Défense en France - Débat sur la défense à l'Assemblée nationale
Annoncé par le président de la République à l’issue de la guerre du Golfe, le débat sur la politique de défense s’est tenu à l’Assemblée dans la soirée du 6 juin 1991. En dépit d’une assistance clairsemée, il a donné un premier aperçu des positions du gouvernement et des partis, avant le débat sur la loi de programmation, prévu pour la fin de l’année.
Faisant le bilan de la guerre du Golfe, M. Joxe, ministre de la Défense, a rappelé qu’au moment où la division Daguet entre en action, nous avons 33 000 hommes outre-mer, 3 Sous-marins nucléaires lanceur d’engins (SNLE) à la mer et deux corps d’armée affectés à la défense du territoire européen. Quant aux leçons à tirer de cette guerre, elles sont d’améliorer l’interopérabilité de nos matériels avec ceux de nos alliés, de durcir nos forces de projection et d’assurer leur allonge logistique, de veiller à la suffisance de nos stocks, de modifier l’équilibre entre les appelés et les soldats professionnels, et surtout de revoir l’efficacité de nos moyens de renseignement. Laissant aux représentants du Parti socialiste le soin de lancer des ballons d’essai sur le niveau du budget et des effectifs, il estime qu’il n’y a pas de croissance budgétaire possible, que le format des trois armées doit être réduit, mais de façon limitée pour l’armée de terre appelée à assurer les missions et le rang de la France dans le monde.
Dans la situation d’instabilité que connaissent l’Europe et le monde, ces missions impliquent des armes de dissuasion suffisantes et efficaces, des forces classiques modernes, en mesure de faire face à une agression majeure en Europe, et à des interventions plus limitées outremer ; des moyens de projection navals et aériens ; une logistique renforcée ; des satellites de communication et d’observation spatiale.
Pour réaliser ces moyens, le ministre a conçu une nouvelle méthode de programmation, envisagée comme la première phase d’une planification jusqu’à l’an 2002. Elle consiste à définir les besoins interarmées nécessaires pour remplir six fonctions : dissuasion, espace-renseignement, opérations aériennes et terrestres, opérations aéromaritimes, cohérence-soutien, recherche-formation. Les buts poursuivis sont ainsi de « rapporter notre effort de défense à des concepts opérationnels », d’associer prévision budgétaire et capacités militaires à l’évaluation des menaces et de leurs parades, de planifier à plus long terme les équipements et les effectifs, d’améliorer la condition militaire. Le Parlement, dont le ministre recherche l’assentiment, sera informé chaque année de l’exécution des programmes, ainsi que des ventes d’armes à l’étranger. S’agissant de notre industrie d’armement, la première d’Europe. M. Pierre Joxe l’invite à ne pas « vivre dans l’autarcie et avec l’assurance qu’elle dispose d’un marché protégé » ; il se fait même « l’avocat du marché européen de l’armement ».
Sur le budget et sur le format des armées, le président de la Commission de la défense a apporté des précisions que le débat de l’automne permettra de confirmer. Le budget militaire devrait se stabiliser à 15,5 % du budget de l’État (il est à 15,3 % en 1991) ; il n’y aurait plus que 350 avions de combat, 700 chars, 5 SNLE, 3 ou 4 essais nucléaires par an, et une seule flottille pour les porte-avions. Les effectifs proposés sont moins précis : 120 000 à 180 000 hommes pour les forces de manœuvre, 50 000 à 70 000 pour la Force d’action rapide, la Far (les chiffres maximaux semblent irréalisables). Des matériels nouveaux paraissent nécessaires à M. Jean-Michel Boucheron : missile de croisière conventionnel, char de 25 tonnes, avion de transport lourd et hélicoptère NH90 (ce dernier serait contesté par l’Armée de terre).
Certaines convergences ont été exprimées par les porte-parole des partis, à l’exception des communistes qui restent les apôtres du désarmement et de la non-intervention. Le consensus porte sur l’appréciation de l’instabilité internationale, sur la priorité de la dissuasion et de l’Espace, sur la construction d’une Europe de la défense, et sur le nouvel équilibre à réaliser entre une conscription rénovée et une professionnalisation accrue.
