Aéronautique - À propos de sécurité des vols : le facteur humain
La technique aéronautique permet à l’Armée de l’air de mettre en œuvre des systèmes d’armes chaque jour plus sophistiqués. Ainsi, le travail du pilote est maintenant plus complexe, car le progrès technologique a multiplié les tâches et compliqué les missions.
Face à une telle augmentation des charges en vol, on pouvait craindre un accroissement des risques d’accidents. Fort heureusement, il n’en a rien été car, par ailleurs, les aides au pilotage se sont développées et la fiabilité du matériel n’a cessé d’augmenter. Les statistiques le prouvent, le taux d’accidents dans l’Armée de l’air a diminué de moitié en vingt ans.
Néanmoins, cette diminution semble marquer le pas à l’heure actuelle : si la cause technique est rare de nos jours parce que combattue avec succès, il en est une que l’Armée de l’air, comme toutes les armées du monde, a beaucoup de peine à faire disparaître, c’est la cause humaine.
Aussi, cette chronique vous propose-t-elle quelques réflexions sur ce qu’il est convenu d’appeler en matière de sécurité des vols : le facteur humain...
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Le coût de plus en plus élevé du matériel aérien, la formation longue et également onéreuse des pilotes de combat ont conduit l’Armée de l’air à adopter une attitude permanente de sauvegarde de son potentiel humain et matériel. Responsable de la mise en condition et de la préparation d’une force dont la finalité est d’être prête à intervenir efficacement sans délai, elle doit aussi prévoir pour ses équipages un entraînement adapté aux missions qui lui sont assignées.
Les manœuvres à exécuter, les tactiques à employer ne peuvent être le fruit de la seule recherche théorique. Elles doivent être améliorées et validées dans un contexte réaliste qui met à l’épreuve les qualités professionnelles et les connaissances tactiques du pilote, mais également ses qualités morales et physiques. Cet impératif s’impose d’autant plus qu’il lui faudra dépasser les normes restrictives du temps de paix pour réussir la mission sur le champ de bataille.
L’évolution des techniques, l’amélioration du matériel et des performances des appareils autorisent par ailleurs l’exécution de missions de plus en plus complexes. L’élargissement permanent de l’éventail des menaces sol-air et des moyens d’autodéfense aptes à les contrer augmente encore la charge de travail du pilote. L’acquisition du savoir-faire est donc le seul gage d’une utilisation optimale du matériel. Il n’existe pas d’autres moyens de nature à valoriser le nombre relativement modeste de nos appareils.
Dans le difficile métier de pilote de combat, la sanction des erreurs est trop brutale pour que le personnel, très sensibilisé au problème, ne se sente pas concerné par la sécurité des vols. Chaque accident est douloureusement ressenti par toute une communauté. Les pièges sont trop nombreux cependant pour éliminer totalement les erreurs d’origines diverses – erreur ou défaut de jugement, sous-estimation des difficultés – qui relèvent du caractère impondérable du facteur humain. Cette constatation est formulée de façon explicite dans un rapport publié en 1975 par le centre de recherche de la NASA (Administration nationale de l’aéronautique et de l’Espace, États-Unis) : « Nous ne comprenons pas clairement les facteurs qui font que même des pilotes professionnels, très bien entraînés, commettent des erreurs à des moments critiques d’un vol. Nous ne comprenons pas non plus, sauf dans des cas isolés, les facteurs qui les empêchent de reconnaître et de réagir à des signaux certainement clairs, ou d’intervenir dans des circonstances qui requièrent une réelle intervention. En bref, nous n’avons pas la connaissance de la microstructure du comportement humain dans l’environnement aéronautique, et nous ne comprenons donc pas les causes d’erreur humaine dans cet environnement ».
