Armée de terre - La conscription : des atouts à ne pas négliger
À l’époque de la célébration du bicentenaire de la Révolution et bientôt de la bataille de Valmy, est-il encore utile d’insister sur la puissance de toute une Nation en arme au service d’un idéal fort comme celui de la survie de la patrie menacée et de ses valeurs ?
Sans doute, puisque ces derniers mois, les critiques sur le service national ont souvent pris l’ascendant sur ses vertus. Il importe donc de faire le point sur les atouts qu’il apporte à la crédibilité de notre défense, à l’Armée de terre et aux citoyens, avant d’imaginer un système de substitution ou d’étudier sa meilleure adaptation à un contexte évolutif.
La conscription constitue un point capital de la crédibilité de notre défense fondée sur la dissuasion du faible au fort. Elle est un signe tangible de notre volonté de défense. Cette détermination des Français à défendre les valeurs qui sont les leurs renforce considérablement le crédit dont bénéficie le chef de l’État vis-à-vis d’un agresseur éventuel.
Il faut aussi insister sur le fait que la conscription est non seulement un signe mais aussi un vecteur important de cet esprit de défense et permet sa diffusion dans toutes les couches de la population grâce, notamment, aux cadres de réserve, interface privilégiée entre la nation et son armée.
Bien sûr, le rôle des réservistes ne se limite pas à cette fonction. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler que l’Armée de terre est une entreprise qui doit doubler ses effectifs à la mobilisation. Du temps de paix où elle compte 258 500 personnels instruits, elle passe en mobilisation à 532 000, et ce rapport, s’il est évolutif, restera toujours significatif. Ce doublement est essentiel aujourd’hui pour ses différentes composantes : la mobilisation concerne 35 % du corps de bataille, 78 % de la logistique et 69 % des forces du territoire. Ces chiffres soulignent, s’il en était besoin, l’importance des réserves dont l’essentiel de l’instruction est dispensé dans le cadre du service national.
Matrice de l’unité nationale
En temps de paix, l’Armée de terre comporte 183 000 appelés, dont 1 960 officiers et 5 730 sous-officiers du contingent sur un effectif total de 292 500, personnels à l’instruction inclus. Les appelés représentent donc 62 % de ses effectifs. À une Armée de terre dont la capacité technologique et donc les besoins en techniciens et scientifiques ne cessent d’augmenter, la conscription apporte une contribution de premier ordre, que ce soit dans les fonctions d’enseignant et d’ingénieur, ou dans les spécialités d’informaticien, de travaux publics, de transmissions, d’électronicien…
Ce flux continu de jeunes Français issus d’horizons les plus divers, avec leur potentiel de connaissances, de bonne volonté, d’enthousiasme, constitue un apport important et fait de l’Armée de terre « l’une des matrices de l’unité nationale » au même titre que l’éducation. À l’époque où le fossé se creuse entre les Français en prise directe sur les techniques de demain et ceux qui n’ont pas eu la chance ou la possibilité de rentrer de plain-pied dans un monde de plus en plus complexe, l’Armée de terre, qui emploie 76 % d’une classe d’âge appelée à faire le service national, est bien un creuset où les Français de toute origine, de tout milieu, de toute formation peuvent se côtoyer et se connaître, ce qu’ils considèrent toujours comme un acquis surprenant et indispensable. Outre le développement pour tous du sens de l’intérêt général et de l’effort gratuit, les plus défavorisés d’entre eux ont ainsi l’occasion, peut-être la dernière, de se raccrocher au train du progrès.
Mais encore faut-il utiliser au maximum toutes ces ressources et toutes ces occasions offertes par la conscription.
Optimiser les atouts
En raison du nombre de spécialités différentes à pourvoir et de la variété de la ressource, le problème commence bien avec la sélection des personnels du contingent. L’élévation de la durée moyenne des études ainsi que la diversification des formations proposées par l’éducation nationale permettent un recrutement de qualité et imposent par conséquent d’être vigilant quant à l’adéquation des besoins et des ressources. Cette exigence doit se traduire pour le bureau du service national par la recherche continue d’une conscription personnalisée qui prend en compte, au mieux de l’intérêt général, les goûts et les possibilités des futures recrues.
