Veille scientifique et technologique - Nouveaux projets américains antimissiles balistiques
La définition actuelle des systèmes américains antimissiles balistiques, pour la Défense du territoire national (NMD) ou la Défense de théâtre (TMD), prévoit la destruction de ces missiles dans leur phase terminale de rentrée (destruction exo-atmosphérique) ou dans l’atmosphère elle-même (destruction endo-atmosphérique). Comme cela a été démontré lors de la guerre du Golfe, ce concept présente des risques liés aux possibles retombées, sur le territoire ami, de parties du missile intercepté, en particulier si celui-ci est équipé d’une tête nucléaire, biologique ou chimique.
Depuis la dernière réorientation du programme GPALS (Global Protection Against Limited Strikes), certains projets, comme les Brilliant Pebbles, qui auraient permis une attaque de missiles lors de leur trajectoire orbitale ou suborbitale, sont réduits au stade de la recherche à long terme.
La BMDO (Ballistic Missile Defense Organization), qui a remplacé la SDIO (Strategic Defense Initiative Organization), envisage de nouveaux projets visant à détruire les missiles au plus tôt après leur lancement, là où ils sont plus facilement détectables (phase propulsée) et plus vulnérables (vitesse faible). Ce concept évite également de traiter le problème des missiles à charges terminales fractionnées ou associées à des leurres. Enfin, les débris de l’interception retombent sur le territoire de l’ennemi, ce qui peut dissuader ce dernier d’employer des armes de destruction massive.
Le projet Raptor-Talon du LLNL (Lawrence Livermore National Laboratory) a été lancé en 1992. Il comporte deux programmes de recherche distincts :
– le programme Raptor (Responsive Aircraft Prograin for Theater Operations) de développement d’un avion sans pilote, opérant à haute altitude, et de grande autonomie ;
– le programme Talon (Theater Applications-Launch On Notice) d’intercepteur ultraléger par énergie cinétique.
Ce système est prévu pour traiter toutes sortes de missiles de théâtre à une distance pouvant atteindre quelques centaines de kilomètres. Il pourrait être opérationnel avant la fin de la décennie.
Le Raptor est conçu pour survoler le territoire ennemi à haute altitude (supérieure à 20 kilomètres). L’appareil est un véhicule aérien sans pilote d’environ une tonne, en graphite époxy, de 30 mètres d’envergure. Il est propulsé par un moteur à combustion interne Rotax 912 et peut emporter 130 kilogrammes de charge utile. Son autonomie est de 50 heures. Un vol à haute altitude d’un démonstrateur à échelle réduite était prévu en juillet 1993.
Deux types de détecteurs sont installés à bord du Raptor : les « alerteurs », couvrant chacun un champ de π stéradians, possédant une bande étroite infrarouge, optimisée pour détecter à basse altitude les lancements de missiles balistiques de théâtre ; les « interrogateurs » qui travaillent à une résolution environ quatre fois meilleure que celle des alerteurs sur plusieurs bandes de fréquences, chargés de confirmer, identifier et poursuivre les cibles détectées.
La phase d’interception endo- ou exo-atmosphérique est effectuée par un missile hypervéloce Talon, qui devrait hériter des efforts technologiques de miniaturisation des programmes LEAP (Light Exoatmospheric Projectile) et Brilliant Pebbles. Ce missile intercepteur, de 50 à 200 km de portée, dispose d’un système de propulsion avec pompage, qui permet de conserver les propergols dans des réservoirs à basse pression légers et de moduler la poussée à la demande. À haute altitude, sans être limitée par la densité atmosphérique, sa vitesse peut atteindre 2 km par seconde. Sa masse est de 20 kg. Son autodirecteur comporte un détecteur passif infrarouge, associé à un télémètre ladar (Laser Detection and Ranging). Une « pointe aérodynamique » limite réchauffement du radôme.
Le Raptor peut emporter 4 missiles Talon. Deux ou trois missiles supplémentaires pourraient être emportés, sous réserve de réduire l’autonomie à 40 heures.
