Aéronautique - Vingt Rafale par an : un minimum
La guerre du Golfe a confirmé l’importance de l’arme aérienne dans la stratégie moderne. Elle est irremplaçable pour assurer la protection du déploiement des forces terrestres et maritimes à proximité de la zone de conflit. Elle est indispensable pour réduire la puissance des forces adverses grâce à sa puissance de feu, la précision de ses tirs et sa capacité d’attaque dans la profondeur. Elle est le moyen unique nécessaire pour préparer l’action des forces de mêlée par voie de terre et de mer dans des conditions de pertes humaines acceptables par le monde médiatisé qui nous entoure.
De toute évidence, la France a besoin de conserver une force aérienne crédible adaptée aux hypothèses d’emploi nouvelles. Le Livre blanc fixait le niveau à environ 400 avions de combat.
L’Armée de l’air confrontée, de façon immédiate, au problème du renouvellement de sa flotte d’avions de combat, constate que la cadence de livraison prévue pour le Rafale est tout à fait insuffisante pour atteindre, à terme, le format d’environ 400 appareils.
De nombreux sénateurs et députés se sont inquiétés de cette inadéquation entre l’importance du besoin et la politique d’équipement entreprise. Répondant à leurs craintes, M. François Léotard, alors ministre d’État, ministre de la Défense, déclarait au Sénat à l’occasion de la discussion sur la loi de programmation : « Il nous faudra probablement envisager, à partir de l’an 2000, mais nous commencerons à tirer quelques perspectives en 1997, de prolonger la montée en cadence du Rafale air pour la porter à 20 avions par an ». Cette cadence de 20 avions s’impose aujourd’hui comme un minimum.
L’expression du besoin : le Livre blanc
Conformément aux nouvelles orientations définies dans le Livre blanc, le format de l’Armée de l’air pour les quinze ans à venir doit permettre à la fois la tenue de la posture permanente de sûreté, la projection des forces, la formation et l’entraînement des équipages. Appelées à intervenir en tout lieu et à tout instant partout dans le monde, ces forces devront être organisées pour réagir dans les délais les plus brefs. Il convient donc de modéliser les forces aériennes de combat en groupes caractérisés par des postures de réaction différenciées : le groupe des forces d’intervention immédiate, le groupe des forces d’intervention rapide, le groupe des forces d’intervention à temps, le groupe des forces d’intervention différée.
Les deux premiers groupes, forces d’intervention immédiate et forces d’intervention rapide, rassemblent les avions de combat et les équipages disponibles l’un en 72 heures, l’autre dans un délai d’une semaine pour remplir les missions de projection des forces et de tenue de la posture permanente de sûreté. Le niveau d’alerte et la répartition des moyens de combat dans ces groupes sont déterminés par la situation stratégique du moment.
Pour la seule projection de puissance, le Livre blanc prévoit de projeter 6 escadrons associés à un groupe aéronaval, soit l’équivalent de 120 avions de combat que l’Armée de l’air doit être capable d’engager à tout moment et en tout lieu pour faire face à des situations de crise inopinée. Il convient d’ajouter une quarantaine d’avions de combat destinés à la tenue de la posture permanente de sûreté : les avions nucléaires stratégiques (Mirage IV et Mirage 2000 N) et les avions de défense aérienne. Au total, ce sont environ 160 avions de combat que l’Armée de l’air doit maintenir en permanence au niveau de préparation maximal afin de protéger les intérêts vitaux de la France dans le monde.
Pour assurer la permanence de ces missions, il convient d’entretenir un troisième groupe de forces de dimensions équivalentes. Répondant à des délais de réaction plus longs, ce groupe de forces d’intervention à temps permet d’une part l’entretien courant des avions des deux premiers groupes sans discontinuité des missions confiées à l’Armée de l’air, d’autre part le renforcement et le renouvellement des forces projetées.
