On trouvera ici un tour d’horizon des vulnérabilités de l’Europe traitées dans ce numéro : les défis que posent la démographie, la finance, la défense, la criminalité et l’énergie ; la problématique du refus voire de la rupture de la puissance européenne en préparation des Assises nationales de la recherche stratégique 2012.
Profondeurs stratégiques : crises, mutations et défis pour l’Europe
Strategic Depths: Crises, Evolutions, and Challenges for Europe
One will find here an overview of the vulnerabilities of Europe addressed in this issue: the challenges that weigh down demography, finance, defense, crime, and energy; the problematic of refusing to see the rupture of European power in preparation for the 2012 National Conferences of Strategic Research.
Les Assises nationales de la recherche stratégique 2012 ont pour thème cette année : « Profondeurs stratégiques - Défis pour l’Europe ». À cette occasion, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS), organisateur des Assises, propose en partenariat avec la Revue Défense Nationale un dossier autour de ces thèmes. Les réflexions proposées dans les pages qui suivent n’annoncent ni ne résument les interventions des Assises. Elles peuvent les compléter. Le but ici poursuivi est d’une autre nature. Les auteurs ayant accepté d’apporter leur contribution écrite au débat offrent un regard décalé et complémentaire aux Assises nationales de la recherche stratégique.
Pourquoi avoir choisi l’Europe ? La réponse a la force de l’évidence, accentuée par les interrogations sur l’euro : l’avenir de la France est lié de manière irrémédiable à celui de l’Europe. Il s’agit presque d’une tautologie tant la géographie conditionne – commande ? – l’histoire. Mais au-delà des territoires et des frontières, ou de ce qui en reste, la politique a arrimé notre destin à celui de la construction communautaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les institutions européennes ont en effet produit ou accompagné un demi-siècle de prospérité et de paix. Cependant, l’horizon s’assombrit. Des conflits subsistent ou n’ont pas été résolus. Chypre reste divisée et l’ex-Yougoslavie embourbée. La dynamique démocratique s’est interrompue. Elle semble même parfois régresser devant les crises identitaires et économiques. Ou bien, ne vivrions-nous qu’une transition douloureuse, une simple crise ? Les plus pessimistes anticipent un avenir catastrophique : celui d’un effondrement. L’Europe serait déjà sortie de l’Histoire. Il est vrai que l’Europe des 27 – et au-delà tout le continent – cumule aujourd’hui un nombre conséquent de vulnérabilités. L’Europe est objectivement en crises, multiples et complexes, s’additionnant. Nous savons que rien n’est jamais stable dans l’histoire. Reconnaissons malgré tout que la crise financière déclenchée par les folies de l’immobilier spéculatif aux États-Unis, les subprimes, a précipité – au sens chimique du terme – ou aggravé, nombre de fragilités européennes latentes, dont certains pays avaient été les complices actifs.
Ce dossier explore de manière originale et, nous l’espérons, dérangeante, plusieurs thématiques liées au destin européen, sans viser à l’exhaustivité, mais en souhaitant susciter des questionnements, hors des chemins battus. Nous avons choisi ainsi cinq grands défis. En premier lieu : la démographie. On l’oublie trop souvent, mais l’évolution des populations est la clef invisible de la plupart des évolutions politiques, économiques, sociales et militaires. Nous sommes là dans le temps long. Le géopoliticien François Thual propose un tableau nuancé autour d’une réalité indéniable : l’Europe vieillit et la population âgée ou très âgée s’accroît fortement en quantité comme en proportion. Ce fait important aura évidemment des incidences profondes, par exemple sur nos modes de consommation, le financement des retraites, les flux migratoires et l’identité des peuples, les attitudes politiques ou encore notre perception du risque. La finance ensuite. Ainsi que l’économiste Hervé Juvin nous le rappelle, « les marchés financiers sont devenus un espace stratégique à part entière ». L’euro est au milieu du gué. Et la dérégulation de la finance globalisée amène chaque jour son lot de mauvaises nouvelles. Les difficultés budgétaires des États – la crise des dettes souveraines – conditionnent fortement un autre sujet cardinal : la défense. Le général Vincent Desportes nous invite à un sursaut face à une réalité indéniable : alors que le « reste » du monde se réarme, l’Europe désarme. Souhaitons-nous devenir un simple protectorat, une aimable périphérie du monde ? Cependant, la sécurité des États et des sociétés dépasse le seul périmètre des affaires militaires. Ainsi que nous le rappelle Jean-François Gayraud, la question des criminalités émerge depuis la fin de la guerre froide comme un véritable sujet de niveau stratégique. L’Europe a-t-elle pris toute la dimension du caractère corrosif des phénomènes criminels ? Denis Clodic propose, quant à lui, une réflexion cruciale sur l’énergie et l’environnement. Nos vulnérabilités en matière énergétique sont patentes, mais les voies et les moyens de les surmonter existent, tout en préservant notre biotope.
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