Le projet Raptor-Talon offre plusieurs avantages ; d’une part, son faible coût : le prix d’un Raptor est estimé à 1,5 million de dollars et celui d’un intercepteur Talon entre 0,5 et 1 M $ ; d’autre part, ce système peut être déployé rapidement dans un délai de 36 heures. Selon la BMDO, la guerre du Golfe aurait nécessité une douzaine de Raptor.
Le projet ABL (Air Borne Laser), laser embarqué sur un avion, est actuellement à l’étude au Phillips Laboratory de l’US Air Force. L’avion transporteur est en cours de conception chez Boeing et Lockheed. En plus du laser, le système ABL comporte différents capteurs dans l’infrarouge, l’ultraviolet et le visible pour détecter le missile durant la phase de décollage, à des distances de quelques centaines de kilomètres. À terme, il est envisagé d’utiliser des véhicules aériens automatiques (sans pilote) qui présentent l’avantage de pouvoir patrouiller pendant plusieurs jours au-dessus du territoire ennemi sans aucun risque pour l’équipage. Le laser assurerait la destruction, par un mécanisme thermique, des senseurs, voire du missile si son énergie est suffisante.
Les études actuelles s’orientent vers les lasers chimiques, les moins coûteux en énergie, ce qui est crucial pour un laser embarqué, d’autant plus que la dimension du faisceau peut être importante (diamètre : 1,50 m), tels que :
– le laser chimique oxygène-iode, dont la puissance atteint plusieurs dizaines de kilowatts ;
– le laser au deutérium-fluor (DF), dans la bande 3-5 microns, dont la puissance en régime continu est plus importante (plusieurs centaines de kilowatts), mais qui présente l’inconvénient d’être volumineux.
Une démonstration complète du système ABL est prévue pour la seconde moitié de la décennie.
Le projet LEAP-SRAM intéresse aussi l’US Air Force. Boeing, qui produit le missile supersonique SRAM (Short Range Attack Missile) et est un des contractants de développement du véhicule terminal LEAP, a proposé d’associer les deux systèmes pour disposer à court terme d’une défense antimissiles aéroportée. Deux vols ont déjà permis de vérifier le fonctionnement du SRAM dans un environnement exo-atmosphérique.
Ces projets, limités à la défense contre les missiles de théâtre, impliquent une maîtrise de l’espace aérien, éventuellement au-dessus du territoire ennemi, en fonction de leurs capacités de tir à distance de sécurité et de l’implantation plus ou moins lointaine des sites de missiles balistiques.
Le projet Little David va même plus loin. Le Sandia National Laboratory travaille sur ce projet classifié, comprenant des détecteurs et des intercepteurs cachés en territoire ennemi. Ce dispositif est conçu pour être largué d’un avion ou placé par des troupes spéciales, avant les hostilités, autour d’un site de lancement présumé. Il pourrait rester ainsi en veille pendant des semaines, voire des mois. L’appareil comporte des senseurs actifs et des projectiles destinés à détruire le missile balistique durant sa phase propulsée. Little David pèse moins de 50 kg et peut traiter un missile jusqu’à une altitude de 3 km.
La technologie nécessaire à ce projet est déjà maîtrisée, d’après les chercheurs du Sandia Laboratory, et le système complet pourrait être opérationnel en 24 mois. Le coût unitaire serait bien moins élevé que celui d’autres options, mais le nombre d’unités estimé pour couvrir un site de lancement est assez grand (8 dans un rayon de 5 km).
Le fait d’implanter ces appareils clandestinement sur un territoire étranger en prévision d’un conflit risque d’être un obstacle politique au projet. Par ailleurs, le mécanisme d’autodestruction de l’appareil, si ce dernier venait à être découvert, représente un danger pour la population civile.
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Malgré les fluctuations permanentes de la définition du programme GPALS, les ressources qui y sont consacrées attisent la convoitise des chercheurs, prêts à proposer de nouveaux projets pour remplacer ceux qui sont abandonnés. Les exemples précédents montrent que leur imagination n’a pas encore atteint ses limites. ♦