Armée de terre - La Brigade franco-allemande (BFA)
La Brigade franco-allemande (BFA) a été baptisée officiellement le mercredi 11 janvier 1989 à Boblingen dans le sud-ouest de la République fédérale d’Allemagne (RFA). La prise d’armes organisée en cette circonstance a été commandée conjointement en deux langues par le Chef d’État-major de l’Armée de terre française, Gilbert Forray, et son homologue de la Bundeswehr, l’inspecteur général von Ondarza.
Le chemin a été long et semé d’embûche pour en arriver là. Après l’échec de la Communauté européenne de défense en 1954, la coopération franco-allemande s’est trouvée renforcée par le traité de l’Élysée signé en 1963 par le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer.
D’emblée, cette coopération s’insérait dans un cadre plus large. En 1962, le président de la République française accueillait le chancelier Adenauer en déclarant : « La France et l’Allemagne se sont combattues pendant des années et y ont sacrifié le meilleur de leur jeunesse. Pourquoi ont-elles fait cela ? Parce que chacune voulait construire l’Europe aux dépens de l’autre. Monsieur le Chancelier, construisons l’Europe ensemble ».
Divergences
La perspective de ce vaste objectif n’a pas toujours simplifié la coopération militaire et industrielle entre les deux pays.
Cependant, c’est surtout leur situation géopolitique respective qui pose des problèmes fondamentaux. La RFA est une puissance continentale qui s’organise militairement face à la seule menace qu’elle prend en compte : celle du Pacte de Varsovie. La France, elle, veut conserver des responsabilités mondiales ; elle doit, en conséquence, plus disperser ses efforts en matière militaire.
La RFA considère que la meilleure garantie de sa sécurité réside dans un système de commandement intégré où chaque coup de l’adversaire impliquera de fait tous ses alliés, y compris les États-Unis. Elle a bien sûr intérêt dans ce cadre à ce que la France s’engage davantage dans le commandement intégré et au plus tôt dans la bataille de l’avant, afin de pallier certaines faiblesses du dispositif allié et d’éviter la nucléarisation de son territoire. La France, puissance nucléaire solidaire mais indépendante ne peut accepter que ses forces échappent à son contrôle, sans remettre en cause les fondements de son concept de défense.
À ces divergences, la BFA, dans l’état actuel des projets, n’apporte ni réponse ni même une approche de leur règlement. Les troupes allemandes qui la composeront sont territoriales et ne dépendent donc pas du commandement intégré. Par ailleurs, rien n’indique aujourd’hui que les conditions de son intervention soient très différentes de celles de n’importe quelle unité de la 1re Armée, si elle était conduite à faire autre chose qu’assurer la sécurité des arrières du groupe armée centre. Y voir dès maintenant l’instrument ou le signe d’un rapprochement de la France ou d’un éloignement de la RFA vis-à-vis du commandement intégré serait donc abusif.
« Laboratoire »
Les déclarations officielles permettent toutefois de représenter la brigade franco-allemande comme une démarche originale, s’inscrivant dans la perspective de l’émergence progressive d’une défense européenne et comme la manifestation matérielle des intérêts de sécurité communs aux deux nations.
M. François Mitterrand déclarait à ce sujet devant l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) le 11 octobre 1988 : « L’alliance militaire avec l’Allemagne n’a pas pour objet de se substituer aux forces de l’Otan. Nous ferons le plus possible pour cimenter un pilier européen de l’Alliance. C’est un objectif qui continue d’être devant nous. En 1992-1993, si nous avons réussi, nous serons en mesure de faire un pas déterminant pour donner un contenu réel, et non pas seulement imaginaire, à la défense commune de l’Europe » (voir Défense Nationale, novembre 1988).
Dans cette perspective, la brigade sera un véritable « laboratoire » permettant de rechercher en vraie grandeur, chaque fois que possible, l’harmonisation des procédures, des conditions d’exécution du service, des conditions de vie des unités, de favoriser le rapprochement des hommes et d’accroître la standardisation des matériels.
