Editorial
Éditorial
Derrière la crise de la gouvernance mondiale que tout le monde déplore, il y a le spectre de l’impuissance généralisée. Et derrière celui-ci, il y a la réalité d’une complexité telle qu’elle affecte désormais tous les systèmes nationaux et internationaux. L’absence d’instance collective de contrôle conduit à les déréguler, les distordre et finalement à les dévaluer pour tenter de les maîtriser. Les premières victimes en sont les États fragiles, les institutions internationales et une certaine pratique de la négociation et du multilatéralisme. C’est dans un monde à l’architecture instable et à l’éthique fluctuante que nous devons garantir la sécurité de la France, défendre ses intérêts et exercer ses responsabilités.
Derrière la crise syrienne et ses développements conjoncturels obscurs se cachent des enjeux politiques d’hégémonie culturelle et des manœuvres tactiques de sécurité énergétique. Celles-ci masquent à peine les visions stratégiques incompatibles des pays continentaux et de puissances maritimes. Les victimes expiatoires en sont les minorités d’Asie de l’Ouest (vrai nom du Proche et du Moyen-Orient) enrôlées dans des jeux qui les dépassent et dont pourrait sortir un net refroidissement des relations internationales. C’est dans ce contexte tragique qu’est posée la question biaisée d’une intervention militaire occidentale.
Derrière la crise des dettes souveraines européennes contaminées par une épidémie spéculative importée d’Amérique, il y a la perspective de la dérégulation démocratique d’une Europe dont les peuples s’indignent de plus en plus de la langueur économique. La vulnérabilité européenne apparaît ainsi au grand jour et affecte la sécurité de la France alors même que la construction européenne et ses politiques de convergence étaient l’un de ses choix majeurs depuis un demi-siècle. En abordant une mondialisation compétitive en ordre dispersé, les Européens semblent avoir oublié leur projet, dilué leurs ambitions et abdiqué leur autonomie en se laissant enrôler dans des manœuvres de grande envergure stratégique : libéraliser l’économie mondiale et confiner la Chine. C’est dans une société internationale effervescente qu’une Union européenne en pleine turbulence financière doit penser sa sécurité et en asseoir le cadre. La pratique habituelle depuis soixante ans d’une commode réassurance atlantique suffira d’autant moins demain que la puissance américaine se relativise et se réoriente vers le défi du Pacifique. La question de l’Europe militaire va se poser enfin. La réponse industrielle qu’apportent ensemble EADS et BAE devra l’aborder sans faux-fuyant.
Il nous faut aborder avec réalisme et détermination cette période qui est aussi celle où l’effort de défense de la France doit être ajusté à une tension budgétaire inédite, où le désengagement opérationnel d’Afghanistan s’accélère et la réorganisation organique du ministère de la Défense, avec la consolidation des nouvelles bases de défense (p. 81), entre dans une phase critique. Plus que jamais le débat est utile.