La durée et la nature des crises, imprévisibles par définition, imposent de prévoir le renouvellement et le renforcement des forces engagées soit à concurrence de 9 escadrons projetés conformément aux objectifs du Livre blanc, soit en remplacement du groupe aéronaval chaque fois que le théâtre d’opérations sera hors de portée du porte-avions, soit en renfort des forces de posture permanente dans le cas d’une menace inopinée contre le territoire national.
Pratiquement, les escadrons projetés ou soumis à la permanence de la position de sûreté sont contraints, pour chaque avion engagé, de préparer un autre avion, c’est-à-dire de l’équiper des systèmes disposant d’un potentiel maximal avant visite et de restaurer sa capacité opérationnelle en l’armant de tous les optionnels disponibles.
Le quatrième et dernier groupe rassemble les avions de combat nécessaires à la transformation et la formation des pilotes sur avion d’armes. Ces avions de combat biplaces et monoplaces permettent la transformation initiale des jeunes pilotes au sein d’escadrons de transformation et la formation des pilotes en escadron à l’utilisation du système d’arme et à l’apprentissage des tactiques de combat. Il est donc nécessaire de disposer d’une centaine d’avions de combat destinés à entretenir un flux constant de formation, sans contraintes dues aux opérations qui accapareraient les appareils, les équipements et les pilotes les plus qualifiés.
Compte tenu des objectifs définis dans le Livre blanc, le format de l’aviation de combat pour les quinze années à venir est d’environ 400 avions répartis dans une vingtaine d’escadrons. Il correspond à une diminution supplémentaire de 20 appareils par rapport au format de transition actuel.
Les règles de gestion d'une flotte
Ces 400 avions représentent la part active du parc d’avions de combat de l’Armée de l’air.
En effet, il n’est pas possible, pour des raisons techniques, de mettre en ligne de vol tous les avions d’un même type au risque de perturber l’activité des unités de combat qui ont besoin d’un niveau d’équipement constant pour réaliser les missions opérationnelles et l’entraînement des équipages. Pour tenir compte de ces difficultés, une flotte d’avions de combat est composée d’une ligne, d’un parc de gestion et d’un parc d’attrition.
La ligne est définie par la politique de défense. Elle représente le nombre d’avions de combat dont l’Armée de l’air a besoin pour assurer les missions qui lui sont confiées et l’entraînement de ses équipages. Tous ces avions sont confiés aux escadrons de combat qui les utilisent et les maintiennent au niveau de préparation prescrit.
Le parc de gestion comprend les avions immobilisés en révision (en « grande visite » chez l’industriel) et ceux mis à la disposition des essais. Au début de la vie d’un avion, une part importante de ce parc est consacrée aux essais, à la vérification des performances de l’avion et de son système d’arme, puis à la validation des modifications et aux essais des équipements nouveaux. Ce parc permet aussi l’entretien régulier des avions sans hypothéquer la capacité opérationnelle et l’entraînement des escadrons de chasse, de bombardement et de reconnaissance.
Le parc d’attrition est destiné à compenser les pertes par accident et d’assurer ainsi la ligne et le parc de gestion jusqu’au retrait de service. L’étude des pertes par accident permet de définir l’attrition par type d’appareil, c’est-à-dire le nombre d’avions accidentés par tranche de 10 000 heures de vol et d’évaluer son influence sur l’évolution de la flotte.
Enfin, le retrait du service est prononcé dès que l’avion atteint la limite de vie cellule. Cette dernière se chiffre en années à raison d’une activité aérienne moyenne de 250 heures de vol par an.
Cette limite est de vingt ans étendue à vingt-cinq ans pour les avions actuels ; elle sera de trente ans pour le Rafale.
La règle d’or d’une bonne gestion est de faire coïncider le nombre des commandes d’avions neufs avec les retraits dus à l’attrition et au vieillissement. Ce nombre de commandes doit être maintenu, sans discontinuité, à un niveau suffisant pour entretenir la flotte à celui prescrit par la politique de défense.
