à l’heure actuelle le taux de fécondité y est de l’ordre de 1,6, alors qu’il est de 1,3 et même un peu moins en RFA. C’est dire combien une intervention étatique peut favoriser la natalité. Le taux de natalité en Allemagne de l’Est a même connu une remontée encore plus forte puisqu’il est maintenant de 1,8. L’écart de fécondité par femme entre les deux Allemagnes est d’environ 0,5 enfant. Ce n’est pas rien, cela représente 25 % du niveau de remplacement et à long terme cela finit par avoir des conséquences sur la pyramide des âges.
• La France a eu de 1975 à 1981 une politique d’aide au troisième enfant. On a beaucoup discuté de son efficacité : peut-on avoir aujourd’hui un avis motivé ?
L’analyse avait montré que 80 % de la baisse de la natalité était imputable à la diminution des naissances après le deuxième enfant. La plupart des mères travaillent, elles arrivent avec leur époux à gérer la venue de deux enfants, mais la naissance d’un troisième implique souvent que la carrière soit brisée. Il fallait donc encourager la venue de ce troisième enfant et il semble qu’on ait obtenu des résultats car il y a eu une légère remontée de la natalité coïncidant avec l’application des mesures prises. Mais au début des années 80, on a engagé une politique contraire, consistant à dire qu’il ne s’agissait pas d’encourager tel type de famille car tous les enfants étaient égaux. On a donc redressé la barre en cassant de ce fait même la dynamique mise en place auparavant.
• Jadis on avait des enfants parce qu’ils assuraient la vieillesse des parents ; il n’y avait pas de retraite, donc pas d’effort de la collectivité pour garantir cette sécurité ; la descendance atténuait une inquiétude. Il en va de même en ce qui concerne la défense. On a le souci de se défendre si l’on ressent une menace : où est maintenant la menace ? Attitude face à la natalité ou face à la défense, il y a un point commun.
Si autrefois les gens avaient des enfants, ce n’était pas pour des raisons purement utilitaires : avoir des enfants attirait sur soi la considération et consistait à se conformer à des modèles culturels où la famille nombreuse était valorisée. L’inquiétude dont vous faites mention existe aujourd’hui : les gens ne sont sans doute pas très sensibles aux conséquences lointaines de la dénatalité, mais ils commencent à avoir très peur à l’idée qu’on ne pourra pas payer les retraites. Sur la base de cette inquiétude ne peut-on définir une nouvelle politique ?
• En ce qui concerne le service militaire des binationaux, il faut savoir qu’en 1987, 6 200 garçons ont été dispensés du service pour raison de binationalité mais on ignore de quelle autre nationalité ils étaient : algérienne, allemande ou britannique ? Il est, de plus, très difficile de faire le point à propos des Algériens, car l’accord n’est entré en vigueur qu’en 1984 et on ne pourra le faire qu’avec la classe 87, sans oublier d’attendre que les reports d’incorporation soient écoulés ; ce qui remet l’analyse à 1990. Ce que l’on sait, c’est que pour cette classe il y avait 30 % d’options pour l’Algérie et je crois savoir qu’on approche de 40 % actuellement. Cela ne signifie pas que ces garçons aillent faire leur service en Algérie puisque le taux d’incorporation Y est de 15 % compte tenu de la natalité. C’est donc une façon pour les « beurs » d’échapper au service. Lié à ce problème, il y a celui de l’incorporation de ceux-ci dans l’armée française : ils ne donnent pas toujours satisfaction et s’il fallait tous les incorporer, on aurait certainement des difficultés de commandement.