Afrique - Évolution de la politique de coopération militaire française en Afrique
Depuis la fin de la guerre froide on constate que les grandes puissances ont gardé, dans le domaine militaire, leurs distances vis-à-vis du continent africain. Déjà, dès le milieu des années 1980, l’ex-Union soviétique avait amorcé un mouvement de retrait de ses conseillers et commencé à réduire notablement ses fournitures de matériels militaires. Les autres pays de l’Est ont suivi. Depuis, le désengagement s’est généralisé et est devenu presque total.
De leur côté, les États-Unis ont aussi beaucoup diminué leur aide militaire aux États africains : elle est aujourd’hui plus de dix fois inférieure à ce qu’elle était il y a une dizaine d’années. Washington maintient quelques programmes de stagiaires aux États-Unis, la fourniture de matériels retirés de ses surplus européens, collaborent à certains travaux d’infrastructure, mais à un niveau très réduit.
Il apparaît par ailleurs que les interventions des autres pays industrialisés restent très limitées ou ponctuelles. La Belgique dans ses anciennes colonies, l’Allemagne dans le domaine du génie militaire, la Grande-Bretagne, le Portugal ou l’Espagne surtout en Afrique australe : aucun des grands pays européens ne paraît enclin à donner un peu d’ampleur à ses programmes de coopération militaire avec l’Afrique au sud du Sahara. L’Égypte, le Maroc et l’Algérie accueillent dans leurs écoles des stagiaires militaires africains. On constate une présence israélienne dans plusieurs pays comme le Zaïre, le Cameroun, le Congo ou l’Angola. Enfin, on note que l’Afrique du Sud, comme l’indique un rapport récent de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, « développe une forme de coopération militaire avec les Comores, la Côte d’Ivoire, le Gabon et Madagascar, sous forme d’entretien et de vente de matériel, ainsi que par la formation des stagiaires ».
À de très rares exceptions près, depuis le début des années 1990, les dépenses militaires des pays africains sont en baisse ou restent stables à des niveaux très peu élevés. Il en est de même pour ce qui concerne les importations d’armement, et en particulier d’armes lourdes. De fait, à la surenchère soviéto-américaine lancée dans les années 1970, s’est désormais substituée une pression des bailleurs de fonds multilatéraux aussi bien que bilatéraux en faveur d’une diminution de ces dépenses militaires, d’abord par la réduction des importations d’armes, ensuite par celle des effectifs des forces armées. Deux facteurs, du côté africain, ont tendance à favoriser cette évolution : d’une part, la crise économique et la très notable baisse des recettes d’exportation ; d’autre part les processus de démocratisation et la multiplication des régimes civils, élus, aux dépenses des régimes militaires s’appuyant essentiellement sur le soutien des forces armées. Cette tendance à la démilitarisation a sans aucun doute pour l’Afrique des vertus économiques et politiques, mais elle constitue une difficulté pour faire face et résoudre les nombreux foyers d’insécurité qui subsistent sur le continent. Or, pour la plupart, ceux-ci sont provoqués par des forces de guérilla équipées principalement en armes légères de récupération ou de contrebande, ils ont en tout cas des effets ravageurs sur le développement économique aussi bien que sur les processus démocratiques.
Face à cette insécurité, les efforts importants déployés par les Nations unies depuis quelques années se révèlent trop souvent insuffisants, voire inadaptés, comme on a pu le constater en Somalie ou au Rwanda. De toute façon, il est clair que la portée de l’engagement politico-militaire onusien sur le continent ne peut pas dépasser certaines limites. Les Nations unies, en effet, ne peuvent sérieusement intervenir partout et prendre en charge la totalité des problèmes d’insécurité en Afrique. De leur côté, les Africains, dans l’Organisation de l’unité africaine (OUA) ou à l’échelle sous-régionale se heurtent à d’énormes difficultés pour mettre en place des dispositifs de sécurité collective ou des mécanismes de gestion et de résolution des crises et des conflits (voir l’article de Emad Awwad dans notre livraison de décembre 1994). Enfin, il apparaît clairement, après les expériences somaliennes et rwandaises, que les grandes puissances ont de plus en plus tendance à considérer avec de fortes réticences l’hypothèse d’interventions militaires coûteuses, aléatoires, comportant de gros risques d’enlisement, et de moins en moins susceptibles de permettre des solutions politiques satisfaisantes et génératrices de stabilité.
