Défense à travers la presse
Le débat de l’Assemblée nationale sur le budget de la défense n’a pas donné lieu à des commentaires, nos confrères se bornant à remplir leur rôle d’informateur, le cas échéant en publiant des articles destinés à présenter la situation. En revanche, les éditorialistes ont été plus diserts sur le plan français de « maîtrise des armements et de désarmement ». Paris y annonce sa décision de signer le traité de non-prolifération nucléaire. Chacun y voit une conséquence ou une leçon de la guerre du Golfe.
Pierre Haski, dans Libération du 4 juin 1991, considère en effet qu’il faut répondre aux inquiétudes nouvelles succédant à la guerre froide :
« La menace, aux yeux des Occidentaux, ne vient plus du froid mais du Sud. Comment empêcher l’émergence de nouveaux Saddam Hussein surarmés, au Proche-Orient comme ailleurs ? On estime en effet à une dizaine le nombre des superpuissances potentielles dans le Tiers-Monde, détentrices d’armes de destruction massive (nucléaires, chimiques ou bactériologiques) ou cherchant à les acquérir ainsi que leurs vecteurs. Comment éviter, comme dans le cas de l’Irak, que le laxisme de certains industriels ou les concurrences entre vendeurs d’armes ou de technologie, ne réduisent à néant toutes les bonnes intentions politiques ? Plusieurs démarches semblent s’opposer. Celle des Américains s’oriente progressivement vers la constitution d’un Cocom [NDLR 2023 : Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations] Sud à l’image de l’organisme né de la guerre froide. Le plan français voudrait proposer une autre voie : la France propose en particulier d’associer les grands pays du Sud aux mécanismes de contrôle. La France se démarque également de la démarche américaine au Proche-Orient ; le plan français souligne que seule l’amorce de la solution des conflits permet d’entamer le processus de contrôle des armements, alors que George Bush tente de mener les deux démarches de front. Sur le dossier des armements, la France met en avant le rôle du Conseil de sécurité. Paris veut lui attribuer une fonction de vigilance mondiale… Le redoux dans les relations américano-soviétiques permet d’envisager de nouveaux progrès sur la voie du désarmement. C’est assurément le cas en Europe. C’est une tâche plus difficile ailleurs ».
Selon Charles Lambroschini, le président Mitterrand confirme ainsi la tradition de la différence française en la matière. Il juge l’initiative élyséenne en ces termes dans Le Figaro du 5 juin 1991 :
« C’est un véritable catalogue qui couvre toutes les catégories d’armes. Le non-conventionnel aussi bien que les arsenaux classiques. Géographiquement, le projet français est global. Toutes les régions du monde sont concernées avec, comme recette, des arrangements locaux inspirés du système européen de la CSCE. Notamment les mesures de confiance, c’est-à-dire d’information qui, effectivement appliquées, pourraient par exemple empêcher un nouveau conflit israélo-arabe. Pour autant, il n’y a pas de garantie que ce plan deviendra réalité. La forme est si courte, une demi-douzaine de pages, pour un fond si vaste, que les dispositions énumérées semblent finalement relever d’un flou délibérément artistique. Tout cela rappelle les constructions trop idéalistes élaborées après la Première Guerre mondiale. Un résultat similaire est donc à craindre. À l’époque, les vaincus de la tuerie de 1914-1918 avaient interprété ce savant dispositif comme un diktat des vainqueurs. Aujourd’hui, le Tiers-Monde risque de ne voir dans ce programme qu’un camouflage pour pérenniser la suprématie des nantis sur les damnés de la Terre ».
L’éditorialiste du Monde, daté du 4 juin 1991, n’éprouve pas de tels soucis. Au contraire, il exprime une nette satisfaction :
« Quel que soit l’avenir du plan français de désarmement, il vient au bon moment. Dans la mesure même où ce plan invite le reste du monde à suivre l’exemple encourageant donné par l’Europe avec le Traité de Paris sur les forces conventionnelles, FCE, il convenait que cet accord sorte de l’impasse dans laquelle il se trouvait. Comment pouvait-on donner, en effet, une portée quasi universelle à un accord contesté aussitôt que signé, et dont la ratification apparaissait problématique ? Cet obstacle est désormais levé puisque, comme l’ont annoncé samedi 1er juin à Lisbonne MM. Baker et Bessmertnykh. Washington et Moscou ont surmonté leurs divergences à ce sujet ».
Autre sujet à avoir retenu l’attention de nos confrères : la conférence de l’Otan à Copenhague. Dans Le Quotidien de Paris du 7 juin 1991, Alain Chastagnol estime que l’Organisation cherche à prendre les Européens de vitesse pour les retenir d’afficher une véritable identité commune de défense :
« Yalta n’existe plus vraiment. Le bloc de l’Est a éclaté. Il n’y a plus qu’une superpuissance mondiale et victorieuse, qui cherche à organiser la planète. La course de vitesse de l’Otan, si proche des États-Unis, ne s’explique pas autrement : les États-Unis en font leur outil de surveillance alors qu’il n’y a pas si longtemps on renvoyait dos à dos les deux coquilles vides du Pacte de Varsovie et de l’Otan qui voulaient se transformer en organisations politiques. Hier à Copenhague, l’Otan est largement sortie de son rôle qui devait confiner ses réflexions aux territoires de ses ressortissants pour établir une coopération avec ses anciens adversaires de l’Est. Le président de la République devra donc réagir comme il a commencé à le faire. Il faut imaginer la Far [Force d’action rapide] européenne dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale et discuter les modalités d’association à l’Otan. Les Américains se déclarent prêts à retirer leurs troupes d’Europe et nous exhortent sans cesse à prendre en charge notre sécurité : ils doivent pouvoir comprendre ce langage, même si toute émergence européenne, comme c’est le cas au sein du GATT [Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce], les effraie ».
Sous le titre « Les délicats chemins européens de l’Alliance », Isabelle Legrand-Bodin examine plus en profondeur cette question de l’UEO. Elle explique aux lecteurs de La Croix du 6 juin 1991 :
« Oui ou non, les Européens ont-ils encore une chance de peser sur la sécurité du Vieux Continent ? D’un côté, il y a des optimistes qui pensent que la réforme de l’Otan (reprise en main totale du système par le couple américano-britannique) ne signifie pas de facto l’enterrement du pilier européen de l’Alliance. Ceux-là veulent encore croire à l’UEO et désirent qu’elle se dote d’une structure militaire réduite capable de planifier certaines interventions. Ils pensent que l’UEO peut constituer ce pilier européen de l’Otan, doté de zones d’intervention différentes de celles de l’Otan. De l’autre côté, il y a les pessimistes, consternés par la réforme de l’Otan et la marginalisation de la France. Ceux-là ne croient plus à l’UEO et veulent faire bouger les choses de l’intérieur. Leur solution n’est pas de bâtir le pilier européen mais d’européaniser l’Otan. Subtile nuance. Comment ? En exigeant notamment un commandement européen pour le théâtre d’opérations et une révision de la stratégie nucléaire de l’Alliance. Contre quoi ? Tout simplement le retour de la France au sein de cette nouvelle Otan européanisée ».
Comme dit notre consœur en conclusion : le débat ne fait que commencer. ♦