La population de l’Armée de l’air concernée par la sécurité des vols est caractérisée, dans son ensemble, par de remarquables qualités humaines : intelligence, rigueur, équilibre psychique, bonne condition physique. Pourtant une part encore trop importante des accidents aériens lui est imputée. La contradiction n’est qu’apparente. S’il est en effet relativement facile, au fil du temps, d’améliorer la fiabilité du matériel, l’action qui tend à parfaire les réactions humaines face à un incident est lente, difficile, souvent ingrate. Elle se caractérise par un effort constant pour dispenser, enrichir, et contrôler l’acquis des intéressés à partir de l’expérience commune.
Certains accidents surprennent lorsque l’on considère les décisions prises à un certain moment par l’équipage et qui sont à l’origine de l’événement. L’analyse des paramètres montre parfois que l’accident est survenu à la suite d’une série d’actions dont les raisons restent inexplicables. Les pilotes sont des êtres triés sur le volet, après avoir subi de multiples examens et tests rigoureux, mais il ne faut pas oublier pour autant qu’ils restent des hommes.
En France, le Centre d’études et de recherches de médecine aérospatiale (Cerma) exploite les rapports d’enquête dans lesquels le facteur humain est en cause. Celui-ci est classiquement opposé au facteur mécanique, et recouvre aussi bien des aspects extérieurs au pilote mais qui influencent son comportement (ergonomie, équipements, environnement) que des aspects propres à sa personne et à sa personnalité (défaillance médicale, physiologique ou psychologique).
L’analyse des dossiers d’enquêtes d’accidents aériens montre que la défaillance humaine réside essentiellement dans le mode opératif des pilotes. Ce problème apparaît au tout premier plan avec la mise en œuvre des appareils de nouvelle génération. L’évolution de l’électronique et de l’informatique embarquées a multiplié les paramètres à surveiller : la complexité de certaines missions entraîne une grande dispersion d’attention dans certaines phases de vol (navigation très basse altitude, tir, combat aérien, ravitaillement en vol, etc.). Les jeunes pilotes ou les pilotes plus anciens, avec encore une faible expérience sur le type d’appareil en cause, sont les victimes privilégiées.
Vouloir rechercher la sécurité absolue est une utopie. Le risque zéro n’existe pas en aéronautique. Faut-il admettre pour autant comme une fatalité les accidents aériens ? Sûrement pas. On peut espérer les réduire par une analyse toujours plus approfondie des charges de travail du pilote, de son mode de raisonnement, des transferts de savoir, et par une utilisation judicieuse d’aides telles que la simulation.
Cet exemple d’aide est important, car l’achat de simulateurs sans cesse plus performants demeure une préoccupation constante de l’Armée de l’air, l’objectif n’étant pas de trouver un substitut aux heures de vol, mais de les préparer et de les valoriser. La connaissance pratique et approfondie d’un système d’armes est plus aisément acquise puis conservée, par les manipulations intensives qu’ils autorisent. Les pilotes peuvent ainsi consacrer en vol davantage de temps à la surveillance de l’environnement et de ses embûches.
Sauf à vouloir proscrire ou à dénaturer l’entraînement rigoureux et contraignant du temps de paix, et remettre ainsi en cause l’aptitude au combat de l’Armée de l’air, seule justification de son existence, il serait illusoire, et on ne peut que le regretter, d’espérer une réduction totale des accidents aériens. Wilbur Wright (pionner américain de l’aviation avec son frère, Orville) écrivait en 1901 : « Si vous recherchez la sécurité absolue, vous feriez mieux de vous asseoir et de regarder voler les oiseaux ».
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La sécurité des vols résulte d’un compromis fragile entre l’indispensable préservation d’un potentiel humain et matériel et la nécessité d’un entraînement réaliste.
Par des mesures sans cesse adaptées aux exigences contradictoires du temps de paix et de la préparation au combat de ses équipages et par la pratique quotidienne de la qualité totale, l’Armée de l’air a diminué son taux d’accidents d’une manière très significative au cours des dernières décennies.
Si les causes techniques sont maintenant rares, la défaillance humaine est plus difficile à combattre et à faire disparaître totalement. Dans ce domaine, l’évolution est plus lente, mais l’Armée de l’air ne renonce pas. Il n’y a pas de fatalité. ♦