Armée de terre - Le Lance-roquettes multiple (LRM) : souplesse et modularité au service de la puissance de feu
En 1995, deux régiments français de Lance-roquettes multiple (LRM) seront pleinement opérationnels, en mesure, en cas d’engagement, de neutraliser ou de détruire des objectifs situés dans la profondeur. Il s’agira d’une capacité entièrement nouvelle au sein des forces terrestres.
Le système d’arme LRM se caractérise par trois qualités essentielles : une puissance de feu considérable, une autonomie élevée et une souplesse d’emploi sans équivalent.
Une puissance de feu considérable
La guerre du Golfe a mis en évidence l’importance des appuis feux. L’opinion publique, chez nous, en a surtout retenu les raids aériens auxquels l’Armée de l’air française a pris une part significative. Par contre, nos moyens étant peu présents sur le « créneau » des feux sol-sol, les médias français ont occulté le rôle essentiel joué par les LRM américains dans ce conflit où fut pourtant appliquée la technique du « combat par les feux » (Fighting with fire). Les Américains ont confirmé que ces moyens d’agression constituaient une véritable force de frappe conventionnelle, et ils ont d’ailleurs augmenté leurs commandes de LRM dans le budget 1993 ratifié par le Sénat (soit au total cumulé à ce jour de 1 600 lanceurs commandés, répartis entre l’armée et le Corps des Marines).
Un lanceur LRM délivre en une minute une salve capable de neutraliser ou de détruire n’importe quel ensemble de cibles réparties sur une surface de 20 hectares, en dispersant une grenade AP/AC tous les 20 mètres carrés, et ce à 30 kilomètres. Le régiment est capable, quant à lui, dans le même délai, de prendre à partie un ensemble de cibles sur une superficie d’environ 300 ha dans l’hypothèse où la totalité des lanceurs tirerait simultanément. Comptant 24 lanceurs (répartis en 3 batteries de 2 sections de 4 pièces), ce régiment délivre 288 roquettes dispersant 185 472 grenades capables de percer 6 à 10 centimètres de blindage.
Cette puissance de destruction instantanée représente, dans la main du commandant des forces terrestres de théâtre, une garantie élevée de liberté d’action pour ses moyens de combat.
Une autonomie élevée
C’est là le second atout déterminant du régiment LRM. Cette autonomie est globale, car elle concerne aussi bien le lanceur que le système lui-même. En effet, le lanceur est un engin chenille léger (25 tonnes), puissant (500 CV), rapide (70 km/heure) et embarquant un environnement technique de pointe. Il est doté d’un calculateur de bord, d’une centrale inertielle, d’un navigateur terrestre et d’un système automatisé de chargement des munitions. Servi par seulement trois hommes d’équipage (un chef, un opérateur et un pilote), il peut effectuer une mission de tir en autonome.
Les structures du régiment LRM renforcent et prolongent cette qualité, car chaque batterie de tir possède ses éléments organiques de commandement et de ravitaillement, ce qui permet à celle-ci d’assurer une mission autonome pour une durée déterminée. Le système de commandement Atlas (Automatisation des tirs et des liaisons de l’artillerie sol-sol) assure les quatre fonctions majeures que sont la gestion des tirs, la manœuvre des lanceurs et celle des munitions, la transmission automatique de données, le tout à partir des Poste radio de 4e génération (PR4G).
Côté logistique, le régiment a été doté de 96 vecteurs logistiques très mobiles et faciles à mettre en œuvre (VTL et TRM 10 000 à plateaux déposables) qui lui assurent l’emport de plus de la moitié de son autonomie initiale.
Une souplesse d’emploi sans équivalent
Articulé autour des lanceurs, du système Atlas et ultérieurement du radar de trajectographie Cobra, le système d’arme LRM s’adapte à n’importe quel volume de forces. Très modulable grâce à l’efficacité unitaire des lanceurs et à la standardisation des stations Atlas, il peut être intégré à un corps d’armée, adapté à une division ou bien encore mis en place au sein d’une force d’intervention ou d’interposition.
La souplesse d’emploi caractérise par ailleurs sa manœuvre. Comme les LRM représentent des objectifs privilégiés pour l’artillerie adverse, ils doivent prendre des mesures de sauvegarde basées sur la mobilité. En effet, la signature radar, le bruit et les lueurs des roquettes rendent le repérage des lanceurs aisé. Ceux-ci quittent systématiquement leur position après chaque tir.
Cette manœuvre dynamique et fluide, fondée sur le principe « tir et esquive », peu pénalisante pour la disponibilité instantanée, crée les conditions favorables à un emploi en souplesse du système d’arme.
De surcroît, la stricte standardisation du matériel – y compris les munitions – avec nos partenaires du programme LRM, l’interopérabilité totale de l’ordinateur de bord qui s’exprime en quatre langues constituent des éléments déterminants à prendre en compte, et notamment dans le domaine logistique. Cette interopérabilité (la seule existant au sein d’un système d’arme majeur terrestre, à ce jour et à une telle échelle) contribue encore à la souplesse d’emploi en cas d’engagement au sein d’une force interalliée ou multinationale.
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De telles qualités ne peuvent manquer de laisser envisager de nouvelles capacités pour ce système d’arme original.
En l’occurrence, la puissance de feu du régiment LRM est telle qu’elle fait peser sur l’adversaire un niveau de menace qui n’était jusqu’à présent reconnu qu’à des systèmes nucléaires antiforces. Le LRM a ajouté la portée, la précision, la rapidité de réaction, la saturation et l’efficacité terminale aux anciens systèmes de lance-roquettes qui avaient été considérés jusqu’à présent comme des armes à effet psychologique. Après le bruit effrayant des antiques orgues de Staline [NDLR 2023 : Katioucha] pendant la Seconde Guerre mondiale, la terreur inspirée par les Grad soviétiques sur les populations libanaises, les soldats irakiens ont raconté leur anéantissement sous la « pluie noire » des LRM.
Le régiment LRM, c’est surtout le seul moyen terrestre capable, à lui tout seul et pour des années, de briser l’offensive d’un régiment de chars, de détruire tous les PC non durcis, de neutraliser toutes les bases logistiques ennemies.
Ses effets en font ainsi un système d’arme de nature à restaurer, au niveau conventionnel, la notion de dissuasion. Sa seule puissance potentielle constitue une menace qu’un adversaire est contraint de prendre en compte dans sa propre manœuvre. Complété demain par le radar Cobra, capable dans le futur de tirer des munitions encore plus performantes (dont la roquette à sous-munitions antichars), il n’est pas un système d’artillerie de plus, mais une arme complètement nouvelle aux implications tactiques et stratégiques de première importance. ♦