Les débats
• Je crois que la France n’arrivera pas à s’ouvrir à ce qui se passe à l’Est et au Maghreb. Le partenariat avec ce dernier n’est-il pas ponctuel (environnement, tourisme, pêche), de sorte qu’il n’est pas suffisant pour entraîner une véritable interdépendance économique. Si la France, l’Italie et l’Espagne doivent agir ensemble, que faut-il pour ne plus être concurrents les uns des autres ?
Nous serons obligés de le faire, nous serons contraints de faire le nécessaire, d’autant qu’à l’expansion démographique du Maghreb correspond un affaissement de nos natalités en Europe. Nous allons être complètement envahis et dans les pires conditions. De plus, si nous arrivions à avoir un début de véritable partenariat, ce serait une aubaine étant donné le marché potentiel qui existe au Maghreb.
• Comment se présente l’avenir de la francophonie au Maghreb et faut-il y craindre la montée d’un intégrisme antimoderniste et donc antioccidental ? Qu’en est-il de la Libye ?
Un effort a été fait, dans le domaine éducatif, sur le plan de la francophonie. Au fur et à mesure que l’éducation s’étend, sa qualité baisse, comme cela se passe dans tous les pays du monde : il y a donc, dans les écoles primaires, un problème de compétence des enseignants. D’autre part, les pays qui se lancent dans un programme de bilinguisme constatent que l’enfant doit faire de gros efforts pour assimiler l’arabe littéral et le français, deux langues qui lui sont étrangères. D’où toute une réflexion actuellement en cours sur cette question de la francophonie. Il y a aussi l’effet des médias (radios, télévisions, cassettes) qu’on ne peut négliger mais dont les résultats sont parfois contraires.
Quant à l’envahissement de l’islamisme, il correspond à un retour de l’adolescent vers le giron maternel, traditionnel lorsqu’il a été déçu par les efforts accomplis pour se tourner vers l’extérieur. Cela ne concerne que l’individu, mais sur le plan politique vous avez des manipulateurs qui s’appuient sur ce sentiment des masses pour faire valoir leur projet, et si nous laissons le Maghreb se débattre sans notre concours, nous sommes assurés que s’y développeront les valeurs islamiques. Ce n’est qu’en pratiquant une solidarité agissante que seront marginalisées ces tendances vers le retour au passé.
La Libye ne compte pas. Si on parle de Kadhafi, c’est à cause de nous : parce que les journalistes lui accordent de l’importance et surtout parce que nous lui donnons de l’argent en achetant son pétrole. Or, il n’y a aucun pays au monde qui se réclame de l’idéologie de Kadhafi.
À propos de l’intégrisme, le roi du Maroc disait : « Ce danger est très grand dans les pays qui se sont voulus laïcs à un moment donné, et qui ont échoué, car on a créé une société de paumés et l’extrémisme islamique a saisi l’occasion ». Il va de soi que l’intégrisme est surtout inquiétant en Algérie, d’autant plus que les Algériens sont encore proches de la lutte pour l’indépendance et que si les choses s’aggravent, ils ne l’accepteront pas : ce ne sont pas des Cairotes, des Égyptiens. Alors où trouveront-ils le moyen de reconstituer une société qui n’a plus d’espoir ?
Ces mouvements intégristes s’insèrent dans les structures des pays, en Tunisie, en Algérie ; or nous aurions pu assister à des mouvements d’opposition très nationalistes comme le nassérisme, le bassisme, nous aurions pu avoir affaire à des mouvements internationalistes, révolutionnaires : ce n’est pas le cas, nous trouvons maintenant des mouvements vertueux, bigots et c’est à nous à chercher une alternative. Il nous faut avoir une politique d’emplois au Maghreb.
• Comment convaincre nos opinions d’une nécessité à laquelle elles ne semblent pas sensibles ?
Tous ceux qui peuvent avoir intérêt à cette politique doivent s’y employer : chambres de commerce, partis politiques les plus proches de cette cause, ainsi que les acteurs qui y trouvent une perspective économique assurée.
• Comment s’est passé le dernier congrès du FLN ? D’autre part, qu’en est-il du Polisario et de cette guerre des sables ?
La situation en Algérie mérite attention. Il semble que le chef de l’État n’ait pas gagné la partie comme il le croyait, d’autant qu’il y a au comité central des hommes rivaux du colonel Chadli ; mais l’opposition est présente dans le système. De plus, il n’existe aucune personnalité assez forte, notamment dans l’armée, pour contester le pouvoir au chef de l’État. Les autres partis que le FLN sont encore à l’état de projet, à l’état de poussière, il n’y a donc pas d’opposition crédible en dehors du mouvement islamiste. Tout cela sur fond de démoralisation de la population pour laquelle la France reste une fenêtre.
Le Sahara occidental fait partie des régions turbulentes où la paix n’a jamais régné. Il faut donc se dire qu’il y aura toujours des troubles. Le Polisario réussit quelques raids, mais ce ne sont jamais que des raids. Une porte de sortie était à portée de main : le référendum accepté par le roi du Maroc, mais depuis l’été dernier le Polisario s’est raidi avec l’aide, semble-t-il, d’éléments algériens.
• Quelle est la justification de l’adhésion de la Mauritanie à l’Union du Maghreb arabe ?
Seul un historien pourrait expliquer cette notion d’une appartenance passée de la Mauritanie au Maroc. C’est un mythe très important et c’est sans doute la raison pour laquelle les Marocains ont tenu à ce que la Mauritanie fasse partie de l’ensemble maghrébin.
• L’intégration est un choix de société : croyez-vous vraiment qu’elle soit possible dans les conditions actuelles ?
Il faut le croire et se refuser à croire autre chose. Le peuple français est certainement celui qui a connu le plus grand nombre d’intégrations, mais chacune d’entre elles a été précédée d’une allergie redoutable. Or, je ne suis pas sûr que l’intégration des Maghrébins soit plus difficile que celle des Polonais, des Italiens, voire des protestants ; nous devons y parvenir. Il y a un courage à montrer.
L’intégration consiste à assimiler des individus, c’est la meilleure solution quand on est français, tout à fait « hexagonal ». N’est-ce pas un peu dépassé et ne conviendrait-il pas d’admettre un pluri-culturalisme, même au-delà, une pluralité de modes de vie ? C’est possible mais actuellement uniquement à des doses homéopathiques. Pour le moment il y a des limites, et c’est dommage parce que dans un pays où coexistent plusieurs communautés il est possible de jouer sur plusieurs tableaux : regardez les États-Unis. Il faut un projet commun, afin que tous concourent au même but. Prenons en exemple l’intégration de la communauté arménienne, tout à fait réussie.
• Comment réussir un partenariat avec le Maghreb si cette zone est hors économie et que l’islamisme est chargé de la régénérer sur place ?
Il ne faut pas se dire qu’à chaque fois nous aurons le sou du franc : ce sont des investissements de souveraineté, de sécurité et de stabilité ; c’est pourquoi il faut les faire pour retenir les populations sur place, créer de l’emploi à leur profit. ♦