Aéronautique - L'avenir des E-3F de la 36e Escadre de détection aéroportée
Le 26 février 1987, la France achetait à la société Boeing aux États-Unis trois avions radars AWACS (Airborne Warning and Control System). Le 17 août 1987, elle commandait un 4e appareil. Ainsi, naissait sur la base aérienne d’Avord près de Bourges, la 36e Escadre de détection aéroportée, qui a déjà fait l’objet d’une chronique il y a quelques années (1). Le présent texte se propose, alors que l’escadre est maintenant opérationnelle depuis près d’un an, de faire le point sur son emploi et sur les orientations qu’il conviendrait de donner au concept d’utilisation du système très perfectionné embarqué à bord des appareils, baptisés E-3F Sentry pour la France.
Une unité de très haute technicité
Le 10 octobre 1990 à 8 h 40 locales, le premier E-3F entrait dans l’espace aérien français en provenance de Seattle, piloté par un équipage militaire français. Après un vol d’un peu moins de 12 heures, il atterrissait au Bourget pour intégration du système de mission par la société française UTA. Le 19 décembre, ce premier appareil se posait à Avord pour les essais en vol et dès le 1er mars 1991 l’escadre était créée.
Auparavant, il avait été nécessaire de former aux États-Unis 8 navigants, 20 contrôleurs et 40 mécaniciens, qui ont eu à leur retour la charge de mettre en œuvre le premier appareil, mais surtout d’instruire et de qualifier les autres personnels de l’unité.
Les E-3F ayant été livrés officiellement à l’Armée de l’air en mai, août, octobre 1991 et mai 1992, il a fallu mener de front des réalisations importantes en infrastructure sur la base d’Avord, l’équipement des ateliers de maintenance, l’installation des moyens d’entraînement, de simulation ou de restitution de mission, et la mise en place d’une annexe du CEAM chargé de la validation des logiciels et des équipements.
L’unité rassemble maintenant plus de 400 personnes, dont près de 70 officiers et 300 sous-officiers représentant 32 spécialités différentes de l’Armée de l’air. Déclarée opérationnelle avec ses 4 appareils le 19 juin 1992, soit un an après la livraison à l’Armée de l’air du premier appareil, l’unité dispose d’un plan d’utilisation mensuelle de 65 heures de vol par avion.
Des possibilités multiples d’emploi
À l’origine, les E-3F ont été acquis dans un contexte particulier, avec une menace bien identifiée. Ils devaient faire face à une lacune de notre dispositif de défense aérienne dans les approches du territoire métropolitain, à savoir l’absence de détection à basse altitude. C’était donc un « radar volant » dont la mission s’inscrivait dans le cadre général de celle de la défense aérienne : garantir l’intégrité du territoire national et de ses approches maritimes. Il donnait de l’allonge au dispositif de surveillance de l’espace aérien au-dessus du territoire métropolitain auquel il semblait définitivement lié.
La menace a profondément évolué avec l’effondrement du bloc soviétique, l’instabilité qui a remplacé l’équilibre bipolaire et l’émergence de menaces encore lointaines sur le flanc Sud. La métropole se trouve ainsi moins directement menacée. Parallèlement, nos expériences depuis 1978 en Mauritanie et au Tchad, ainsi que les événements récents (notamment la guerre du Golfe), ont mis en lumière l’intérêt d’une utilisation beaucoup plus complète de ce système.
Parmi les enseignements du dernier grand conflit militaire, la libération du Koweït, il faut noter la part déterminante prise par les AWACS dans la conduite des opérations les plus variées. Outre la surveillance globale et permanente des espaces aériens concernés, en fournissant une image de la situation aérienne du golfe Persique à la mer Rouge, les AWACS ont joué un rôle essentiel dans la coordination des actions, la protection des systèmes aériens de haute valeur stratégique ou tactique comme le JSTARS (Joint Surveillance Target Attack Radar System) ou le RC-135 River Joint. Assurant la couverture aérienne de tout le dispositif allié, ils ont participé à la sécurité de plus de 90 000 sorties aériennes pendant toute la guerre.
L’intérêt d’une telle « arme » a été ainsi démontré et son action s’est révélée primordiale. D’ailleurs, la présence d’AWACS et d’E-3F dans le conflit qui se déroule actuellement entre les nations de l’ex-Yougoslavie est aussi la preuve de la nécessité d’un tel moyen.
L’E-3F possède à son bord un système présentant des capacités opérationnelles dans des domaines variés mais cohérents qui en font un outil polyvalent et complet. L’image polychrome de la situation aérienne ou maritime peut être transmise à distance. Les moyens de transmission variés et protégés permettent d’établir de vastes réseaux interopérables. L’E-3F peut associer d’autres appareils de même type pour augmenter encore sa zone d’action. Il échange automatiquement des renseignements avec les appareils spécialisés dans la recherche électronique.
