Défense dans le monde - La presse en Éthiopie
Depuis trois années maintenant, l’Éthiopie fait l’apprentissage de la démocratie. Le domaine de la presse est particulièrement révélateur des difficultés qui peuvent se poser au sein d’un État qui cherche à s’ouvrir à des libertés dont il ignore encore les règles.
Alors que la loi sur la presse a été publiée en 1992 et a introduit pour la première fois un statut de liberté de l’expression, 1993 aura été en fait la première année de mise en place de ce régime, non sans nécessiter quelques réserves sur l’étendue de son application. Force est de constater que la structure des médias n’a pas encore considérablement varié, même si quelques frémissements peuvent laisser espérer une évolution lente mais profonde.
La liberté de la presse et la presse privée
L’Éthiopie jouit, quant à la presse, d’une liberté qu’elle n’avait jamais connue auparavant et qui a été pour la première fois reconnue par une loi. Cette liberté, qui a été mise en pratique dès la chute du régime du Därg [NDLR 2023 : ou Derg, Gouvernement militaire provisoire de l’Éthiopie socialiste], a provoqué l’éclosion d’un nombre important de titres privés, environ 150, dont certains n’ont eu qu’une existence éphémère. Ces publications sont dans leur grande majorité en amharique ; seuls trois titres sont en anglais (1).
La presse non gouvernementale pâtit de handicaps propres à l’inexpérience du pays en la matière : absence de journalistes professionnels par défaut de formation, manque de capitaux, aucune étude de marché avant le lancement des périodiques, rigueur insuffisante dans le traitement de l’information et caractère trop systématiquement polémique des articles. Elle ne bénéficie que de tirages très limités (au mieux quelques dizaines de milliers d’exemplaires).
Cette presse, qui reflète presque exclusivement les vues de l’opposition, subit également les assauts d’un pouvoir qui n’admet que difficilement la critique. Aux mesures indirectes qui limitent la diffusion de la presse privée (interdiction de la vente dans les rues alors qu’il n’existe pas de kiosque et très peu de points de vente, inaccessibilité aux régions en dehors de la capitale, relèvement des prix de vente) se sont ajoutées, en 1993, de nombreuses pressions sur les journalistes ou sur les hommes de presse, allant de l’interdiction de certains numéros sous divers prétextes (comme la pornographie ou l’incitation à la violence) jusqu’à l’emprisonnement des responsables de publication.
Dans ce contexte, l’apparition en septembre 1993 d’un nouveau quotidien en anglais. The Monitor, qui appartient à un groupe de familles possédant déjà une publication en Ouganda, doit être notée. Sa création est le fruit d’une démarche que l’on pourrait qualifier de professionnelle. Le lancement de ce journal, qui pour le moment ne paraît que quatre fois par semaine et comporte huit à dix pages selon les éditions, a été précédé d’une véritable étude de marché et d’une enquête sommaire sur les goûts des lecteurs potentiels. Son impression sur des presses privées – alors que la plupart des autres périodiques le sont par des entreprises publiques à un coût faible mais avec une qualité médiocre – lui donne une présentation beaucoup plus attrayante, et son contenu dû à une équipe propre de journalistes ou de professionnels de l’information est souvent original par rapport à celui des concurrents. Sans atteindre le niveau des journaux occidentaux, cette expérience pour l’instant limitée, puisque le tirage ne dépasse pas deux mille exemplaires, est intéressante par un professionnalisme que les responsables de l’information gouvernementale reconnaissent et apprécient.
Les médias gouvernementaux
Ceux-ci n’ont pas fondamentalement évolué. La critique que l’on pouvait formuler sur leur absence d’objectivité et leur rôle de propagande reste d’actualité.
La décision sur l’autonomie des différentes entités de l’information gouvernementale, télévisions, radios, agence de presse et journaux, qui devait être prise au cours du quatrième trimestre 1993, ne le sera finalement que dans le courant de l’année 1994. Cette semi-autonomie qui concernera surtout dans un premier temps les aspects budgétaires et qu’il ne faut pas confondre avec une quelconque indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, est néanmoins un premier pas vers une professionnalisation plus grande des médias publics. S’il ne faut pas se faire d’illusion sur le processus, il faut reconnaître que les responsables mis à la tête de la plupart de ces organes, proches du pouvoir en place, sont souvent des personnes de qualité qui ont réussi à faire bouger dans les limites de leurs moyens, très faibles sur le plan matériel, des instruments sclérosés par des années de dictature.
