Défense dans le monde - La furtivité : mythe ou réalité ?
La crise du Proche-Orient pourrait voir, après une première apparition lors de la crise de Panama (1892), l’emploi de l’avion de combat « furtif » Lockheed Martin F-117 Nighthawk. Cet appareil dont la construction est optimisée pour une signature radar minimale, a été développé puis mis en service dans le secret le plus total. Dans le même temps, la lutte tant politique que technologique se développe sur un programme américain exceptionnel : le bombardier Northrop B-2 Spirit, successeur du Rockwell B-1 Lancer ; un enjeu considérable qui soulève de nombreuses discussions et polémiques.
Au-delà de la critique, c’est la notion de furtivité qui émerge, notion nouvelle ? Que n’y avait-on pensé plus tôt ? Pourtant, en remontant le cours incertain de l’histoire et de l’art militaire pour lequel les hommes ont toujours déployé des trésors d’imagination, on peut constater que la discrétion, notion très voisine de la furtivité, a bien souvent fait école. Il s’est agi, tout d’abord, d’échapper à la vue et à l’ouïe de l’adversaire, de se déplacer sans bruit, si possible à l’abri des regards ; tous les moyens étaient bons. On entourait les sabots des chevaux avec du linge, on utilisait les méthodes de camouflage, on se déplaçait la nuit.
Certes, il y eut l’école « impressionniste », les troupes devaient être voyantes, bruyantes, en un mot impressionnantes : uniformes chamarrés, fanfares et autres débordements… Mais l’efficacité des armes, et l’histoire militaire le prouve sans ambiguïté, passe par la discrétion. La furtivité existe depuis toujours. Et si les événements actuels mettent l’accent sur les seuls avions furtifs, le concept s’applique depuis longtemps à bien d’autres types d’armements. En premier lieu, rappelons que la recherche du silence pour les sous-marins est absolument primordiale. Pour les sous-marins nucléaires actuels, le coût de la discrétion acoustique représente environ le tiers du prix de la construction. Citons aussi les efforts importants pour diminuer la signature thermique des hélicoptères de combat et pour abaisser la silhouette des engins blindés.
Avant de poursuivre la réflexion et d’aborder les limitations technologiques pour ce qui concerne le domaine aérien, il est bon de donner une définition de la furtivité appliquée aux armements : il s’agit de toutes les mesures permettant de soustraire un système d’armes à la détection par un ou des capteurs, acoustique, électronique, thermique, optronique ou optique.
Pourquoi cette percée de la furtivité ces dernières années dans le domaine aéronautique ? D’abord, parce que la vulnérabilité des avions de combat a beaucoup augmenté avec l’évolution technologique, en particulier les progrès des capteurs radars et le traitement de l’information afférente, qui ont accru considérablement l’efficacité des armes contre les aéronefs. Ensuite, parce que les progrès en matière de construction aéronautique, de motorisation, l’introduction de l’informatique avec les commandes de vol électriques, ont permis une certaine liberté. Jusqu’à présent, la marge de manœuvre était très faible dans ce compromis si contraignant à établir entre le poids total et la charge utile, les qualités de vol donc la forme, et la motorisation. C’est cette liberté qui est mise à profit au bénéfice de la furtivité.
Pour un avion de combat les recherches s’exercent dans les domaines suivants : acoustique, optique, thermique, radioélectrique et surtout radar.
En acoustique, même si ce n’est pas le domaine principal de recherche, des efforts certains ont été faits pour diminuer le bruit des moteurs ; on est loin du « miaulement » caractéristique du Lockheed F-104 Starfighter ou du bruit de certaines turbines, dont le sifflement strident les signait irrémédiablement. Dans ce domaine, l’emploi minimal, ou même l’absence de postcombustion, est recherché.
En optique, il s’agit d’utiliser avec la meilleure efficacité les peintures de camouflage, ce qui représente plus de cent kilogrammes de poids supplémentaire pour un chasseur de la taille du Dassault Mirage 2000, et de rechercher la diminution, voire la suppression, des fumées émises par les réacteurs.
Dans le domaine thermique, la diminution de signature s’obtient par la suppression de la réchauffe et par la dilution des gaz chauds. D’autres procédés plus complexes peuvent viser au refroidissement des parties chaudes de l’appareil, pointe avant, bords d’attaque et partie du fuselage entourant la chambre de combustion du ou des réacteurs. Cela peut être réalisé, par exemple, par échange de chaleur entre la structure et le carburant avant sa combustion.
Dans le domaine radioélectrique, il s’agit de diminuer au maximum les émissions du système d’armes. Les émissions électromagnétiques sont limitées au strict nécessaire en nombre, en puissance et dans le temps. On fait appel le plus possible aux capteurs passifs, électromagnétiques ou thermiques par exemple, que le progrès technique a rendus plus efficaces.
Mais c’est la recherche de la diminution de la signature radar qui a fait l’objet des études les plus poussées : adoption de formes caractéristiques qui dispersent l’énergie, emploi de revêtements absorbants et disposition particulière des ensembles les plus réfléchissants, entrées d’air, armements. Ces procédés s’opposent, pour la plupart, aux qualités de vol et de motorisation, mais sont actuellement possibles du fait du progrès technologique.
L’avion ainsi réalisé est furtif, mais pas tout à fait invisible. Sa forme opérationnelle la plus achevée est le Lockheed Martin F-117 Nighthawk américain ; toutefois, son emploi sur le champ de bataille se heurte à quelques difficultés dont l’une, et non des moindres, serait de dévoiler à l’ennemi les techniques utilisées, en cas de perte d’un appareil.
Le progrès est-il définitif ? Bien sûr que non, la lutte de l’épée et du bouclier se poursuit. Déjà se développe la contre-furtivité. Pour ne citer que le domaine radar, quelques parades sont possibles.
Les procédés de furtivité étant optimisés pour une gamme de fréquences relativement restreinte, on peut envisager d’utiliser des radars de détection dans des gammes très différentes, ondes métriques par exemple. Des prototypes sont à l’étude, comme le Rias (radar à impulsion et antenne synthétique) en France.
Une autre possibilité de détection est d’employer un type de radar particulier disposant d’un émetteur omnidirectionnel et de récepteurs asservis, localisés dans des zones géographiques très différentes.
Des études sont en cours et pourraient bien aboutir à des résultats satisfaisants. La détection bénéficie des mêmes progrès technologiques que la furtivité et son évolution est loin d’être figée.
L’armement furtif absolu n’existe pas, mais la recherche de la furtivité, loin d’être une mode, doit être une priorité, car elle permet de diminuer la vulnérabilité de systèmes de plus en plus coûteux, et donc d’en accroître l’efficacité.
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Il est extrêmement significatif, en dépit des progrès spectaculaires réalisés dans le domaine aéronautique, que les sous-marins, en particulier les Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), priorité absolue de la Défense, aient bénéficié d’aménagements très poussés. Les recherches se poursuivent pour appliquer ce concept à la réalisation des navires de surface ainsi qu’à celle des matériels terrestres.
L’évolution technologique permet d’envisager des percées importantes dans ce domaine et une application généralisée de ce concept à tous les types d’armes en dépit des progrès constants en matière de détection.
Mettant en jeu les applications les plus avancées de la haute technologie, l’antagonisme détection-furtivité est l’un des aspects modernes de la rivalité ancestrale entre l’épée et le bouclier. ♦