Armée de terre - L'artillerie sol-sol française, aujourd'hui et demain
Les 136 AMX-10RC et AMX-30B2 de la division Daguet ont été appuyés, lors de l’offensive aéroterrestre, par 94 tubes de 155 français et américains auxquels il faut associer 18 Lance-roquettes multiples (LRM), 24 canons de 203 et 18 automoteurs de 155 du XVIIIe corps américain prévus en renforcement des feux. Ce ratio entre armes à tir direct et armements à tir courbe, sensiblement comparable d’ailleurs à celui du corps expéditionnaire britannique, est désormais un fait à prendre en compte.
Le temps de paix estompe le poids du feu. Les premières menaces lui rendent rapidement toute sa valeur. Il s’agit là d’ailleurs d’une tendance qui ira en s’alourdissant dans les armées occidentales. Les appuis demeurent en effet l’une des garanties essentielles pour limiter les pertes lors de la mêlée.
On a vu également le caractère déterminant de la supériorité aérienne des alliés dans l’issue du conflit. La neutralisation de l’artillerie sol-air irakienne a été le passage obligé des premiers jours de guerre. C’est dire a contrario l’importance de cette artillerie pour toute armée qui veut garder sa liberté d’action.
Il en va de même bien sûr pour le recueil du renseignement et son exploitation sur lesquels beaucoup a déjà été dit. Le constat, après l’opération Daguet, a permis de mettre en évidence certaines de nos faiblesses dans ce domaine et de prendre les premières décisions qui s’imposaient. Importance des appuis indirects, du contrôle du ciel et du renseignement dans la profondeur sont donc parmi les principales leçons déjà tirées du conflit du Golfe. Celles-ci concernent par définition l’artillerie.
Conjoncture longtemps défavorable
Où en est l’artillerie française aujourd’hui ? Elle a été longtemps considérée comme l’une des meilleures du monde : une réputation qui date des terrifiants duels que se sont livrés Français et Allemands de part et d’autre des tranchées de Verdun ou de la Somme.
Cependant, une certaine perception des combats de 1940 vus essentiellement comme la réhabilitation du mouvement, puis les deux guerres coloniales livrées par la France et lors desquelles l’infanterie confirmait son statut de reine des batailles, enfin un concept de défense militaire du faible au fort pour lequel la victoire tactique n’est plus un but en soi, et des interventions extérieures se limitant souvent à des opérations de police plus ou moins lourdes, sont autant d’éléments qui se sont conjugués pour ne plus donner à l’artillerie classique la priorité qu’elle méritait.
Corollaire de cette situation : un recrutement qui n’écrème plus aujourd’hui la sortie des écoles militaires. Mais encore faut-il corriger cette rapide appréciation en relevant que leur classement se fait encore sur des critères où le combat d’infanterie reste (trop) primordial, ce qui favorise donc les élèves officiers ou sous-officiers attirés par les armes de mêlée. Cela relève d’ailleurs plus de la conjoncture française de ces 50 dernières années, comme nous venons de le voir, que d’une règle éternelle et universelle.
Demain : d’intéressantes perspectives
Elle pourrait d’ailleurs changer à terme. Le conflit du Golfe a révélé qu’à la sacro-sainte formule propre à l’Armée de terre « la technique ne vaut que par l’homme », il devient urgent d’ajouter que l’homme ne vaut désormais que par la technologie qu’il sert. Ce changement de mentalité va avoir, il ne faut pas en douter, de sérieuses répercussions sur le choix des armes et des spécialités pour les candidats à une carrière militaire, ainsi que sur les choix budgétaires.
Dans ce nouveau contexte, l’artillerie française dispose d’atouts importants grâce à la qualité de ses matériels et aux perspectives qui s’ouvrent devant elle.
Sur le plan du renseignement tactique, le radar héliporté Horizon permet dès à présent de localiser des forces jusqu’à une distance de 70 kilomètres. Le missile CL289 exécute des missions à 200 km dans la profondeur du dispositif ennemi. Les radars Ratac et Rasit sur VAB, les véhicules d’observation avec caméra thermique et télémètre laser permettent de localiser l’ennemi jusqu’à 15 km en tout temps. Vers 1996, le radar Cobra complétera ce dispositif. Il sera capable de localiser jusqu’à 40 batteries ennemies en 2 minutes. Par ailleurs, des artilleurs se forment déjà à l’exploitation du satellite Hélios.
Les lanceurs français, avec leurs tubes de 155 dont le système d’alimentation permet une cadence de tir de 6 coups à la minute, sont objectivement performants. Ils peuvent ou pourront tirer des munitions explosives, éclairantes, fumigènes ou à grenades (63 grenades antipersonnel et antichar par obus) jusqu’à 27 km.
L’automoteur AU-F1 équipe les divisions blindées ; le canon 155 TR F1, tracté par TRM 10 000, équipe les divisions d’infanterie. Avec ces moyens, l’artillerie d’une division blindée peut neutraliser en une minute un ennemi déployé sur une surface de 16 hectares.
À cette panoplie de lanceurs, il conviendra d’ajouter dès 1994 le LRM, avec sa portée de 32 à 40 km pour la roquette à grenades (644 grenades par roquette). La salve de 12 roquettes d’un seul LRM aura des effets équivalant à ceux de tout un régiment d’artillerie. Plus tard, avec le missile tactique ATACMS, l’artillerie pourrait frapper à 120 km pour neutraliser 4 ha en dispersant 1 000 sous-munitions pour un seul missile.
La rapidité de réaction de l’artillerie est obtenue par l’emploi d’un réseau de traitement automatique de données Atila qui, dès 1992, sera remplacé par Atlas, regroupant canons et LRM dans le même réseau.
Le tir efficace d’emblée est maintenant possible grâce à des moyens tels que le Sirocco (évaluation des conditions aérologiques), le Miradop (mesure des vitesses initiales des obus), les navigateurs terrestres, ou encore les télémètres lasers (localisation des objectifs) et les gyroscopes (orientation quasi instantanée des pièces).
Il est difficile aujourd’hui de faire des prévisions quantitatives sur l’artillerie de demain mais, qualitativement, elle est déjà au même niveau technologique que les systèmes d’armes étrangers : un atout qu’il ne faut pas négliger tant sur le plan de la réorganisation de l’armée de terre en cours que sur celui des marchés à l’exportation, notamment en Europe. ♦