Défense dans le monde - L'Inde face à l'exercice de la puissance régionale
Jusqu’à un passé récent, l’Inde se montrait plutôt préoccupée par ses frontières terrestres : rappelons les conflits de 1962 avec la Chine, et ceux de 1947, 1965 et 1971 avec le Pakistan. À présent, elle se tourne vers l’océan qui la borde et vient, à deux reprises, de chercher à y maintenir l’ordre : au Sri Lanka (en juillet 1987) et aux Maldives (lors d’une tentative de coup d’État en novembre 1988).
Rajiv Gandhi, en juillet 1989, a montré à l’égard du Pakistan une volonté de négociation perçue favorablement par Benazir Bhutto, même si les entretiens concernant le Cachemire s’annoncent longs et difficiles. Dans le jeu bilatéral interfère, en effet, celui des grandes puissances. Moscou a institutionnalisé ses relations avec New Delhi ; Islamabad est le seul point d’appui occidental dans cette région.
L’Inde perçoit davantage la menace de la Chine que celle du Pakistan, militairement plus faible qu’elle. La Chine, pour sa part, entretient de bonnes relations avec le Pakistan et désapprouve l’hégémonie indienne sur l’Asie du Sud. L’Inde s’affirme comme une puissance régionale et veut instaurer une « pax indiana ». Pour tenir ce rôle, elle s’en est donné les moyens.
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Depuis 1980, l’Inde a triplé son budget militaire, qui atteint 8,6 milliards de dollars (55 milliards de francs) soit 14 % de son budget d’État. L’effort est considérable et significatif de la volonté politique. Le budget de la recherche y tient une place importante ; il a quadruplé depuis 1982.
L’Armée de terre compte plus d’un million d’engagés volontaires et a entrepris en 1980 un vaste programme de modernisation. Elle aligne plus de 3 000 chars et 2 400 pièces d’artillerie. Les hommes comme les matériels sont « opérationnels ».
Dans le courant de la même période, la Marine indienne s’est élevée au 6e rang mondial des flottes de guerre, en doublant son tonnage en 20 ans. Qui se dote d’une marine forte se donne les moyens de projeter ses forces. L’Inde vient d’expérimenter son nouveau missile balistique Agni, d’une portée de 2 500 kilomètres, qui lui permet de menacer tous les riverains. Ses deux porte-aéronefs prouvent d’ailleurs aussi cette volonté.
Il en est de même pour l’Armée de l’air. Largement dépendante de l’URSS, elle compte 700 appareils de combat et 250 de transport.
La prodigieuse modernisation de ses forces depuis 1980 confère à l’Inde un avantage très net sur son adversaire pakistanais. En 1989, elle est entrée dans le club restreint des détenteurs de missiles IRBM (Intermediate-Range Ballistic Missile). Ses capacités de projection l’ont fait devenir le gendarme du sous-continent indien.
En deux ans, l’Inde a démontré à deux reprises sa capacité à intervenir rapidement et massivement en dehors de ses frontières. En novembre 1988, ses parachutistes ont restauré l’ordre aux Maldives, et depuis juillet 1987, 45 000 hommes sont stationnés au Sri Lanka afin de tenter de mettre un terme au séparatisme tamoul (le retrait de son contingent vient de commencer). L’Inde a prouvé qu’elle pouvait mettre en œuvre le matériel qu’elle s’est forgé.
Avec sa panoplie de missiles de fabrication nationale, l’Inde peut porter le feu à courte et moyenne distances de son sol ce qui lui confère la suprématie sur la totalité du sous-continent. Cette puissance nouvelle l’amène à réagir de façon différente. Dorénavant, elle ne peut plus tolérer les troubles déstabilisateurs, à sa périphérie, comme le prouvent les interventions que l’on vient de mentionner. Elle ne peut admettre le besoin de se démarquer de la prépondérance indienne qu’affiche actuellement le Népal. Cela explique l’attitude très ferme de New Delhi vis-à-vis du « petit royaume ».
Après 40 ans d’existence, l’Inde s’affirme comme grande puissance régionale. Toutefois on ne peut la considérer comme tout à fait autonome. Elle dépend, dans une large part, de l’Union soviétique qui lui fournit les instruments de sa puissance (2,5 milliards de dollars d’armements soviétiques en 1982 et 2,9 en 1985). Elle est désormais liée à Moscou pour une vingtaine d’années. Pour pondérer cette coopération bilatérale exclusive, l’Inde a acquis auprès de la France des avions SEPECAT Jaguar et Dassault Mirage 2000, et a renforcé sa coopération technologique avec les États-Unis.
Mais dans ce contexte, deux questions se posent :
Dans le domaine du matériel, l’Inde n’agit-elle pas comme les satellites de l’URSS en feignant d’acheter la technologie occidentale pour se dégager de l’emprise soviétique tout en se procurant ce que l’URSS ne veut ou ne peut apporter ? Cela peut forcer Moscou à vendre des armements de nouvelle génération. Ou bien New Delhi ne participerait-elle pas aussi à la grande collecte des technologies occidentales à son profit et à celui de l’URSS ?
Étant donné sa puissance navale et les rapports de force entre les différentes marines dans l’océan Indien, l’Inde n’obligerait-elle pas les États-Unis à une redistribution des rôles dans cet océan ? Se voulant neutraliste, ayant une marine de haute mer et voulant jouer un rôle régional, l’Inde veut marquer sa distance à l’égard de Moscou. Pourquoi cette volonté subite ? Est-elle sincère ? Autant de questions importantes auxquelles l’avenir prochain répondra peut-être.