C’est à ce contexte difficile qu’est confrontée l’évolution de la politique de coopération militaire française en Afrique. Dominée pendant longtemps par la seule logique de stabilité dans les pays du champ (c’est-à-dire ceux relevant de la compétence du ministère de la Coopération), elle parvenait tant bien que mal, avec des moyens relativement limités, à assurer aux pays bénéficiaires un soutien leur permettant de garantir leur sécurité à un moindre coût. Désormais, cette coopération militaire française doit s’orienter vers de nouveaux objectifs plus complexes à mettre en œuvre. Le premier est d’ordre politico-militaire : donner davantage de capacités aux armées africaines pour la prévention des crises et leur permettre éventuellement d’intervenir collectivement sur le continent afin d’éviter une intervention des Nations unies ou une opération bilatérale française. Deuxième objectif : contribuer à la restructuration de ces forces armées conduisant à une réduction des effectifs souvent nécessaire et à leur professionnalisation. Troisième objectif : aider ces forces à assurer efficacement les missions de sécurité d’États de droit, ce qui implique qu’elles restent à l’écart du jeu politique démocratique, mais qu’elles soient en mesure de garantir le fonctionnement normal des institutions.
Pour atteindre ces objectifs dans les 23 pays africains signataires d’accords de coopération militaire avec la France, les crédits prévus à cet effet dans le budget de 1995 atteignent 783,4 millions de francs. La plus grosse partie (66,05 % du total, soit 517,34 MF) concerne l’assistance militaire technique. Après avoir subi une déflation notable ces dernières années (de 1 016 coopérants militaires en 1985 à 715 en 1994), cet effectif sera stabilisé en 1995. Les principaux pays bénéficiaires seront la République centrafricaine (66 coopérants militaires), le Gabon (65), le Cameroun, la Mauritanie et le Tchad (55), la Côte d’Ivoire et Djibouti (53), le Niger (52).
Second poste : l’aide directe en matériels avec 180 MF pour 1995. Notons qu’en 1994, les principaux bénéficiaires de cette aide ont été le Tchad (43,22 millions), le Sénégal (19,06), la République centrafricaine (14,48), Madagascar (13,28), la Côte d’Ivoire (12,22), le Niger (12,15) et la Mauritanie (11,97). Cette aide porte prioritairement depuis quelques années sur la fourniture de matériels et d’équipements des forces de gendarmerie et de maintien de l’ordre afin de permettre de mieux assurer la sécurité intérieure des États. Les gendarmeries nationales bénéficient d’ailleurs d’un effort de plus en plus important (119 coopérants militaires), et pour la première fois en 1995, celles-ci vont pouvoir bénéficier (comme les aides destinées aux forces de police) de financements du Fonds d’aide et de coopération.
Enfin, troisième volet : la formation des stagiaires militaires africains en France, pour laquelle 86 MF de crédits sont prévus pour 1995. Ce poste est le seul qui connaît une diminution sensible : il atteignait 98 MF en 1993… et 145 MF en 1985. Le ministre de la Coopération donne deux explications à cette baisse : « D’abord parce que les besoins des armées nationales, dont les effectifs sont en constante diminution, deviennent plus sélectifs, plus spécialisés. Le niveau des stages appelle ainsi une technicité plus grande, qui entraîne un contrôle plus strict des candidatures. Ensuite parce que je souhaite que se développent des formations sur le terrain mieux adaptées aux conditions d’emploi et de fonctionnement des armées nationales ». ♦