Armée de terre - Les Troupes de Marine en 1990
« Les Troupes de Marine savent mieux que quiconque qu’il n’est de France que par le monde ». Ces mots prononcés par M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Défense, à Fréjus, lors d’une récente commémoration des combats de « Bazeilles », traduisent bien la spécificité de cette arme jouissant d’une très forte réputation à l’intérieur de l’institution militaire, mais curieusement mal connue du grand public.
Il est vrai qu’il est difficile de la définir en quelques phrases lapidaires, comme il est aisé de le faire pour la Légion étrangère, par exemple.
Une question d’image
Les TDM, qui ont conservé globalement les missions des anciennes troupes coloniales, ne pouvaient décemment garder ce qualificatif après 1961. Elles ont donc repris celui datant de l’époque – avant 1900 – où ses soldats étaient embarqués sur les bâtiments du ministère de la Marine dont ils dépendaient.
C’est de cette période que les fantassins et artilleurs de Marine ont hérité des appellations « marsouins » et « bigors », toujours en vigueur aujourd’hui, mais peu explicites pour le public. En effet, ils servent aujourd’hui plus souvent en métropole ou dans les pays d’Afrique que sur les côtes ou sur les bateaux. Par ailleurs, ils ne dépendent plus de la Marine, qui dispose de ses propres fusiliers marins, mais de l’Armée de terre. Enfin, s’ils fournissent le gros des troupes parachutistes, ils se fondent alors dans l’image très forte des « paras » et de leur béret rouge.
Il existe donc un réel problème de communication pour cette arme, bien que la qualité de son recrutement soit indiscutée et que de nombreuses grandes figures soient sorties de ses rangs pour se faire connaître non seulement par leur campagne, mais aussi par leur action d’administrateur. Gallieni, qui a su porter au plus haut niveau les vertus de chef de guerre, de bâtisseur et d’humaniste, en est le meilleur exemple.
Servir outre-mer
Fortes de 2 300 officiers, 6 200 sous-officiers, 10 200 engagés volontaires (ils sont 30 000 dans l’ensemble de l’Armée de terre), et de 14 000 appelés, les TDM ont aujourd’hui le quart de leurs effectifs professionnalisés en service outre-mer pour une période allant de 1 à 3 ans.
Ils se répartissent principalement dans les Départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM), en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon et à Djibouti, en tant que forces prépositionnées. Une centaine d’officiers et environ 200 sous-officiers assurent, quant à eux, des missions d’assistance technique dans les armées d’une trentaine de pays africains.
Les Troupes de Marine fournissent aussi 50 % des cadres des unités du service militaire adapté, dont 5 régiments sont implantés dans nos DOM-TOM sous la tutelle de ce ministère. Ils y dispensent une formation professionnelle à une large proportion de jeunes gens originaires de ces pays.
Dès leur retour en France, ils rejoignent, pour une période moyenne de 5 ans avant un nouveau séjour outre-mer, une affectation métropolitaine. Ils peuvent alors servir dans l’une des unités des TDM formant « le gros » de la FAR (Force d’action rapide) avec les 6 régiments de la 9e DIMa (Division d’infanterie de Marine) et les 5 régiments « marsouins » parachutistes de la 11e DP (Division parachutiste). Dans le cadre de cette force, ils sont parfois appelés à nouveau hors de métropole lors d’opérations comme celles du Tchad, du Liban ou des Comores, ou lors de séjours de 4 mois effectués dans le cadre des compagnies tournantes renforçant les éléments prépositionnés. D’autres rejoignent l’un des 4 régiments TDM du corps blindé mécanisé, ou l’un des 2 régiments d’instruction stationnés à Perpignan et Fréjus.
Une culture spécifique
Cette dernière ville, qui a accueilli le Musée des Troupes de Marine, est avec Bazeilles le sanctuaire des diverses épopées de l’arme, ainsi que des valeurs dont elle se veut la gardienne, également entretenues au centre militaire de l’information sur l’outre-mer implanté à Versailles. Le centre organise des stages d’information pour les officiers en instance d’affectation hors métropole, à base de témoignages directs et de cours éclairant les situations politiques, économiques et stratégiques des pays concernés. Cet organisme qui publie, de plus, deux revues L’ancre d’or-Bazeilles et Frères d’armes, joue un rôle important dans la diffusion de la culture spécifique dont se prévalent les cadres de l’arme.
Servir, « avec, chez et pour » les autres demande, selon eux, des qualités initiales qu’il faut cultiver. Disponibilité bien sûr – les séjours d’un an en célibataire ne sont pas rares –, mais aussi respect de l’autre, de ses différences et de ses perceptions. « On reçoit l’homme selon l’habit qu’il porte et on le reconduit selon l’esprit qu’il a montré ». C’est dans l’application de ce proverbe russe par les anciens marsouins que de nombreux cadres voient l’explication de l’attachement actuel de la plupart des pays africains à la France d’aujourd’hui. Tout est fait pour qu’ils s’en inspirent encore.
« Reste que l’outre-mer s’apprend certes dans les livres, mais surtout sur le terrain, au contact des réalités de chaque jour », rappelle leur inspecteur, le général Lemoine, se faisant ainsi l’interprète de ces troupes quand elles se sentent, à tort ou à raison, menacées.
Ne leur reproche-t-on pas de favoriser, en raison de leur spécificité, l’émergence de deux Armées de terre, présentant des avantages professionnels bien différents, l’une faite pour intervenir, l’autre pour « alimenter » le concept de la dissuasion ? Cela entraîne d’ailleurs des difficultés de gestion auxquelles aucune solution satisfaisante n’a encore été apportée, les TDM drainant régulièrement l’élite des écoles de formation : en 1988, la dernière des 10 places offertes par l’infanterie de Marine a été prise par un Saint-Cyrien classé 23e sur 165.
Cependant, dissoudre les missions particulières des Troupes de Marine dans un ensemble trop vaste pour sauvegarder les spécificités qu’elles exigent n’est pas envisageable. Il faut tenir compte d’une réalité : les missions lointaines ne peuvent s’improviser, surtout à une époque où le moindre « coup de Famas », dans des pays parfois turbulents, a des implications politiques. Plus que de gérer les crises, les TDM ont pour mission première de les éviter partout où elles se trouvent, en préservant l’essentiel. Là est toute la difficulté ! ♦