Défense dans le monde - Stabilité en Europe centrale et menace dans les Balkans
En moins d’une décennie, l’Europe vient de connaître des bouleversements qui, pour prévisibles qu’ils pouvaient être dans le cadre du scénario de la réunification allemande, ont modifié les relations entre les États ainsi que leur politique de défense. La recherche d’une sécurité indispensable à l’établissement de nouveaux rapports interétatiques passe par l’application de mesures de confiance.
Dans le droit fil de l’esprit d’Helsinki, les accords de Stockholm, de Vienne et le traité de Paris ont été l’aboutissement de la volonté des États de mettre en œuvre une politique de stabilité. Si celle-ci est en bonne voie en Europe du Nord et centrale, il n’en va pas de même dans les Balkans : le conflit actuel en ex-Yougoslavie en est l’illustration. C’est de la façon dont ce conflit sera réglé que l’on pourra juger de la capacité de l’Europe à trouver un équilibre dans sa construction « de l’Atlantique à l’Oural ».
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Deux faits marquants constituent des étapes essentielles dans la construction européenne : la mise en œuvre d’une nouvelle pensée politique en URSS dont Gorbatchev a été le principal artisan, et la réunification allemande, l’une ayant permis à l’autre de se réaliser.
L’influence de la politique de « perestroïka » s’est exercée, sur le plan militaire, principalement en Europe centrale où la tension militaire était la plus forte, c’est-à-dire en ex-Allemagne de l’Est et en ex-Tchécoslovaquie. C’est ainsi que le 9 novembre 1989, l’ouverture du mur de Berlin marquait d’une façon tangible le début officiel d’un processus inéluctable : la réunification de l’Allemagne et la chute du système communiste ainsi que de l’organisation politique et militaire du Pacte de Varsovie.
La réunification de l’Allemagne présupposait un retrait des troupes soviétiques stationnées et une modification de la posture de l’Otan.
L’évolution rapide des événements en Allemagne (22 décembre 1989 : ouverture de la Porte de Brandebourg à Berlin ; 3 octobre 1990 : réunification allemande officielle) et dans les Républiques baltes (15 février 1990 : le Parlement letton se prononce pour l’indépendance ; 11 mars 1990 : déclaration d’indépendance de la Lituanie ; 30 mars 1990 : déclaration estonienne de souveraineté ; 8 août 1990 : proclamation de l’indépendance de l’Estonie), alliée à l’éclatement de l’URSS, conséquence du coup d’État manqué des 19, 20 et 21 août 1991, constituent autant d’étapes du remodelage de la carte européenne et du retrait soviétique, puis russe, d’Europe de l’Est.
Parallèlement à ces changements en Europe centrale, dont le dernier acte en date est la partition de la République fédérative tchèque et slovaque au 1er janvier 1993, la situation se modifiait précipitamment en ex-Yougoslavie : éclatement de la République socialiste fédérative yougoslave par proclamations de souverainetés et d’indépendances des républiques et des ethnies au sein de celles-ci. La Croatie se déclare république constitutionnelle le 21 décembre 1990, le Parlement de la Macédoine proclame la souveraineté de la république le 25 janvier 1991 (indépendance entérinée par référendum du 8 septembre 1991), la Croatie et la Slovénie proclament leur indépendance le 25 juin 1991 (moratoire de trois mois), mais à cette même date cette dernière et six enclaves serbes de Bosnie annoncent leur autonomie, puis le 15 octobre 1991, une coalition islamo-croate proclame la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, dont le Parlement décide à son tour l’indépendance en décembre 1991, ce qui provoque des affrontements ; enfin le 28 mars 1992 la république serbe de Bosnie-Herzégovine est autoproclamée.
Dans ce contexte d’indépendance, les forces armées de la République fédérative ont eu deux attitudes majeures : soit un « repli » avec équipements sur la Serbie, soit un transfert (volontaire) au sein des milices locales ou de nouvelles armées nationales, sans qu’une « autorité morale » puisse contrôler ces mouvements. C’est ainsi que les affrontements sanglants que l’on connaît ont pu se produire, alors que, par comparaison, la répartition des forces entre les nouvelles Républiques tchèque et slovaque se déroule à peu près normalement, de même que les retraits russes et les quelques transferts d’équipements (vétustes) entre les forces russes et les Républiques baltes. De là découle un déséquilibre Nord-Sud auquel il convient d’apporter une attention particulière.
Les modifications intervenues en Europe de l’Est ont contribué à la révision de la stratégie de l’Alliance. Le maintien de la paix devient une priorité. Afin d’adapter l’Alliance à son nouvel environnement en Europe, les chefs d’État et de gouvernement réunis à Rome le 7 novembre 1991 ont approuvé un nouveau concept stratégique qui repose sur le retrait total des forces armées russes d’Europe centrale et orientale et sur l’application du Traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE).
L’Alliance cherche à maintenir la sécurité et l’intégrité territoriale de ses membres et à réaliser l’établissement en Europe d’une paix durable. Elle devrait conserver un potentiel militaire suffisant pour « prévenir » toute guerre et assurer une défense efficace, en exerçant une fonction de dissuasion contre toute menace visant le territoire d’un État membre de l’Otan, et elle coopérera avec des institutions telles que la Communauté économique européenne (CEE), l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ou la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE).
Le but poursuivi par l’Alliance est de servir d’aimant en Europe centrale et dans les États baltes, où plusieurs pays ont déjà manifesté leur désir d’adhérer sinon à l’Otan, du moins à l’Alliance ; on peut citer les trois Républiques baltes (suivant en cela l’exemple de la Suède), mais aussi la Pologne, la République tchèque et la Hongrie.
La sécurité européenne repose aussi sur le lien transatlantique qui est toujours considéré comme « fondamental » : son maintien doit être en priorité obtenu par des moyens politiques (dialogue, coopération, gestion des crises et prévention des conflits), mais également par des moyens militaires, si nécessaire, dans le cadre de l’Onu tout autant que dans celui purement européen de l’UEO ou de la CEE.
Quant à l’Otan, elle devrait évoluer pour prendre en compte la disparition d’une menace organisée contre elle et le passage de la confrontation à la concertation, voire à la coopération avec les adversaires d’hier. Tel est le rôle principal du CCNA (Conseil de coopération nord-atlantique).
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Les désengagements des forces ainsi que les nouvelles orientations décrites illustrent le début d’une étape nouvelle dans la construction européenne. La première phase devrait s’achever en août 1994 lorsque le dernier soldat russe aura quitté le territoire allemand. La seconde pourrait couvrir le retrait russe définitif des Républiques baltes et correspondrait à la période d’application du traité FCE 1A.
Une troisième phase, enfin, pourrait correspondre à l’établissement d’une situation équilibrée en Europe : les armées nationales de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie et des républiques européennes de l’ex-URSS (Ukraine, Biélorussie, Russie) auront alors achevé leur restructuration, les forces de l’Alliance stationnées en Allemagne étant arrivées à leur niveau le plus bas, et le corps européen totalement mis sur pied.
La menace principale vient des Balkans, c’est le « point noir » actuel dans la construction européenne. Celle-ci devrait permettre un règlement européen de ce conflit qu’il est impératif de limiter géographiquement. La période présente semble déterminante ; c’est à l’aune de l’engagement de l’Europe nouvelle que l’on mesurera sa capacité à devenir un exemple de stabilité à la face du monde. ♦