Les médias gouvernementaux sont d’autre part soumis à l’obligation d’appliquer le droit à l’expression des différentes langues du pays, reconnu par le nouveau régime. Cette obligation, qui est une contrainte sur les programmes, est aussi vue par les responsables comme un moyen d’avoir à terme une politique régionale de la communication.
La télévision
L’impact de la télévision est limité. Les obstacles tiennent d’une part au faible équipement des ménages en récepteurs, et d’autre part au relief montagneux du pays qui implique un réseau important d’émetteurs, actuellement au nombre de dix-sept, ou une diffusion par satellite que l’Éthiopie n’est pas en mesure de s’offrir.
Sur le même canal, coexistent l’Ethiopian Television (ETV) et une télévision éducative qui occupe deux heures de transmission par jour en semaine. En application du principe de reconnaissance des particularités linguistiques du pays, les programmes de l’ETV sont divisés en tranches correspondant aux principales langues : en semaine, tegrigna de 18 h 30 à 19 h 30, oromegna de 19 h 30 à 20 h 30, amharique jusqu’à 22 h 30, puis anglais jusqu’à 23 h 30. Les émissions du dimanche sont plus longues. Elles comportent notamment dans l’après-midi un programme de variétés faisant appel à des productions étrangères.
Si la télévision demeure un instrument de propagande particulièrement terne, des efforts ont été faits pour y introduire ou développer des débats contradictoires dans des domaines où, bien entendu, le pouvoir politique n’est pas remis en cause, ainsi que des émissions de variétés ou des jeux. Là aussi, les moyens de production restent encore très limités et ne laissent pas espérer d’innovations importantes sans une aide extérieure massive.
La radio
La radio est sans doute le média le plus répandu. C’est pourquoi elle demeure l’instrument de la propagande par excellence. Les tranches accordées aux partis politiques y sont tellement restreintes que ceux-ci ont renoncé à les utiliser, ce qui n’est peut-être pas la meilleure attitude. À côté de la radio éthiopienne qui diffuse dans les différentes langues du pays, existe une radio destinée aux auditeurs étrangers, la Voix extérieure de l’Éthiopie qui comporte notamment des émissions en anglais et en français ; ses programmes sont très médiocres. Aussi, la concurrence des radios étrangères, BBC, Voix de l’Amérique (VOA) et Deutsche Welle (2), est-elle forte.
La presse écrite
La presse écrite gouvernementale compte essentiellement trois titres : deux en amharique, Yäzaréitu Ethiopia hebdomadaire, Addis Zämän quotidien, et un en anglais, Ethiopian Herald. Malgré leur tarif très bas, environ 90 centimes français, leurs tirages sont très faibles (3) rapportés à la population du pays (54 millions d’habitants).
Aussi peu attractifs que les autres médias gouvernementaux, ces organes se sont malgré tout ouverts depuis la chute du Därg. Voix du gouvernement, ils n’en publient pas moins des libres tribunes essentiellement dans la version amharique, rapportant des faits, tels des accrochages armés en province ou des pressions sur les partis d’opposition, que le gouvernement ne divulgue pas. C’est un timide pas vers l’information.
L’Ethiopian News Agency
Relais du gouvernement, cette agence veut bouger sous l’impulsion notamment d’un nouveau directeur général mis en place au début de l’année 1993. Outre l’autonomie prévue par le gouvernement, la modernisation consiste dans l’accroissement d’un réseau de correspondants locaux, l’utilisation des moyens télématiques et le développement d’équipes de journalistes professionnels ayant une véritable formation. Cette évolution se perçoit déjà, de manière feutrée, dans le nombre et la variété plus grande des dépêches de l’agence reprises par les journaux. Le chemin reste cependant long pour atteindre le statut d’une véritable agence de presse, mais surtout les moyens demeurent largement insuffisants. Il convient de préciser cependant qu’une aide non négligeable est apportée, particulièrement par les Allemands grâce à la Fondation Friedrich Ehert, et les Américains par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).
Dans cette période de transition vers la démocratie, certains ont bien compris que l’information, au moins autant que les institutions, est un enjeu fondamental. Si l’Éthiopie y a bien évidemment son intérêt, les pays développés ne peuvent y être complètement indifférents, ne serait-ce que pour préserver leur propre influence. ♦
(1) Addis Tribune, The Monitor et Ethiopian Review dont la rédaction se trouve aux États-Unis.
(2) Ces deux dernières émettant en amharique.
(3) 30 000 exemplaires pour Addis Zämän, 6 000 pour Ethiopian Herald.