Armée de terre - L'armement terrestre et la coopération multinationale
Les matériels de pointe dont l’Armée de terre a besoin – les hélicoptères en particulier – sont de plus en plus sophistiqués, de plus en plus performants et il est permis de penser qu’ils seront de plus en plus efficaces. Cette augmentation, satisfaisante pour l’esprit, de la qualité des produits s’accompagne malheureusement d’une augmentation tout à fait exponentielle des coûts. Or partout les budgets militaires sont en stagnation, voire même dans certains cas en diminution. Si l’on ne parvient pas à infléchir cette inflation, à court terme, les Nations européennes ne pourront plus se payer – chacune prise isolément – les chars ou les hélicoptères dont leurs armées ont besoin.
Dans ce contexte, et au moment où la nécessité de faire l’Europe s’impose à tous, la coopération multinationale est une solution qui devra être généralisée.
Elle a pour but de réaliser un effet d’échelle propre à affronter les défis, financier principalement mais aussi technologique et commercial que représente un programme ambitieux.
Cependant les conditions du succès, qui sont à l’expérience bien connues, devront être impérativement réunies et le fonctionnement de ces associations significativement amélioré.
Avantages multiples
La coopération multinationale peut être définie comme la mise en commun des moyens destinés à exécuter le développement, l’industrialisation et la production d’un matériel.
Ainsi le regroupement de partenaires réalise une puissance technico-financière présentant des avantages déterminants.
Sur le plan financier tout d’abord, l’effet d’échelle est un phénomène bien identifié par les économistes. Les courbes des coûts unitaires représentés sur le diagramme en fonction des quantités produites possèdent la forme classique en U montrant qu’il existe une quantité optimum à produire pour minimiser les coûts.
Les trois courbes correspondent à des échelles de production différentes : la courbe C1 pour une Nation par exemple, la courbe C2 pour 2, etc. Il apparaît donc clairement qu’au fur et à mesure qu’on change d’échelle de production on améliore les rendements.
Ainsi la coopération multinationale permettra à la fois d’augmenter les quantités produites en série mais aussi l’échelle de l’entreprise et partant, d’optimiser les coûts.
Parallèlement, à l’échelon d’une seule Nation européenne l’outil industriel à conserver et à entretenir est en général surdimensionné et régulièrement sous-employé.
Les besoins nationaux sont en effet limités et imposent des discontinuités de production qui sont génératrices de surcoûts importants. La volonté politique de maintenir en état un outil industriel performant ne peut ignorer plus longtemps les impératifs de rentabilité qui doivent y être attachés. La coopération et donc la production plus importante et raisonnablement étalée dans le temps, permettent un lissage de la production favorable.
Graphique - Coût optimum
Au plan technologique, l’application du principe de concentration des efforts, c’est-à-dire par exemple la mise en commun des informations sur les techniques de pointe, disponibles chez l’un ou l’autre des partenaires, permettra sûrement de faire face plus rapidement et plus efficacement aux défis permanents en matière d’armement.
Au plan commercial – et celui-ci est lié au plan financier – l’impact à l’exportation d’un programme d’hélicoptères qui bénéficie, en raison même de la coopération, d’une caution multinationale sera très probablement plus important.
Il existe dans le passé de très bons exemples de coopération : l’association de l’Aérospatiale et de Westland a permis de réaliser les séries de Sud-Aviation SA340 Gazelle, Westland Lynx et SA330 Puma qui représentent un nombre total d’appareils produits supérieur à 2 500.
La voie a donc été tracée. À l’avenir la coopération multinationale sera une nécessité vitale car, par l’optimisation de l’instrument de production, elle permettra aux Nations européennes associées de préserver des possibilités d’équipement à hauteur de leurs ambitions.
Les conditions du succès
Malgré ces succès, la coopération multinationale se heurte à des difficultés importantes : complexité de l’organisation à mettre sur pied, lenteur des procédures, duplication inévitable de certains travaux, nécessité permanente de compromis, etc. Leurs succès futurs seront conditionnés par la réalisation simultanée de trois conditions essentielles :
• La volonté politique tout d’abord. Elle a été à l’origine de nombreux exemples de réalisations communes au cours des 30 dernières années. Elle a permis, entre autres, le démarrage du programme HAP/HAC (hélicoptère appui-protection/hélicoptère anti-char).
Elle est formellement indispensable. Le vent de l’histoire semble actuellement favorable, l’idée européenne progresse régulièrement sur le plan économique et discrètement dans le domaine de la défense. Il est peu probable qu’à l’avenir la volonté politique puisse venir à manquer. Elle devra pourtant imposer encore des rapports entre partenaires plus simples et plus confiants nécessitant une organisation plus légère.
• L’harmonisation des concepts de défense, ou plus modestement dans le cas d’un programme d’hélicoptères de combat, l’harmonisation des concepts d’emploi. Elle peut être menée indépendamment d’un programme particulier par les États-majors et pourrait être acquise au préalable. Le concept d’emploi est un facteur déterminant important de l’architecture générale d’un hélicoptère. Ainsi par exemple, un hélicoptère antichar et un hélicoptère de protection air-air seront équipés de systèmes d’armes bien différents.
La demande des États-majors devrait aboutir à une similitude aussi grande que possible du besoin pour éviter les compromis pénalisants en termes de performances.
• La convergence des intérêts industriels enfin. Les associations plus ou moins imposées de l’extérieur entre industriels donnent rarement de bons résultats. L’intérêt bien compris est un puissant facteur de cohésion.
Ces trois conditions au moins doivent être réalisées simultanément. La non-satisfaction d’une seule peut conduire à l’échec.
* * *
Ainsi l’industrie d’armement, dans sa course à la sophistication et à la performance – seule voie possible – suit une évolution qui dépasse la capacité d’une Nation européenne. L’impérieuse nécessité de rester néanmoins présents sur le terrain industriel tout en maintenant des coûts acceptables impose aux Européens de coopérer.
L’habitude de travailler ensemble devrait permettre d’établir la confiance réciproque suffisante pour que chacun consente librement à l’abandon d’une partie de son autonomie, faisant ainsi un pas supplémentaire dans la voie de l’avenir européen. ♦