Défense à travers la presse
Un peuple qui néglige son armée, une Nation qui s’en sépare moralement courent de grands risques et nul gouvernement ne peut accepter cet état de choses. Il n’est pas aussi certain que l’avance le sociologue américain Janowitz que l’appareil militaire en vienne à calquer son comportement sur celui de la société civile, mais ne voit-on pas certaines anomalies affichées sur la place publique ? N’était-il pas normal, dès lors, que le président Mitterrand saisisse l’occasion que lui offrait la célébration de la bataille de Valmy pour trancher ? Dans Le Quotidien de Paris du 18 septembre 1989, Henri Vernet le note en ces termes :
« Sur ces lieux où il y a deux siècles la Nation en armes sauva la République, le chef de l’État qui est aussi le Chef des Armées a donc tenu à enrayer le processus de divorce entre la Nation et son Armée ».
Jean Bothorel, dans Le Figaro du même jour, fait la même observation tout en soulignant que la France actuelle paraît fort énigmatique :
« La victoire de Dumouriez et Kellermann sur les Prussiens, qui symbolise la naissance de la Nation et son unité retrouvée, était une date on ne peut plus appropriée pour redire à chacun les exigences de la discipline et du rassemblement ».
Mais Jacques Isnard, dans Le Monde du 19 septembre 1989, extrapole à sa manière les propos présidentiels :
« Devant le moulin de Valmy, le président de la République a délivré trois leçons d’histoire, selon sa propre expression. En réalité, n’y aurait-il pas une quatrième leçon de l’histoire immédiate qui est restée dans le domaine du non-dit ? À savoir qu’il est temps que le gouvernement et la hiérarchie des Armées se mettent à l’ouvrage pour rénover l’Institution militaire ».
Il s’agit indiscutablement d’un sujet relevant de la compétence des experts et des responsables et le clerc ne peut s’en saisir sans proférer des hérésies. C’est pourquoi Hérille s’en tient aux citations les plus raisonnables, préférant pour le reste la discrétion. S’agissant de l’Armée, peut-on d’ailleurs parler de malaise ? Il n’est pas bon pour la santé morale d’un pays d’user d’un langage inapproprié et de confondre les genres.
Un autre sujet, bien plus pesant, a retenu l’attention des commentateurs : les négociations sur le désarmement après les nouvelles initiatives prises par l’Union soviétique. Celle-ci ne pose plus en préalable l’abandon de l’Initiative de défense stratégique (IDS) américaine. Or, ainsi que l’explique à ses lecteurs Le Figaro du 25 septembre 1989 :
« À l’origine, tout était lié dans un paquet ficelé par Andreï Gromyko, l’ancien ministre des Affaires étrangères avant même l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. Dans un premier temps l’URSS avait déjà accepté d’en dissocier l’affaire des missiles à moyenne portée, ce qui avait ouvert la voie à l’accord sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) signé en décembre 1987. Elle défait une seconde fois le nœud gordien et la conséquence immédiate en est une incontestable percée en direction d’un Accord de réduction des armements stratégiques (START) sur la réduction de moitié des arsenaux stratégiques. Le détail doit encore être discuté au niveau des experts, car Édouard Chevardnadze a laissé subsister un doute. Si, après la signature d’un accord START, l’une des parties viole l’accord Anti-Ballistic Missile (ABM) de 1972 sur la limitation des missiles antimissiles, l’autre partie garde le droit de dénoncer le texte signé ».
Libération, de la même date, estime aussi que cette exigence réduit la portée de la concession soviétique. Toutefois, observe Alfredo Valladao, Moscou met Washington au pied du mur :
« L’IDS, la guerre des étoiles, constituait le principal obstacle à un accord START. En abandonnant son exigence de lier les deux dossiers, Mikhaïl Gorbatchev place la balle dans le camp américain. Et pour bien montrer que tout retard dans les négociations ne saurait lui être imputé, il accepte également plusieurs autres exigences américaines : démantèlement du radar de Krasnoïarsk en Asie centrale ; vérification expérimentale des arsenaux nucléaires avant même la signature d’un traité… Ces concessions soviétiques sont clairement destinées à créer un impact maximum sur l’opinion américaine. Depuis plusieurs semaines, Moscou dénonce la paralysie de la négociation START à Genève. Les responsables soviétiques accusent l’Administration Bush de traîner les pieds en matière de désarmement stratégique et de se concentrer uniquement sur les négociations de Vienne sur la réduction des forces conventionnelles en Europe… Or, dans la doctrine militaire soviétique, cette capacité de tenir l’Europe occidentale en otage a toujours été considérée comme un atout précieux face à ce qui était perçu comme une supériorité technologique américaine en matière d’armes stratégiques. Renoncer en partie à cet atout sans au moins obtenir une réduction de la menace stratégique à travers un accord START serait probablement difficile à vendre aux responsables de l’Armée rouge ».
