Défense dans le monde - Force d'interposition au sein de la Communautés des États indépendants (CEI)
Pendant plus de soixante-dix ans, le centralisme soviétique avait masqué les différends ethniques et territoriaux que les déplacements massifs de population entrepris sous le règne de Staline n’avaient fait qu’exacerber. Aucune solution n’avait été trouvée et la « perestroïka » lancée par Mikhaïl Gorbatchev (alors Secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique) dès 1986, en soulevant le couvercle de la boîte de Pandore, allait permettre aux tendances séparatistes et xénophobes de resurgir avec plus de violence. Plus de cent quatre-vingts « points chauds » étaient ainsi répertoriés sur le territoire soviétique en 1991.
Les dirigeants de la nouvelle Communauté des États indépendants (CEI), qui a succédé à l’URSS en décembre 1991, ne pouvaient ignorer ce problème. De nombreuses tentatives ont été faites pour concevoir et mettre en œuvre une doctrine d’interposition ; mais le refus de certains États, l’incapacité des autres à participer à de tels déploiements, font reposer tout le poids du dispositif sur les forces russes.
Le concept de forces d’intervention
Dès la création de la CEI, les questions militaires ont été à l’ordre du jour, mais ce n’est qu’à la 3e réunion des chefs d’État, celle de Minsk le 14 février 1992, qu’apparaît le projet de force d’interposition interétatique, sous la forme des « forces unifiées d’intérêt général » (« sili obehtchevo naznatchenia »). Introduit par la Fédération de Russie, il est immédiatement rejeté par l’Ukraine, la Moldavie, l’Azerbaïdjan et, à un degré moindre, par l’Ouzbékistan.
Un mois plus tard, lors de la réunion de Kiev le 20 mars 1992, un accord de principe est obtenu pour l’étude de la mise sur pied d’une force d’interposition qui serait composée d’observateurs militaires et de forces collectives de maintien de la paix.
À Tachkent (Ouzbékistan) le 15 mai 1992, un nouveau pas est franchi avec la signature par six États d’un traité sur la sécurité collective. L’article 2 envisage, en cas de menace pour la paix, la mise en œuvre d’un mécanisme de consultations en vue de prendre les mesures propres à mettre un terme à cette menace. L’article 3 prévoit, pour sa part, qu’en cas d’agression contre l’une des parties, les autres mettront à sa disposition l’aide nécessaire, y compris militaire, et lui apporteront leur soutien.
Ce n’est qu’à la réunion de Moscou (6 juillet 1992) et face à l’aggravation des conflits interethniques que les chefs d’État décident la création de cette force d’intervention. Le maréchal Shaposhnikov, commandant en chef des forces armées unifiées de la CEI, est chargé de présenter des propositions. Celles-ci ont été approuvées par les ministres des Affaires étrangères et de la Défense réunis à Tachkent le 16 juillet 1992, mais n’ont débouché sur aucune décision formelle.
Il s’agit donc d’un concept qui a visiblement bien du mal à passer. La plupart des États membres de la CEI craignent en effet que la Russie ne profite des conflits interethniques pour jouer à nouveau la carte centralisatrice. En outre, la plupart d’entre eux peuvent difficilement fournir des forces d’intervention, faute de personnels (cadres et troupes) qualifiés et de moyens financiers.
Le projet de Forces d’intervention CEI
Le projet présenté par le maréchal Shaposhnikov à Tachkent prévoyait que des « forces de la paix » pourraient être mises à la disposition de la CEI en cas de besoin ; elles devaient être formées de volontaires, qui porteront comme signe distinctif un Casque blanc avec un liseré bleu.
Leur mission sera de faire respecter les trêves entre les parties belligérantes, mais leur emploi sera soumis à deux conditions : l’existence d’un cessez-le-feu respecté par les deux parties, la demande expresse de la part des belligérants d’un déploiement. Elles seront autorisées dans certains cas à faire usage de leurs armes.
La contribution de chacune des républiques sera, bien entendu, fonction du volume de ses propres forces armées. Un chiffre de 100 000 hommes au total avait été avancé.
Le commandement de cette force devait être assuré « en temps de paix » par le général-colonel Pyankov, premier adjoint du maréchal Shaposhnikov. Toutefois, sans doute pour ménager les susceptibilités des autres membres, il était prévu que, pour chaque conflit, le commandant des forces sur le terrain serait désigné par le conseil des chefs d’État.
