Veille scientifique et technologique - Propulsion anaérobie de sous-marins
L’utilisation pour la lutte anti-sous-marine de senseurs à hautes performances a accru le risque pour les sous-marins classiques (ou sous-marins diesel) d’être détectés. Ce risque est particulièrement élevé au voisinage des côtes et dans les zones limitrophes, où ils sont exposés à la menace d’une surveillance maritime intense lors des phases périodiques de navigation périscopique au schnorchel. Outre le périscope, affleurent également à la surface un tube d’arrivée d’air frais et un d’évacuation des gaz brûlés particulièrement détectables. La propulsion anaérobie (sans besoin d’air) est un objectif poursuivi depuis longtemps par les spécialistes de submersibles, et que la technologie permet de réaliser aujourd’hui. L’augmentation de la durée d’immersion profonde qui en résulte et son influence bénéfique sur les paramètres opérationnels tactiques conduisent à réduire sensiblement l’exposition du sous-marin au risque. Sa capacité à s’imposer et ses chances de survie s’en trouvent améliorées.
À part les sous-marins équipés d’un réacteur nucléaire qui ne bénéficient pas de la dénomination anaérobie malgré leur capacité à se propulser indépendamment d’approvisionnement en oxygène, de nombreux procédés anaérobies sont en développement dans le monde.
Le sous-marin de configuration classique comporte un moteur diesel, un moteur électrique et générateur de charge et des batteries d’accumulateurs. Afin de prolonger la durée en immersion profonde et donc d’augmenter l’autonomie du sous-marin ou encore de faire profiter celui-ci en phase d’engagement d’un apport ponctuel d’énergie, les systèmes de propulsion anaérobie s’imposent comme essentiels à l’indépendance opérationnelle des sous-marins.
Un des procédés précurseurs a été développé en Allemagne entre 1936 et 1945. Malgré une autonomie très réduite, le procédé Walter a permis d’obtenir des vitesses de propulsion élevées en plongée. Le concept utilisait comme oxydant du peroxyde d’hydrogène soumis à une décomposition. Par adjonction de gazole léger, un mélange très énergétique de vapeur d’eau/dioxyde de carbone entraînait une turbine. Ce procédé a fait l’objet de développements très poussés après la guerre aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais son rendement reste faible.
Le moteur Stirling, procédé le plus avancé et mené par la Suède, utilise la chaleur dégagée par la combustion de gazole et d’oxygène liquide. Conformément au principe de Carnot, l’action coordonnée d’un piston de travail et d’un refouleur dépend pour l’essentiel de la qualité des sources chaude et froide. La marine australienne pourrait bien adopter ce système de propulsion, déjà éprouvé.
À partir des mêmes éléments que le moteur Stirling, la turbine à gaz utilise du dioxyde de carbone comme gaz de travail. Malgré sa fiabilité, la maîtrise des gaz de combustion pose un problème à bord du sous-marin en plongée profonde, pour lequel la bruyante évacuation de ces gaz demande une forte pression coûteuse en énergie.
Le moteur diesel à circuit fermé est peu innovant. Le fluide de travail est enrichi d’un gaz qui offre un indice adiabatique élevé pour favoriser les rendements thermiques. Apparu dans les années 30, ce procédé peut être utilisé soit en circuit ouvert lors d’une marche au schnorchel, soit en circuit fermé lorsque le sous-marin est en plongée. Le comburant est alors de l’oxygène liquide. Les solutions proposées par les différents constructeurs (Allemagne, Italie et Pays-Bas) se distinguent essentiellement par le mode d’évacuation des gaz de combustion.
Polluant mais original, le moteur à argon en circuit fermé a été étudié en Allemagne depuis 1983. Utilisant lui aussi du gazole et de l’oxygène liquide, il se distingue des moteurs Walter, Stirling et turbine à gaz par l’utilisation d’argon en guise de fluide de recirculation. Le procédé d’épuration des gaz brûlés se fait grâce au lavage du dioxyde de carbone dans une lessive de potasse qui a l’inconvénient d’être volumineuse.
La pile à combustible existe depuis plus d’un siècle. Ce sont des convertisseurs d’énergie électrochimique selon le principe de la combustion froide et à rendement élevé. La pile à combustible est souvent considérée comme la solution optimale en ce qui concerne la propulsion anaérobie de sous-marins. Une réaction électrolytique transforme directement en énergie électrique les réactifs hydrogène et oxygène, le produit de la réaction étant de l’eau. Par rapport aux moteurs thermiques, les rendements énergétiques sont très élevés : de l’ordre de 60 à 70 %, ils sont particulièrement atteints dans le domaine des charges partielles. Le produit de la réaction est de l’eau pure, directement utilisable pour les besoins du bord, ce qui permet d’économiser l’énergie nécessaire au dessalement de l’eau de mer et améliore donc le rendement énergétique global. Afin de maintenir le poids du sous-marin, les produits de réaction sont stockés à bord, ce qui augmente la discrétion du sous-marin.
Le procédé Mesma est le seul système français. Il est basé sur la combustion d’éthanol avec de l’oxygène stocké à l’état liquide. Une boucle primaire permet à l’énergie directement issue de la combustion d’être transmise à une boucle secondaire qui suit un cycle de Rankine utilisant une turbine à vapeur. La combustion se fait sous une pression de 60 bars et la température atteint 700 °C. Grâce à la forte pression, les gaz sont évacués directement à l’extérieur du sous-marin.
Des systèmes hybrides « anaérobie–autre type d’énergie » sont envisageables si la propulsion anaérobie est considérée comme appoint d’énergie supplémentaire au cours d’un engagement (ou dérobement) ponctuel. Son utilisation est alors couplée en parallèle avec la batterie d’accumulateurs du sous-marin ; elle lui permet de profiter d’une source importante bien que ponctuelle d’énergie. Un système de propulsion anaérobie peut aussi être installé sur un sous-marin à propulsion nucléaire comme appoint d’énergie dans le même cas d’engagement (ou de dérobement).
La propulsion anaérobie intégrale n’est, pour sa part, pas viable du fait de la forte consommation de combustible. La propulsion anaérobie ne peut donc être considérée, à l’heure actuelle, que comme un complément d’énergie aux batteries du bord, elles-mêmes rechargées par le moteur diesel classique lors des phases de navigation au schnorchel ou en surface.
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Les trois principaux pays intéressés par la recherche en propulsion anaérobie (l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis) ont tout d’abord été des pionniers dans l’expérimentation du procédé Walter, maintenant dépassé. Ces pays, à fort potentiel de recherche scientifique et technologique, ont principalement fait évoluer leur recherche vers le système qui assure le meilleur rendement : la pile à combustible. Celui-ci est d’ailleurs le plus silencieux et possède encore un potentiel d’amélioration important. Sans affirmer que ce type de propulsion anaérobie ait quelque chance de s’imposer, il est nécessaire de suivre ses développements. Il faut en revanche garder à l’esprit que l’utilisation des piles à combustible reste délicate et leur encombrement limite leur installation aux grands sous-marins.
D’autres études très poussées sont par ailleurs menées par d’autres pays à haute technologie tels que la Suède et la France, mais sont diversement avancées. Les procédés très différents qu’ils représentent annoncent des performances appréciables. Le diesel à circuit fermé, développé en Allemagne ou en Italie, reste le moins onéreux. Peu innovant mais peu discret, il représente le « bas de gamme » des systèmes de propulsion anaérobie pour sous-marins. ♦