Défense en France - L'observatoire social de la défense
Placé au sein de la Direction de la fonction militaire et des relations sociales (Voir chronique d’avril 1989), l’Observatoire social de la Défense (OSD) a succédé en 1988 à l’Observatoire de la condition militaire (OCM). Créé le 1er janvier 1984 par le contrôleur général Cailleteau, l’OCM avait pour mission de « recueillir, mettre en forme et actualiser l’ensemble des données, principalement quantitatives, permettant de rendre compte de la situation des militaires de carrière, retraités ou appelés, en particulier concernant le recrutement, la formation, la carrière, les conditions de vie et de travail, les situations familiales, le revenu et le retour à la vie civile ».
La réforme de 1988 a étendu cette mission aux personnels civils de la Défense. Dirigé par un administrateur civil et regroupant 3 fonctionnaires civils, 3 officiers, 1 sous-officier, 6 scientifiques du contingent et 3 secrétaires, l’OSD conduit des analyses sociales faisant appel aux méthodes et techniques de sciences humaines, diffuse les résultats obtenus et les compare aux travaux réalisés à l’extérieur, définit la nature et la forme des données statistiques à conserver par les armées et services.
Il travaille à l’intérieur de la Défense en liaison avec les directions de personnels et des services financiers, avec le centre de sociologie de Défense nationale, à l’extérieur avec l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques), le CEREO (Centre d’études et de recherche sur l’emploi et la qualification), et le SOWI (Sozial-wissenschafliches Institut der Bundeswehr). Il publie trois à quatre fois par an un bulletin d’information statistique.
L’OSD a procédé depuis 1984 à des études et des enquêtes sur des sujets très divers :
– la formation professionnelle des appelés, et leur sélection (système Espace),
– l’insertion des militaires en fin de service,
– le recensement des réservistes affectés,
– l’évolution des pensions militaires,
– les conditions de vie des personnels (mutations, vie familiale, logement, rémunérations, permissions, loisirs, emploi du conjoint, etc.),
– le développement du Sida et de la toxicomanie.
Trois documents de base sont établis chaque année :
• L’atlas du recrutement recense les origines et les qualifications de toutes les catégories de personnels.
• L’atlas des départs fait le point des conditions de sortie des personnels. Il montre en particulier qu’une grande partie des départs ont lieu avant 15 ans de service, soit 50,5 % des départs de l’Armée de terre, 46,8 % des marins, 32,4 % des aviateurs et seulement 10,7 % des gendarmes. La moitié de ces départs se produisent à 3 ans (Terre), 5 ans (Marine) et 6 ans (Air) de service.
• Le bilan social de la défense précise la répartition des personnels par armée et service, grade et catégorie, âge et sexe, région et rémunération, indique les flux d’entrée et de sortie, fait le point de l’action sociale des armées, ainsi que des problèmes des personnels civils : formation, sécurité, représentation syndicale. On apprend ainsi qu’en 1987, il y eut 53 000 jours d’arrêts de travail.
Pour donner un éclairage des résultats obtenus, on citera trois enquêtes, réalisées en 1987 et 1988, sous forme de questionnaires postalisés, et qui sont d’une grande utilité pour la définition des politiques de personnels, d’aide au logement et à la reconversion.
L’une concerne l’emploi du conjoint féminin ; elle montre que les femmes de militaires accusent un retard de dix ans par rapport à la progression de l’emploi en milieu civil, où 75 % des femmes travaillent, alors que la proportion est de 40 % pour les femmes de sous-officiers, 32 % pour les femmes d’officiers. Les motivations invoquées sont la recherche d’un second salaire pour celles qui travaillent, l’éducation des enfants pour celles qui ne travaillent pas (quelques-unes cependant ne trouvent pas d’emploi). Un certain nombre d’épouses d’officiers subalternes et de sous-officiers servent dans les Armées (air : 13 à 20 % ; terre : 5 à 7 %). 55 % travaillent dans la fonction publique.
