Actions internationales - Un état-major militaire de l'ONU à New York
Une petite « révolution culturelle » est en marche à New York. Un état-major militaire y est en cours de constitution au secrétariat général de l’ONU et devrait être opérationnel au début de l’année 1994. Avant de présenter le projet de restructuration de l’équipe du conseiller militaire, rappelons quelle est la composition actuelle de celle-ci.
L’équipe du conseiller militaire, qui assiste le secrétaire général adjoint Kofi Annan chargé des opérations de maintien de la paix, se réduit actuellement à sept officiers : le général canadien Baril, conseiller militaire en titre, et six officiers fournis par l’Argentine, le Canada, la Finlande, la France, la Malaysia et la Suède. Chaque officier suit les opérations menées sur un ou plusieurs théâtres. L’officier français (le colonel Couton) est ainsi en charge de la Somalie. Un général britannique du cadre de réserve, le général Bragden, est en outre détaché par Londres pour étudier les problèmes de déminage. Huit autres officiers, affectés à titre temporaire, renforcent les cellules Forpronu (ex-Yougoslavie, la France y a détaché le chef de bataillon Blanc) et Onusom (Somalie).
Le projet de restructuration, tel qu’il a été élaboré au mois de mai, prévoit la création de sept cellules, réunissant au total 71 militaires dont trois généraux, 49 officiers supérieurs et 19 sous-officiers ou militaires du rang. L’ensemble sera appelé modestement « bureau du conseiller militaire » (Military Adviser’s Office). Examinons la composition de chacune des sept cellules.
L’équipe du conseiller militaire (Military Adviser’s Staff) comprendra 21 personnes dont deux généraux (un général de division – le général Baril vient d’être promu à ce grade – et un général de brigade) et 11 officiers supérieurs.
La salle de situation (Situation room) est en cours de réalisation et comprend déjà 12 personnes sur les 20 prévues. On y recueille les informations provenant des différentes missions et on est en mesure d’y présenter à tout moment (la salle fonctionne déjà 24 heures sur 24) la situation existant sur les théâtres d’opérations de l’ONU.
La cellule de planification (Planning unit), qui n’existe pas encore, sera chargée de préparer les futures opérations de maintien de la paix. Cette préparation comprend : la reconnaissance préalable de la zone d’engagement (1), la conception de l’opération, son organisation, son commandement, l’équipement des unités, la répartition des tâches, la mise sur pied de l’état-major, la mise en place et le déploiement initial de la force ou du groupe d’observateurs. Ces tâches débordant le domaine tactique, la cellule devra normalement comprendre des personnes de la division des opérations hors siège (Field Operations Division : FOD), qui est chargée des questions logistiques (2). Le niveau d’intégration de cette division avec le département des opérations de maintien de la paix (intégration qui a reçu un accord de principe du secrétaire général) reste encore à déterminer. Les officiers qui sont actuellement détachés à la FOD (une quinzaine) devraient de toute façon rejoindre le nouvel état-major dès sa création officielle.
L’équipe de gestion des forces disponibles (Stand by forces management team) est déjà constituée. Cette petite équipe de trois officiers et un sous-officier est chargée de tenir à jour la liste des unités et des équipements que les États acceptent de tenir à la disposition des Nations unies pour une opération de maintien de la paix. La première phase, qui est l’établissement du catalogue, est en cours. Le colonel français Gambiez, qui commande l’équipe, a entrepris de visiter les états-majors des pays qui acceptent d’apporter leur contribution. Il doit présenter son rapport au secrétaire général au mois de décembre. Une fois ce catalogue établi, l’équipe devra contrôler in situ la réalité et la qualité de la prestation promise, et vérifier que les troupes sont entraînées selon les directives de l’ONU et seraient effectivement en mesure d’intervenir dans les délais convenus.
Les trois autres cellules de cet état-major sont des divisions régionales. Chacune des divisions suit l’évolution des crises dans une des trois régions : Asie et Proche-Orient, Afrique, Europe et Amérique latine. Chaque division régionale compte quatre officiers et deux ou trois conseillers politiques.
Une fonction, pourtant essentielle dans un état-major, n’est pas représentée dans ce nouvel édifice : la conduite des opérations. Avec treize missions militaires en cours, auxquelles vont s’ajouter celles prévues au Liberia, en Géorgie et en Haïti, le secrétariat général se trouve totalement incapable de conduire des opérations. Cette tâche est dévolue aux généraux et colonels exerçant le commandement sur le terrain. Au moins le nouvel état-major pourra-t-il assurer un soutien logistique des opérations au plus près des besoins. Deux mesures sont prévues pour aider au démarrage des opérations : permettre au commandant d’une nouvelle opération d’assister à New York à la dernière phase de la planification, ce qui demanderait une désignation plus rapide de cet officier ; détacher quelques officiers de l’état-major new-yorkais dans le premier échelon de l’état-major constitué.
Ce projet de restructuration ne pourra prendre effet qu’après son approbation par l’Assemblée générale, en raison de ses implications financières. Il lui sera présenté à la prochaine session, au mois de décembre ; mais, même si le budget nécessaire est accordé au secrétaire général, il restera encore à vaincre les réticences de la division des opérations hors siège (FOD), qui règne en maître sur les 21e et 22e étages, et qui redoute de perdre une partie de ses prérogatives au profit de l’hôte du 36e étage, le Département des opérations de maintien de la paix (DPKO) (3). Il faudra aussi compter avec la lourdeur administrative bien connue de l’Organisation. Le branle est toutefois donné à une transformation que l’ampleur prise par les opérations militaires de l’ONU rendait indispensable.
Les généraux commandant les forces internationales auront bientôt à New York des interlocuteurs capables, d’une part de traduire en ordres aussi clairs et précis que possible les résolutions souvent ambiguës du Conseil de sécurité (ce qui sera un sport acrobatique…) et, d’autre part de comprendre et de présenter aux autorités politiques responsables la situation réelle de leurs troupes. Le soutien logistique des opérations, actuellement déficient, devrait également s’en trouver amélioré, pour peu que les finances suivent. Encore faudra-t-il, pour que le progrès soit sensible, que le plus grand soin soit apporté au choix des officiers qui composeront cet état-major et que les critères de qualité et d’expérience l’emportent sur la sacro-sainte règle des quotas. M. François Léotard, ministre de la Défense, estime, quant à lui, « nécessaire que la France s’implique davantage, à New York, dans la gestion des crises sur le plan militaire » (4).
(1) Les reconnaissances étaient jusqu’à présent confiées à des officiers appartenant à d’autres missions, et notamment à l’Onust (Jérusalem).
(2) Voir la chronique « L’organisation du maintien de la paix à New York », dans le n° de mai 1993 de la RDN.
(3) L’immeuble qui abrite le quartier général de l’ONU à New York compte 38 étages, le dernier étant occupé par les bureaux du Secrétaire général.
(4) Le Monde, 13 mai 1993.