Études et enquêtes - Au Japon (II) : Le moral nippon pendant la guerre
L’auteur de ces notes fut attaché de l’Air au Japon.
Le peuple japonais a supporté sans murmure, mais sans élan, une guerre dont le but lui échappait. Essentiellement passif, soumis, il a suivi ses dirigeants, mais, si dénué qu’il soit d’esprit critique, il n’a pu les soutenir de son adhésion intime, active, parce que, pour la majorité des Japonais, « la plus grande Asie » était une formule vide de sens, et pour les gens plus cultivés, cette formule apparaissait viciée lorsque confrontée avec les réalités : lutte contre la première puissance du Continent asiatique, alliance militaire avec des puissances européennes. Quelle que fût — individuellement — leur attitude intellectuelle (indifférence ou réserve) par rapport aux buts avoués de la guerre, les Japonais entrèrent dans l’aventure avec un moral élevé. Leur orgueil — leur ignorance — leur naïveté, permettaient à la plupart d’entre eux de croire leur pays invincible. Les succès éclatants de leurs armes, au cours des premiers mois de guerre, les confirmèrent dans leur certitude de victoire. L’espoir que les richesses du Sud allaient affluer vers le Japon rendait facile l’acceptation des privations d’ailleurs très raisonnables encore. Enfin, l’éloignement des théâtres d’opérations, au lieu d’inquiéter les Japonais par les servitudes qu’il impliquait, leur donnait une impression de sécurité personnelle, en même temps qu’il faussait leur perspective des distances réelles, leur permettant d’envisager comme prochaine la liaison de leurs armées avec celles de l’Axe. Jusqu’à quel point les dirigeants se faisaient-ils les mêmes illusions que le peuple, il est difficile de le conjecturer. Il semble que leur espoir était basé sur la conviction d’une victoire de leurs partenaires de l’Axe ; mais, à la clique militaire qui conduisait alors le Japon, était-il indispensable, pour lancer le pays dans une aventure pareille, d’avoir de raisonnables perspectives de victoire ? Leur décision n’était-elle pas une réaction de primitifs orgueilleux, plutôt que la conséquence logique d’un examen approfondi de la situation ? En tout cas, la guerre une fois engagée, les dirigeants japonais purent, la première année, se faire quelques illusions. Lorsqu’elles s’évanouirent (désastres de la Wehrmacht en Russie, conquête des Marshall et des Mariannes), il semble que le seul espoir qui restât au Gouvernement fût, par une résistance acharnée, de convaincre l’Amérique du prix dont elle aurait à payer une victoire totale, et par voie de conséquence, de l’intérêt qu’elle aurait à signer une paix de compromis.
Pour assurer l’acharnement de la défense, il fallait bander les énergies du peuple et de l’armée. La propagande s’y employa, une propagande forcenée, exclusive. Elle confirma la certitude de la victoire mais (et ceci était nouveau), sous la réserve d’une mobilisation totale des forces morales et matérielles du pays. Cette réserve était justifiée dans leur presse par « l’imprévisible accroissement des moyens matériels des Américains », enfin par une soi-disant transformation morale du soldat ennemi qui, de lâche, devenait « valeureux ».
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