En ce début de l’année 1989, seuls 55 militaires – 24 Allemands et 31 Français – y servent au sein de son État-major sous les ordres du général Jean-Pierre Sengeisen (France) et du colonel Wassenberg (RFA), et c’est en 1991 que les 4 200 hommes qui la composeront devraient effectuer leur premier exercice à effectif complet.
Elle sera commandée alternativement par un Français ou un Allemand pour une période de 2 ans, et les postes de responsabilité – adjoint, Chef d’État-major et chef opérations – seront également répartis entre les deux armées d’une façon planifiée.
Sa composition s’articulera autour de deux unités d’infanterie de même importance (un régiment français, un bataillon allemand), d’un régiment de blindés français et d’un bataillon d’artillerie allemand. Les éléments d’appui et de soutien seront fournis, à niveau sensiblement égal, par les deux armées.
Adaptations
Seuls, l’État-major et l’unité de commandement et de soutien seront mixtes. Cette situation, expérimentée dès aujourd’hui à Boblingen, a déjà permis de mettre en exergue la nécessité de certains aménagements et de proposer un catalogue de solutions possibles. À titre d’exemple, la disparité entre les soldes – à ancienneté égale, le soldat allemand appelé gagne deux à trois fois plus que son homologue français – crée des problèmes de cohabitation dans les casernes de la Bundeswehr, où la vie est plus chère que dans les foyers français.
Les forces françaises en Allemagne ne paient ni taxes, ni redevances indirectes sur les biens qu’elles achètent, ce qui n’est pas le cas de l’Armée allemande. Il faut donc mettre en place un mode de calcul adéquat pour estimer le surcoût des approvisionnements des troupes françaises assurés éventuellement par les Allemands. L’administration des unités mixtes et des unités nationales implantées dans une garnison dont l’autre partie est responsable oblige de choisir sur le plan administratif entre le critère géographique et celui de la nationalité. La subordination directe des militaires allemands aux supérieurs français pose également des problèmes en regard d’une lecture stricte de l’article 24 de la loi fondamentale, qui interdit à des officiers français de donner des ordres à des soldats allemands. Par ailleurs, la loi allemande reconnaît aux militaires de la Bundeswehr ou aux civils chargés de la garde des installations militaires, des facilités qui ne sont accordées qu’à eux seuls ; la convention de Londres ne donne aux forces étrangères stationnées en RFA que le droit de garder leurs propres installations.
D’autre part, la notion de légitime défense est plus restrictive dans la législation française qu’en droit allemand, ce qui réduit les possibilités d’intervention des sentinelles françaises.
Tout cela demandera donc des adaptations réglementaires et juridiques, dont l’adoption plus ou moins rapide prendra valeur de test avant le premier exercice à effectif complet de 1991.
Composition de la Brigade
État-major mixte (Boblingen)
Escadron de reconnaissance français (Boblingen)
1 bataillon d’infanterie motorisée allemand (Boblingen)
1 bataillon d’artillerie allemand (Horb)
1 régiment blindé français (Donaueschingen)
1 régiment d’infanterie motorisée français (Donaueschingen)
1 compagnie du matériel française (Donaueschingen)
1 compagnie du génie allemande (Donaueschingen)
1 bataillon de soutien mixte (Stetten)
1 groupement d’instruction français (Stetten)
1 compagnie de chasseurs de chars allemande (Stetten)
Dates clés
19 juin 1987 : le chancelier Kohl propose de constituer un groupe franco-allemand de défense.
12-13 novembre 1987 : lors de la 50e rencontre franco-allemande au sommet, le projet de brigade franco-allemande se précise.
22 janvier 1988 : lors du 25e anniversaire de la conclusion du Traité de l’Élysée, la mise sur pied de la brigade mixte est décidée.
18 avril 1988 : les deux ministres de la Défense, Manfred Wörner et André Giraud, approuvent les directives de montée en puissance de la brigade franco-allemande.
3 octobre 1988 : l’état-major de montée en puissance débute ses travaux à Boblingen.
1er octobre 1989 : mise sur pied de la brigade, sans l’escadron français d’investigation, sans le régiment blindé français et sans l’unité française d’instruction.
1er octobre 1990 : mise sur pied complète de la Brigade franco-allemande, avec toutes les unités. ♦