Système plus que radar, l’E-3F apporte au commandement des éléments de situation qui pouvaient être jusqu’alors disparates, fragmentaires ou incomplets. Cette plateforme ravitaillable en vol permet une grande souplesse d’emploi et une bonne permanence sur zone. Sa couverture radar homogène donne une vision globale et cohérente de la manœuvre. Les moyens radios offrent les liaisons avec de nombreux acteurs sur un théâtre d’opérations ou avec de hautes autorités. Toutes ces capacités simultanées font de l’E-3F un centre d’opérations complet projetable rapidement hors de la métropole. Cependant, elles ne valent que par la qualité des équipages. Ceux-ci participent à tous les exercices importants nationaux et alliés. Cette activité essentielle qualifie les hommes et situe les moyens français dans les dispositifs internationaux. Les équipages montrent ainsi depuis le 12 août 1992, au-dessus de l’ex-Yougoslavie, leur capacité à s’intégrer dans une manœuvre complexe, interalliée, avec entre autres des unités à la mer.
Les orientations nouvelles
Le nom de l’unité ne traduit qu’imparfaitement les actuelles missions des appareils. En effet, ceux-ci doivent être considérés bien plus comme des centres de contrôle ou des centres de commandement plutôt que comme des ensembles de détection purs et simples : 36e Escadre de détection et de contrôle aéroportés (36e EDCA) conviendrait déjà mieux.
La polyvalence de l’appareil se retrouve dans la banalisation des 9 consoles qui équipent la salle d’opération. En fonction de la mission, elles peuvent être affectées toutes ou en partie à l’identification et à la transmission des informations concernant les raids et la surveillance de l’espace ou au contrôle des intercepteurs. La souplesse d’emploi des postes de travail permet d’adapter la configuration du système à la mission : défense du territoire outre-mer, surveillance des approches maritimes, appui de forces offensives, etc. dans un réseau intégré ou non. Elle permet bien sûr de dégager des consoles pour un poste de commandement avec des transmissions adaptées ; en effet, celles-ci sont optimisées pour la mission initiale et privilégient donc les transmissions de données de situation aérienne. C’est au détriment des liaisons de commandement qu’il convient maintenant d’augmenter, y compris celles par satellite.
Déjà raisonnablement autonome et doté d’une capacité intéressante dans le domaine du renseignement grâce à certains modes de fonctionnement de son radar, l’E-3F pourrait accroître sa liberté d’action par installation à bord d’un ESM (Electronic Support Mesure). Ce dispositif permet d’identifier sans aide extérieure les avions et les navires par analyse de leurs émissions électromagnétiques, mais aussi tous les systèmes rayonnants : PC, stations radars ou batteries de missiles sol-air. Ce progrès augmenterait encore l’intérêt de la présence d’un E-3F sur un théâtre éloigné du territoire national où la France peut mener, seule, une opération particulière.
Dès à présent, des vols, coordonnés entre E-3F et DC-8 Sarigue, en surveillance sur une même zone et en conjuguant les qualités de chacun des appareils, permettent d’améliorer très sensiblement la qualité des renseignements collectés.
Enfin, ces appareils sont capables d’opérer et de communiquer depuis n’importe quel point du globe où les intérêts français ou alliés sont en cause. Il faut donc multiplier les déploiements sur les terrains extérieurs des Départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM) ou des pays avec lesquels la France a des accords de défense. La 36e Escadre doit être en permanence prête à agir hors de la métropole.
Conclusion
L’Armée de l’air dispose, avec ses quatre E-3F, de moyens lui permettant d’assumer l’ensemble de ses responsabilités dans la troisième dimension au profit de toutes les composantes des forces armées.
Bien au-delà d’une extension du dispositif mis en place par la défense aérienne pour surveiller l’espace aérien métropolitain et ses approches, et d’un simple radar aéroporté que l’on vient d’ajouter aux moyens déjà existant au sol, l’E-3F permet de valoriser les actions de nos avions de combat modernes, d’être un poste de commandement au cœur des opérations et enfin de pouvoir intervenir outre-mer où ses capacités s’inscrivent parfaitement dans un schéma directeur de la défense aérienne.
L’expérience acquise place les E-3F dès à présent dans une position privilégiée pour toute opération avec projection de force, et toute intervention loin de la métropole n’est plus concevable sans leur présence. ♦
(1) Défense Nationale, juillet et août-septembre 1989.