Afin de permettre aux appelés du contingent d’exprimer les desiderata les plus judicieux, un effort d’information avant l’incorporation doit être poursuivi. Les journées du service national sont un exemple de ce qui peut être fait. Par ces manifestations, l’Armée de terre se met à la disposition des régions et de leur spécificité pour informer plus justement et plus efficacement les jeunes gens avant l’incorporation.
Cet effort d’information doit également être poursuivi dans les unités de l’Armée de terre. Il s’agit essentiellement de développer une information sur les fondements et les justifications du service national. Cela se traduit concrètement par une revalorisation de l’enseignement de l’éducation civique et par des cours sur la défense de la France, son concept et son organisation.
Mais cet effort d’information ne doit pas être une action isolée. Il doit s’inscrire dans le cadre d’une action globale qui porte également sur l’organisation, dans plusieurs domaines. Dans celui de l’accueil des jeunes recrues tout d’abord : c’est le premier contact de l’appelé avec un univers d’internat et avec le monde militaire. Il convient d’emblée d’effacer de son esprit la crainte légitime qu’il éprouve devant les changements d’habitudes qu’implique son nouvel état. Il faut donc, là aussi, personnaliser l’accueil.
L’effort d’organisation porte aussi sur la gestion du temps. Il faut planifier les activités avec une extrême précision de façon à bannir tous les temps morts qui sont souvent mal compris. Il faut ensuite expliquer aux soldats les programmes d’instruction de façon à les impliquer davantage dans la réalisation des objectifs collectifs et leur expliquer le sens des missions, parfois ingrates, qui leur sont confiées.
Il faut ensuite que les appelés trouvent un cadre de vie adapté aux caractéristiques de la jeunesse qui aspire à un minimum de confort et d’agrément. À ce titre, le regroupement des implantations de l’Armée de terre, dont un plan à l’horizon 2000 est actuellement étudié par l’État-major de l’Armée de terre (EMAT), ouvrira de nouvelles perspectives.
Un autre axe, sur lequel un effort important est porté, est celui de la formation des formateurs. Il commence en école par celle des cadres et sera naturellement entretenu dans les corps de troupe. Il touche aux domaines de la psychologie, de la pédagogie et conditionne les relations humaines qui doivent être basées sur la confiance et l’estime réciproques. Le style de commandement doit intégrer à tous les niveaux la recherche d’une participation plus active de tous à la réalisation des objectifs communs.
Des relations humaines plus chaleureuses impliquent nécessairement la prise en compte par l’encadrement de la diversité des situations individuelles. Des actions sont entreprises ou poursuivies qui visent à donner aux appelés les plus démunis une chance de réinsertion dans la société et sur le marché du travail.
Ainsi la lutte contre l’illettrisme (1), l’aide que les officiers conseils apportent aux soldats dans la recherche d’un emploi, le développement de l’apprentissage des langues vivantes, l’acquisition de qualifications nouvelles et diversifiées dans les domaines de l’électronique, des transmissions, de l’informatique, de la conduite des véhicules ou de la mécanique, sont des occasions dont l’importance n’est pas à négliger.
Enfin, un effort de promotion doit se poursuivre pour permettre à l’Armée de terre de recruter les engagés dont elle a besoin parmi cette population d’appelés dont certains sont attirés par une carrière militaire en toute connaissance de cause. La conscription doit être la source de recrutement la plus sûre pour alimenter la composante professionnelle de l’Armée de terre. Les deux systèmes ne sont pas condamnés à s’opposer. Il est bon de le rappeler. ♦
(1) 10 000 illettrés sont incorporés chaque année. Voir notre chronique « armée de terre » de février 1986.