Les conditions de résidence des cadres ont été précisées par une enquête de 1987. La majorité (62 %) est en location dans le secteur civil, dont 50 % en maison individuelle et 25 à 33 % dans de petits immeubles. 33 % des officiers et 43 % des sous-officiers occupent un logement militaire, dont ils estiment le loyer modéré. Le poids budgétaire de la location est jugé négligeable ou facilement supportable par les gendarmes ; c’est en revanche une lourde ou très lourde charge pour 50 % des cadres des Armées de terre et de l’air. 41 % des officiers accèdent à la propriété ou sont propriétaires, proportion qui atteint 70 % pour les officiers supérieurs de la Marine ; pour les sous-officiers supérieurs, la proportion varie de 51 % (gendarmerie) à 72 % (officiers-mariniers). La population militaire se situe ainsi en retrait de la société civile pour l’acquisition terminée de sa résidence principale, mais elle participe très vigoureusement au mouvement d’accession à la propriété.
Le dernier rapport, publié en mars 1989, concerne les conditions de retour dans le civil des militaires n’ayant pas acquis droit à pension, à savoir ceux qui sont partis en 1987 avant 15 ans de service. Les trois quarts des sondés ont quitté l’armée volontairement, et ont cherché un emploi en s’appuyant sur l’image professionnelle de leur armée d’origine. Au moment de l’enquête (automne 1988), 18 à 25 % selon les Armées sont au chômage, taux supérieur au taux national des 25 à 39 ans (7,8 %). Parmi les moins de 24 ans, 64 % ont connu une période de chômage, surtout ceux dont le niveau scolaire est inférieur au baccalauréat. La recherche du travail est donc facilitée par le niveau de qualification, les contrats de travail accompagnés d’une formation étant très valorisants, alors que les stages du type TUC (Travaux d’utilité collective), SIVP (Stage d’initiation à la vie professionnelle), ANPE (Agence nationale pour l’emploi) et Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes) ont peu d’effet. En élargissant le cercle des relations, la vie en couple favorise la réinsertion : les mariés se reconvertissent mieux que ceux qui vivent en concubinage, qui eux-mêmes devancent les célibataires, lesquels précèdent les veufs, divorcés et séparés. Les aviateurs ont de meilleures chances de réinsertion et bénéficient de salaires nets plus élevés (6 700 F par mois contre 5 400 pour les anciens de l’Armée de terre).
À côté de ces travaux donnant une image de l’actualité ou du passé proche, les rédacteurs de l’OSD réfléchissent à l’avenir. C’est ainsi que l’un d’eux a imaginé une réforme du service national, visant à réduire le nombre des exemptions médicales, considérées comme les plus injustes. Selon le livre de G. Moreau (indiquant les voies et moyens de cette « débrouillardise »), en effet, « le service militaire est laissé aux moins protégés et aux moins débrouillards ». Le système proposé élargit la proportion des dispenses sociales en avantageant les familles nombreuses : les dispenses seraient ainsi accordées aux garçons dont deux frères ou sœurs auraient effectué le service, soit à 30 000 jeunes dans les conditions démographiques actuelles. Pour satisfaire les besoins des Armées et des services civils (270 000), on aurait alors 50 000 dispenses et 80 000 exemptions, au lieu de 20 000 et 110 000. Cette redistribution de « l’impôt du temps », s’appuyant sur des critères familiaux, proches en fait du quotient familial appliqué à l’impôt sur le revenu, présente l’avantage d’avoir un coût nul, de valoriser le service féminin et d’amorcer une politique d’incitation nataliste. Elle laisse une marge de manœuvre pour affronter de futures déflations d’effectifs, ainsi que l’abaissement de la ressource inscrite dans les faits dès 1996. Ses modalités et ses conséquences mériteraient d’être affinées par des démographes. ♦