Aéronautique - Le vol à voile : un remarquable moyen de formation
Le terme « vol à voile », composé, croit-on, par les fauconniers du Moyen-Âge, est une très ancienne expression qui indique la navigation particulière de certains oiseaux dont le vol, les ailes presque immobiles, se poursuit grâce au vent. Le Larousse du XXe siècle précise que « si l’oiseau tout en paraissant planer, peut s’élever ou conserver sa hauteur, l’aviation n’a, jusqu’à présent, pas réussi à imiter le vol à voile ».
Pourtant, le vol à voile est une des plus anciennes disciplines aéronautiques. En avril 1506, Léonard de Vinci met la dernière main à ses premiers manuscrits connus sur « le vol montant sans battements d’ailes ». Le 12 septembre 1865, M. Mouillard essaye de faire voler un engin planant à Alger. Plus connu, bien qu’étant le second après Montgomery en 1884, Lilienthal à Berlin en août 1893 vole en planeur, et le général Vuillemot, en 1974, relie pour la première fois Vinon à Solenzara, grande première d’une traversée maritime dépassant largement celle de la Manche ou de Gibraltar.
En 1923, au concours de vol à voile de Biskra le commandant Brocard, glorieux chef de l’Escadrille des Cigognes pendant la guerre 1914-1918, alors commissaire général de l’Aéro-Club de France déclarait : « Le vol à voile est une science nécessaire à tous les aviateurs et applicable à toute l’aviation ; ce n’est pas seulement une école d’apprentissage mais un constant perfectionnement pour les aviateurs, car il enseigne l’atmosphère ».
Nous sommes toujours, 72 ans plus tard, en complet accord avec le général Brocard, dont voici encore les excellentes paroles de bon sens : « Il est évident que le fait d’emmener en doubles commandes des élèves pilotes sur des courants ascendants pendant de longues heures leur donne l’habitude de l’air et leur apprend à voler. Je crois donc le procédé susceptible de rendre de grands services, aussi bien par l’économie réalisée que par l’expérience acquise, dès les premiers vols ».
Il est à noter que c’est dans l’Allemagne désarmée après le Traité de Versailles que les conseils du commandant Brocard ont été suivis : soucieuse de former les futurs pilotes militaires, l’Allemagne de l’entre-deux-guerres misa sur le vol à voile. C’est ainsi que de 1926, avec Regel, jusqu’au 11 octobre 1949, avec le vol de Klockner à 11 600 mètres au-dessus de Salzbourg, l’histoire du vol à voile est marquée par la dynamique allemande.
Curieusement la France militaire n’a pas eu la même approche jusqu’à un passé récent. Si l’Armée de l’air encourage l’ensemble de ses personnels à pratiquer le vol à voile, c’est parce que ce sport contribue au développement des qualités de maîtrise de soi, d’esprit de décision et d’initiative, car le déroulement d’un vol en planeur consiste bien souvent à composer avec des éléments changeants. Un exemple parmi beaucoup comme celui du poser en campagne ou « vache » suffit à illustrer les conséquences d’une décision ou d’une aérologie malheureuse !
De plus, ce sport étant accessible à tous, il renforce la cohésion entre les personnels de tous grades et de toutes spécialités. Enfin, il permet de nouer des liens entre l’Armée de l’air et les aéro-clubs, véritables viviers des futurs pilotes militaires, par la structure même des sections air de vol à voile. Cependant, nulle utilisation du vol à voile n’avait été envisagée dans le programme de formation obligatoire de l’École de l’air.
Une optimisation de la formation aéronautique de base
Avant les opérations, la formation.
De tout temps, celle-ci a été une préoccupation majeure pour l’État-major de l’Armée de l’air. C’est en effet une question d’efficacité opérationnelle, avec la caractéristique qu’elle touche à la fois au moyen, long et très long terme. Or une école militaire n’est pas une école comme les autres ; l’enseignant, qui est souvent un officier, doit, par son expérience et son exemple, faire partager aux élèves les vertus militaires que sont le courage, l’esprit de discipline, et en particulier dans l’armée de l’air marier ces vertus et les techniques aéronautiques.
Ainsi l’évolution rapide des matériels aériens conduit le Commandement des Écoles de l’Armée de l’air (CEAA) à adapter sans relâche les formations dispensées aux besoins des forces dans un contexte budgétaire très strict. La recherche de cette optimisation aboutit à une adaptation des formations scientifiques et techniques, mais aussi à une recherche constante d’améliorations concernant la formation aéronautique de base. L’introduction dès la rentrée 1995 du vol à voile dans le programme général des études à l’École de l’air, choisie comme école-pilote, répond à cette attente.
En effet, outre la communauté entre les qualités propres à tout vélivole et les critères de formation de nos écoles, d’autres éléments militent pour l’insertion de cette activité dans le programme d’instruction. D’une part, le rapport coût-efficacité d’une telle démarche est particulièrement intéressant : en effet les structures existent, les élèves y ont accès pendant leurs loisirs et l’instauration du vol à voile dans l’instruction n’entraîne aucun surcoût notable. D’autre part, la pratique d’une activité aéronautique par l’ensemble des élèves officiers quel que soit leur corps d’appartenance constitue un ciment qu’il devient nécessaire de renforcer à l’heure où la spécialisation dissocie les emplois du temps et favorise les individualismes.
Enfin, et s’agissant plus particulièrement des élèves pilotes, le vol à voile permettra de leur donner, en « avant-première » de leur formation sur avion à moteur, le sens de l’air propre aux vélivoles, et il permettra également d’assurer aux élèves qui n’ont jamais volé une première expérience gage d’équité dans leur sélection en vol à venir.
Une activité particulièrement bénéfique
Ainsi une nouvelle conception de l’activité aérienne, orchestrée par le CEAA, permet aux futurs officiers de l’Armée de l’air de pratiquer le vol à voile dès leur arrivée à Salon selon le schéma suivant : en 1re année, l’ensemble des élèves suivent une progression vélivole ; en 2e année, les élèves pilotes suivent une progression exclusivement consacrée au vol moteur sur Epsilon, ceux des autres corps poursuivant leur progression en planeur.
Dans la conclusion de son Histoire du vol à voile, Éric Nessler, avec l’enthousiasme et la clairvoyance des années 1950, écrit : « Le vol voilier est la plus belle conquête aérienne des hommes, car il les rend meilleurs, si ce n’est plus modestes, en les captivant par les révélations des beautés grandioses des manifestations aériennes. Il les affine par l’harmonie du vol adapté aux phénomènes de la nature ».
Connaissant par essence ces richesses, l’Armée de l’air sait que rien ne se bâtit dans le milieu aéronautique militaire sans un savant dosage de hiérarchie, de confiance en l’homme, de discipline et d’amour du vol. Le petit milieu de passionnés que constituent les vélivoles de l’Armée de l’air possède cette alchimie, où l’enthousiasme et la ferveur donnent quotidiennement un exemple qui vaut tous les enseignements. Le contact de l’élève officier à ce milieu permet d’apporter au plus tôt l’essentiel de ce que tout au long de sa carrière un officier doit garder vivant : l’amour du vol et la foi en sa mission. ♦