Défense dans le monde - La tragédie sri lankaise
Ceylan, joyau des Indes britanniques, évoquait encore récemment plus une île tropicale tournée vers le tourisme qu’un sanglant lieu de confrontation politique et interethnique. En effet, la situation intérieure sur cette île de dimension réduite (65 610 kilomètres carrés soit 12 % de la surface de la France) n’a cessé de se dégrader depuis 1988 au point que le Sri Lanka est devenu l’un des pays du monde où la guerre civile est la plus meurtrière (davantage qu’au Liban) puisqu’elle a fait près de 30 000 victimes en 1988-1989 pour une population de 17 millions.
L’année 1991 pourrait constituer un nouveau chapitre dramatique à ajouter à l’histoire contemporaine de ce pays. Les antagonismes sont, en effet, plus exacerbés que jamais et les perspectives d’une solution politique très improbables.
Les origines du conflit
L’apparition, dans les années 1970, d’un mouvement terroriste tamoul, le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam), illustrait l’antagonisme, croissant depuis l’indépendance du Sri Lanka acquise en 1948, des deux principales ethnies du pays, les Cinghalais et les Tamouls (1).
À l’origine, les Tigres (par opposition à cingha, le lion, qui est l’emblème des Cinghalais) ne représentaient, en fait, que la minorité tamoule autochtone (11 % de la population) implantée sur l’île depuis plus de vingt siècles, et non les immigrés tamouls indiens récents (8 % de la population), venus travailler au Sri Lanka depuis la fin du XIXe siècle. Les Tigres voulaient défendre les intérêts de la minorité tamoule mais aussi, à terme, créer un État indépendant dans les provinces du nord et de l’est de l’île où les Tamouls sont majoritaires.
Cependant, il serait vain de ne voir dans cette guerre civile qu’une confrontation interethnique. Ces peuples, qui appartiennent à quatre religions principales (le bouddhisme, religion officielle depuis 1972, pour 62 % de la population, l’hindouisme pour 17 %, le christianisme pour 8 % et l’islam pour 7 %), vivent, en effet, mêlés depuis toujours et les clivages ethniques, linguistiques et religieux se superposent. En fait, il s’agit plutôt d’un ensemble d’affrontements qui ont, à l’origine, des motivations politiques comme, par exemple, la persistance depuis le début des années 1970 d’un terrorisme cinghalais de révolutionnaires ultranationalistes représenté par le JVP (Janatha Vimukthi Peramuna ou Front populaire de libération) dans la partie sud du pays.
La situation politique depuis 1988
Avec l’élection, le 19 décembre 1988, de M. Ranasinghe Premadasa au poste de président de la République, le conflit sri lankais prenait une nouvelle orientation. En effet, son programme électoral prônait principalement le retour à la paix civile et le départ du contingent indien, l’IPKF (Indian Peace Keeping Force) qui, déployé dans l’île depuis les accords de Colombo en juillet 1987, compta jusqu’à 100 000 hommes.
Les relations entre les deux pays se sont donc dégradées au moment où les troupes indiennes, composées en majorité d’Indiens du Nord, accomplissaient loyalement leur tâche en combattant le LTTE (plus de 1 150 soldats indiens ont trouvé la mort au cours de leur mission de pacification). Le retrait, qui s’est accéléré depuis la défaite électorale, en novembre 1989, de M. Rajiv Gandhi, ne fut effectif qu’en mars 1990.
La priorité du gouvernement sri lankais en 1989 fut d’écraser la rébellion sanglante du JVP dans le sud du pays. Au prix de nombreuses violations des droits de l’homme, de disparitions et d’exécutions sommaires, cet objectif fut atteint en décembre 1989. Le régime sri lankais, les mains libres au sud du pays, pouvait donc se « consacrer » pendant l’année 1990 à la sécession tamoule dans le nord et l’est de l’île, où les règlements de compte entre les différentes factions rivales faisaient de nombreuses victimes, en particulier dans la population civile tamoule.
La cruauté et l’efficacité du LTTE à éliminer les autres défenseurs de la cause tamoule (en particulier le PLOTE, People’s Liberation Organization of Tamil Eelam, et le EPRLF, Eelam People’s Revolutionary Liberation Front) ont clarifié la situation en 1990 puisque, pour subsister, ces derniers mouvements se sont alliés à Colombo en vue de combattre le LTTE.
La guerre a repris dans le nord et l’est de l’île depuis que le LTTE a brisé, en juin 1990, la trêve qui prévalait après que le président Premadasa eut accepté de négocier directement avec la guérilla tamoule à la mi-avril 1989. Fortement armées et appliquant les méthodes de terreur qui ont fait leurs preuves contre le JVP, les forces armées sri lankaises semblaient enfin en mesure d’écraser un LTTE affaibli à la fois par les divisions de la communauté tamoule insulaire fatiguée par cette guerre sans fin, et la diminution de l’aide venant du Tamil Nadu. C’est en effet dans cet État de l’Union indienne peuplé de près de cinquante millions d’habitants majoritairement tamouls, que le gouvernement central de New Delhi, prônant une solution négociée du conflit, accentuait sa pression pour couper les sources de ravitaillement en armes du LTTE.
Les perspectives d’avenir
Pourtant, même aux abois, le LTTE n’est pas encore éliminé. L’assassinat en plein Colombo, le 2 mars 1991, de l’homme fort du régime sri lankais, le vice-ministre de la Défense, M. Ranjan Wijeratne, rappelait que le LTTE peut frapper où et quand il veut. De plus, les attaques incessantes des Tigres depuis la fin de l’année 1990 dans le nord de l’île, même si elles ont été repoussées au prix de nombreuses victimes, prouvent que le LTTE est toujours capable de mener des opérations militaires de grande envergure. Le gouvernement de Colombo, bien qu’il prétende parfois vouloir régler le conflit par la négociation, semble plutôt désireux d’en finir une fois pour toutes avec la rébellion tamoule. Il n’est cependant pas évident qu’il en ait les capacités militaires malgré son réarmement massif.
La grande inconnue reste l’Inde qui, ces derniers temps, a prêché le retour au calme et a réaffirmé que seule une solution politique pouvait conduire à une guérison des maux de l’île.
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Une solution durable à la guerre civile au Sri Lanka n’est pas en vue, semble-t-il. Ce qui est évident, par contre, c’est que les grands perdants de ce conflit seront les populations tamoules de l’île qui devront sûrement, à terme et malgré leurs réticences, retourner en Inde.
(1) NDLR : les lecteurs pourront consulter l’article très complet de Martial Dassé, « Sri Lanka, les guerres civiles » ; Défense Nationale, avril 1990.