Il faut bien avouer que l’adoption de ces propositions redonnait à la CEI, tout au moins dans le domaine militaire, un regain d’existence que la création des forces armées russes en mai et l’attitude négative de certaines républiques avaient fortement compromis. Malheureusement, dans les faits, la constitution de telles forces et leur emploi sur les lieux de conflits interethniques se sont révélés difficiles. Que ce soit en Ossétie, en Transdniestrie [Transnistrie] ou au Tadjikistan, le mécanisme prévu à Tachkent n’a guère joué. Le plus souvent, ce sont des accords bilatéraux entre la Russie et l’État sur le territoire duquel a éclaté le conflit qui ont permis le déploiement d’unités d’interposition.
On peut également noter que dans les trois cas cités, ce sont les unités russes, comme il fallait s’y attendre, qui constituent l’ossature, sinon la quasi-totalité des contingents mis en place (un bataillon en Ossétie du Sud, six en Transdniestrie, cinq au Tadjikistan, trois ou quatre en Abkhazie, trois régiments en Ossétie du Nord).
Les forces russes de maintien de la paix
Très vite il est apparu aux responsables militaires russes que les forces dites d’intérêt général allaient devoir remplir des missions d’interposition, d’intervention dans des conflits de basse et moyenne intensité. L’idée d’une force de réaction rapide russe a gagné rapidement du terrain. À l’origine, on envisageait surtout une force constituée de troupes aéroportées et d’infanterie navale, à laquelle on pourrait adjoindre quelques unités d’infanterie motorisée.
Utilisant les moyens de l’aviation de transport et ceux de l’aviation d’armée (hélicoptères), cette force de réaction rapide doit bénéficier du soutien de l’artillerie, de l’aviation tactique et du renfort d’unités de guerre électronique. La structure de commandement adoptée est celle des troupes aéroportées, avec notamment un système C3I (Commandement, contrôle communications et renseignement) spatial.
Au début de septembre 1992, le général-colonel Dubynin, premier vice-ministre de la Défense et chef de l’état-major général (décédé en novembre 1992), annonçait officiellement à la presse qu’une division de maintien de la paix était en cours de formation et d’entraînement dans la région militaire de Volga.
Cette grande unité, stationnée à Totskoe dans la province d’Orenburg (sud de la Russie européenne), a conservé la structure traditionnelle des divisions de fusiliers motorisés à trois régiments, avec toutefois quelques particularités (son armement est plus léger, elle est renforcée par des unités spéciales de renseignement, de transmissions, du génie). Par contre, elle n’a ni matériels blindés (seulement des BTR), ni artillerie, ni défense antiaérienne.
Les personnels, sélectionnés sur la base du volontariat, reçoivent une instruction de base de 6 mois, puis une instruction spéciale avant d’être envoyés sur les points chauds. Ils bénéficient de conditions de service très avantageuses, tant dans le domaine de la solde que dans celui de la protection et des avantages sociaux (appartement, permissions, primes). Les effectifs, qui doivent avoisiner les 6 000 hommes, sont ceux d’une division aéroportée.
Plus récemment, au cours d’une visite dans les régions militaires de Volga et d’Oural, le ministre de la Défense, le général Grachev, a confirmé que les forces « de réaction rapide » seraient bien stationnées dans ces deux régions. Les unités constituantes seront en fait dédoublées, tant au plan des équipements qu’à celui des personnels d’encadrement.
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La mise sur pied de forces d’interposition par la Communauté des États indépendants se heurte à de nombreux obstacles. L’Ukraine et la Biélorussie, seules capables avec la Russie de déployer des unités à l’extérieur de leur territoire, s’y refusent catégoriquement, essentiellement pour des raisons de politique intérieure. Tout le fardeau retombe donc sur les épaules de Moscou, peu préparé à ce genre de mission. En outre, l’importance et la multiplication des conflits interethniques au sein de la CEI, mais aussi à l’intérieur de la Fédération de Russie elle-même (conflit osséto-ingouche), pose à l’état-major russe le problème de l’insuffisance des moyens et des contingents de Russie.
Cette situation critique explique sans doute l’évolution de la position du gouvernement russe, qui souhaiterait visiblement une coordination des actions d’organisations européennes de type CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) ou UEO (Union de l’Europe occidentale) avec celles des forces de maintien de la paix de la CEI. ♦