Veille scientifique et technologique - La nanotechnologie
À la conquête du nanomonde
Le nanomonde désigne tous les objets et les phénomènes à l’échelle du milliardième de mètre (nanomètre). À cette dimension la surface d’un solide est décrite par autant de collines, de vallées et de falaises dessinées par l’agencement des atomes. Un courant électrique est formé d’électrons individualisés se déplaçant en groupe ; enfin un globule rouge a la forme d’un gros anneau.
C’est pourquoi les chercheurs imaginent aujourd’hui des nanomachines de la dimension d’une bactérie, autonomes en énergie, dotées de nanocircuits, de nano-organes de déplacement et de reconnaissance, susceptibles, par exemple, de parcourir l’intérieur du corps humain pour nettoyer des artères, effectuer des réparations cellulaires ou même génétiques, ou bien pénétrer dans des cellules cancéreuses afin de les détruire sans endommager les saines.
Les électroniciens rêvent déjà à des supercalculateurs de la dimension d’une main, élaborés à partir d’interrupteurs fonctionnant à l’aide d’un seul atome, des mémoires à un électron et des connexions faites d’une seule molécule. Les chimistes, eux, pensent à des matériaux inconnus, aux propriétés nouvelles et fabriqués atome par atome.
Tous ces rêves ou idées ont pris forme depuis la découverte des microscopes à sonde locale. Cette nouvelle famille d’appareils a vu le jour en 1982, date à laquelle G. Binning et H. Rohrer ont imaginé et mis au point un microscope à effet tunnel. Le principe de base, commun à tous ces microscopes, est d’explorer la surface d’un objet à l’aide d’une petite sonde positionnée à proximité immédiate de celle-ci. La mesure de certaines grandeurs caractérisant les diverses interactions entre la sonde et la surface permet d’obtenir des images, à l’échelle atomique, de la surface observée. Les deux principaux microscopes utilisés aujourd’hui sont : le microscope à effet tunnel (Scanning Tunnel Microscope) et le microscope à force atomique (Atomic Force Microscope). Ce sont les outils de base de la nanotechnologie.
Les outils de base de la nanotechnologie
Le principe physique du Microscope à effet tunnel (STM) repose sur la création d’un courant dit tunnel, lorsque deux matériaux conducteurs sont rapprochés jusqu’à des distances voisines du milliardième de mètre. Ce courant, qui traduit le transfert d’un électron de l’un des matériaux vers l’autre, dépend, de manière exponentielle, de la distance les séparant. Ainsi une très faible variation de celle-ci provoque une grande modification du courant. Il est alors possible, en balayant une sonde locale (conductrice) au voisinage de la surface d’un matériau conducteur, de visualiser des atomes.
Le Microscope à force atomique (AFM) permet de réaliser la cartographie de la surface de n’importe quel matériau, grâce à la mesure de la force de Van der Waals existant entre un atome de la sonde locale et un atome de la surface de l’échantillon. La dépendance de la force de Van der Waals avec la distance séparant 2 atomes est en 1/r7 et permet d’obtenir la résolution atomique.
Ces deux microscopes ont d’abord été développés afin d’observer la surface de matériaux conducteurs (STM) et non conducteurs (AFM) à l’échelle atomique. Désormais, ils sont utilisés pour modifier la surface des matériaux étudiés. En effet, en imposant une polarisation négative à la sonde locale d’un STM, on peut transférer des atomes d’un substrat vers la sonde, et les redéposer ailleurs en inversant le signe de la tension appliquée.
Depuis, des améliorations d’un STM ont conduit à l’élaboration d’un APM (Atomic Processing Microscope). Celui-ci permet des traitements et des modifications de surface à l’échelle atomique, assistés par ordinateur.
L’observation du matériau s’effectue à basse température. La détection des espèces d’atomes est réalisée de manière spectroscopique, grâce à une alimentation continue et un faisceau laser accordable. Un programme particulier contrôle le laser, l’alimentation continue, la température et la position de la sonde. Toutes les données sont alors enregistrées ; puis l’ordinateur crée une image en trois dimensions, représentant les atomes et assignant à chaque espèce d’atome une couleur.
Le matériau peut être modifié à l’échelle atomique. Pour cela, l’expérimentateur localise l’atome à déplacer avec la sonde. L’ordinateur caractérise l’état électronique de l’atome, puis envoie un faisceau laser dans sa direction ayant exactement l’énergie nécessaire à l’extraction de cet atome et à sa capture. L’APM peut le déplacer et le déposer à un autre endroit, ou le remplacer par un autre en envoyant un gaz d’atomes à l’aide d’une source. Grâce à ces technologies, le développement de l’ingénierie atomique est désormais possible.
La nanotechnologie aujourd’hui
De nombreux résultats ont été obtenus dans le domaine de la nanotechnologie. Un STM permet, par exemple, la construction de colonnes de silicium parfaitement conductrices, de 3 à 10 nm (nanomètres) de diamètre et hautes de 20 nm, sur une surface de silicium. Il est également possible d’enregistrer, de lire et d’effacer des données avec une densité de 1 térabit par pouce carré (téra : 1012) avec un microscope à effet tunnel. La polarité de la tension appliquée entre la sonde et le support d’enregistrement détermine le changement de phase du support (cristallin-amorphe). Ce phénomène est utilisé pour enregistrer et pour effacer. La lecture se fait grâce à une différence d’environ 1 nA dans l’amplitude du courant « tunnel » entre la phase cristalline et la phase amorphe du support d’enregistrement.
En parallèle à ces recherches, des mémoires pour lesquelles 1 bit est représenté par 100 électrons ont été réalisées. À titre de comparaison, une mémoire Dram (Dynamic Random Access Memory) de 16 Mbits, utilisée dans tous les ordinateurs aujourd’hui, nécessite 500 000 électrons par bit. Cette performance a été obtenue grâce à l’emploi d’écluses à électrons dont on peut contrôler le flux (sortant ou entrant) électron par électron. L’objectif, désormais, est de parvenir à réaliser une cellule mémoire fonctionnant avec 1 électron. On obtiendrait ainsi une mémoire de 1 térabit ne consommant que 0,1 W et ayant une surface d’un pouce carré, alors qu’aujourd’hui la consommation pour une telle capacité serait de 10 kW (pour 100 m2 de surface !).
Enfin, le dépôt d’atomes de cuivre à l’aide d’une pointe de STM sur une monocouche d’argent, le tout plongé dans une solution diluée de sulfate de cuivre, a permis la réalisation d’une nanopile de 15 à 20 milliardièmes de mètre de diamètre pour 10 milliardièmes de mètre d’épaisseur, capable de délivrer une tension de 20 millièmes de volts pendant 45 minutes. Cette batterie, cent fois plus petite qu’un globule rouge, pourrait servir d’alimentation pour les nanomachines.
Tous ces résultats montrent donc que les rêves, qui étaient jugés comme fous il n’y a pas si longtemps, seront bientôt des réalités. ♦