Les divergences demeurent fortes sur les moyens, et en particulier sur la 2e composante de la Force nucléaire stratégique (FNS). Alors que les socialistes semblent s’orienter vers le maintien d’Albion qui serait armé de missiles M45 puis M5, les gaullistes restent attachés au missile déplaçable S4, l’UDF prône le missile aérien ASLP (Air-sol longue portée), l’UDC hésite entre le S4 et l’ASLP. Un prochain Conseil de défense devrait trancher ce débat.
Le pourcentage du budget militaire par rapport au Produit intérieur brut marchand (PIBm) a suscité une discussion intéressante. L’UDC souhaite son maintien au niveau actuel, le RPR le porterait à près de 3,5 % et l’UDF à 4 %. Les socialistes en revanche remettent en cause cette référence, qui leur paraît artificielle parce que liée à la croissance du revenu national (1). Est-ce une façon de justifier une prochaine réduction et de masquer la diminution de ce pourcentage depuis 1982, contrastant avec la période précédente ? François Hollande, l’expert financier du PS, a justement souligné la rigidité des structures budgétaires, qui ne se prêtent pas à des écarts importants, ni en hausse ni en baisse. Il estime que la poursuite des programmes majeurs impose une augmentation de 2 à 2,5 % des crédits d’équipements (en francs constants), et que le fonctionnement des armées requiert une croissance de 1 %, soit une augmentation de 2 % par an du budget en termes réels. Les réductions d’effectifs, précise-t-il, ne procurent que de faibles économies, alors que l’on pourrait dégager 1,5 milliard sur le nucléaire.
Tandis que M. Joxe estimait que les démarches de rénovation de l’Otan et de construction d’une défense européenne progressent de façon parallèle et complémentaire (2), les députés de l’opposition se prononçaient pour une coopération plus étroite avec l’Alliance atlantique. M. Alain Juppé soulignait que l’absence de la France dans les discussions sur la réforme de l’Otan augmentait son isolement. Plutôt qu’une illusoire défense européenne, M. François Fillon souhaitait une « européanisation de l’Otan ». Le ministre a jugé intéressante la suggestion d’une coopération nucléaire avec la Grande-Bretagne, envisagée aussi bien à gauche qu’à droite. Tout en affirmant qu’en cas d’engagement militaire, « l’intégration opérationnelle est la condition du succès », il a cependant insisté sur l’autonomie du choix politique de la France et sur l’incertitude de son engagement aux côtés de nos alliés. Cette observation ne paraît pas de nature à engager les Européens, les Allemands en particulier, à promouvoir une défense commune.
(1) Le lien entre l’évolution de ce pourcentage et la croissance du PIBm n’est pas évident : ce pourcentage a en effet fortement décru de 1960 à 1974, alors que la croissance moyenne était de 6 %. Il a ensuite augmenté au moment où la croissance se stabilisait à 3 %. Voir dans Le Casoar de juillet 1991 : « 30 ans de programmation militaire ».
(2) Le même débat a eu lieu à l’UEO (voir chronique sur les institutions internationales).
Maurice Faivre
Les uniformes de la Belle Époque s’exposent…
Le Musée de l’Armée présente trente uniformes utilisés par l’armée française à la fin du XIXe siècle. Derniers témoins d’un temps où les progrès technologiques n’avaient pas encore contraint les militaires au « camouflage », les uniformes exposés dans la salle d’honneur de l’Hôtel national des Invalides se situent à la charnière entre deux époques :
La fin du XIXe siècle et notamment les années postérieures à la guerre de 1870 où l’uniforme est admis comme un attribut distinctif de la condition et du prestige militaires, reflet de la société du temps dont il évoque les fastes et la frivolité.
Le début du XXe siècle, période où une tendance certaine à la simplification et à l’atténuation des couleurs se dessine. Une exception notable cependant : le maintien du « pantalon garance », symbole des traditions de l’armée française, qui sera utilisé avec l’accord du pouvoir législatif et politique jusqu’au mois d’août 1914.
Exposition du 2 septembre au 13 octobre 1991.