L’éditorialiste du Monde, 26 septembre 1989, après avoir rappelé, tout comme Le Figaro, l’état de la question, constate qu’un traité START peut désormais être négocié sans plus attendre :
« Une autre solution se dessinait déjà à l’époque des plus rudes empoignades sur l’IDS : dans la mesure où la constitution d’un bouclier spatial prendra des décennies, pourquoi ne pas conclure dès maintenant un traité START, tout en se réservant la possibilité de le dénoncer, comme tout traité le prévoit, au cas où les intérêts supérieurs de l’URSS seraient menacés ? Si M. Gorbatchev s’est rallié à cette solution, ce n’est pas seulement parce que l’IDS ne jouit plus, depuis le départ de M. Reagan, des faveurs d’antan, ni en raison des seules difficultés économiques soviétiques. En fait, le dirigeant soviétique oblige M. Bush à reprendre sérieusement le dossier des START alors que le président américain préférait donner la priorité au désarmement conventionnel en Europe, un sujet qui ne touche pas directement à la sécurité des États-Unis et beaucoup plus à celle de leurs alliés. Il cherche aussi à amener la nouvelle équipe américaine au même niveau de compréhension et d’entente que celui qui avait été obtenu avec Ronald Reagan à la fin de son mandat, et est prêt à en payer le prix ».
Pour Yves Pitette, la référence au traité ABM de 1972 constitue un butoir qu’il convient de ne pas négliger, mais il se veut raisonnablement optimiste et s’en explique dans La Croix du 26 septembre 1989 :
« La bataille sur l’interprétation de ce traité (ABM) n’est pas close pour autant, ni les négociations START sur les armements stratégiques à la veille d’un rapide succès. Si James Baker a salué ce développement positif, il reste de nombreux problèmes. Quant à l’IDS, si elle est découplée des START, les Soviétiques la contestent toujours, alors que les Américains restent déterminés à continuer même si le projet de défense dans l’espace n’a plus grand-chose à voir aujourd’hui avec les grandes ambitions affichées par Ronald Reagan à son origine. La voie est donc ouverte au plus important accord de désarmement de l’époque nucléaire ».
Les deux superpuissances n’en sont pas restées au seul nucléaire : d’appréciables propositions ont également été faites au sujet des armes chimiques. Mais en la circonstance, l’affaire se complique du fait de la capacité de certains pays tiers à produire impunément de telles armes. D’où la réserve de M. Bush. Le Figaro du 26 septembre 1989 analyse ainsi la situation :
« La proposition de Washington conclut un long débat entre militaires et diplomates américains. Impossible de vérifier l’application d’un tel accord, font justement remarquer de nombreux stratèges du Pentagone. Au département d’État, on met en avant la valeur exemplaire de la démarche tout en reconnaissant qu’il sera impossible aux superpuissances d’empêcher les pays du Tiers-Monde de se doter de l’arme atomique du pauvre. De fait, George Bush a fait de nécessité vertu : le Congrès n’a-t-il pas ordonné au Pentagone de détruire ses vieux stocks d’armes chimiques avant 1997 à défaut d’un traité à Genève ? La réduction des arsenaux chimiques est l’un des deux ou trois problèmes internationaux auxquels le président Bush entend imprimer sa marque ».
Le lendemain, le ministre soviétique des Affaires étrangères reprenait la balle au bond en allant encore plus loin que les États-Unis. Une surenchère qui prenait les Américains à revers, estiment François Sergent et Alfredo Valladao dans Libération du 27 septembre 1989 :
« La nouvelle position soviétique revient à se prononcer pour un désarmement chimique unilatéral de l’URSS et des États-Unis. L’idée est spectaculaire d’un point de vue diplomatique, mais pas forcément insensée sur le plan militaire. Les deux Grands possèdent en effet la presque totalité des stocks, la vingtaine d’autres pays détenteurs de gaz de combat n’ayant que des réserves relativement faibles. Par ailleurs, l’URSS et les États-Unis sont des superpuissances nucléaires et le chimique ne joue qu’un rôle secondaire dans leurs dispositifs de sécurité. Ils savent que tous les pays industrialisés, de l’Est comme de l’Ouest, ne pourront pas ne pas suivre leur exemple. Reste le Tiers-Monde, en particulier le Moyen-Orient, où l’utilisation des gaz durant le conflit Irak-Iran a lancé une course au chimique, la soi-disant bombe atomique du pauvre. Mais un monde industrialisé sans gaz de combat, où les industries chimiques seraient périodiquement contrôlées par des inspections in situ, collaborant avec les gouvernements pour empêcher toute exportation illicite de produits interdits, ne devrait pas avoir beaucoup de mal à imposer ses vues aux nations pauvres ».
La conviction qu’affichent nos confrères semble faire peu de cas de la détermination de certains pays et de la difficulté qu’il y aurait à les contraindre, faute d’un accord international. S’il est vrai que l’élimination des arsenaux chimiques des deux Grands ne nuirait guère à leur propre sécurité, des pays tiers ne partagent pas ce sentiment. Cette question, hors de toute préoccupation diplomatique ou médiatique, a été examinée en profondeur, à Paris au mois de janvier dernier, lors de la conférence internationale sur l’interdiction des armes chimiques. 149 pays y ont participé : il faut que les intentions alignées dans la déclaration finale se concrétisent. L’initiative des États-Unis et de l’Union soviétique pourrait servir de révélateur. ♦