L’effort à entreprendre
Le principal problème auquel est confrontée aujourd’hui l’Armée de l’air est le vieillissement de la flotte. Dans sa composition actuelle, le parc comprend une part importante d’avions qui atteindront prochainement la limite de vie cellule. Ce vieillissement relatif est accentué par une politique sévère d’économie en ce qui concerne les commandes d’avions neufs depuis 1992.
L’Armée de l’air met en ligne, à ce jour, 420 avions de combat. Cette flotte équipe 6 escadrons de défense aérienne, 3 escadrons nucléaires préstratégiques, 9 escadrons d’assaut conventionnel, 2 escadrons de reconnaissance et 3 escadrons de transformation. Elle se caractérise par une grande variété des vecteurs et peut se répartir en trois groupes.
Le premier se compose d’avions anciens mis en service au milieu des années 70 : le Jaguar et le F1C. Ils représentent aujourd’hui le tiers de la ligne et seront retirés avant 2004. Les systèmes d’armes de ces chasseurs ont des performances limitées.
Les avions du second groupe ont profité des premières applications de l’électronique et de l’informatique, mais restent des avions de transition du point de vue technologique. Le FICR et le FICT ont gardé la cellule et les commandes de vol du F1C, mais leur système de navigation et d’armement est la première application d’une plate-forme inertielle qui confère à l’avion une autonomie de navigation et une grande précision du système d’arme. Le dernier avion du deuxième groupe quittera le service en 2012.
Le troisième groupe est composé des avions les plus modernes. Ils offrent des possibilités opérationnelles nouvelles. Le 2000 C RDI dispose d’un domaine d’action élargi grâce à sa capacité de tir vers le bas. Le Mirage 2000 N a introduit la pénétration tout temps à très basse altitude. Le Mirage 2000 D ajoute la capacité d’attaque de précision de nuit. Ces avions représenteront au côté du Rafale l’essentiel de notre flotte de combat jusqu’en 2020. Leur remplacement n’est pas encore prévu.
Cette description montre le déséquilibre qui existe entre le nombre des avions anciens et celui des avions neufs. 260 avions seront retirés du service avant 2012 : ils représentent 54 % de la flotte actuelle.
Alors que l’Armée de l’air commandait une trentaine d’avions par an, ce vieillissement a été accentué par l’arrêt brutal des commandes. Depuis 1992, 3 Rafale seulement ont été commandés. Aujourd’hui, 46 % des avions ont moins de dix ans de service. Cette proportion sera de 25 % seulement en l’an 2000.
Dans ces conditions limites, la loi de programmation militaire 1995-2000 prévoit de commander seulement un Rafale en 1995, 2 en 1996, 10 en 1997, puis de continuer à un rythme de 16 avions par an à partir de 1998. Cette cadence conduit à l’étalement des livraisons des 234 Rafale prévus au-delà de 2014 et ne compense pas le retrait de service des avions anciens. La flotte se réduira dans ces conditions à une ligne de 320 avions de combat entre 2007 et 2010, remontera le temps d’une année à 350, puis déclinera de nouveau au rythme du retrait des premiers 2000 RDI. C’est dire les conséquences à long terme des décisions prises ces dernières années.
Le niveau idéal de commandes est déterminé en fonction des critères de durée de vie, de vieillissement et d’attrition. Hier, conformément à ces règles, l’Armée de l’air entretenait sa flotte de 450 avions de combat à raison de 33 commandes par an. Une flotte de 400 avions s’entretient aujourd’hui à raison de 20 commandes annuelles.
Si l’Armée de l’air a accepté un taux de commande quasi nul pendant quatre ans, entraînant de facto la réduction importante de son format, il paraît indispensable de revenir à un niveau de commandes de 20 Rafale par an dès 1997 dans la prochaine révision de la loi de programmation, sinon elle ne sera plus en mesure d’assurer l’étendue de ses missions avec ses seuls moyens. La question qui devrait se poser alors est de savoir s’il est raisonnable de conserver un parc de Rafale partagé entre l’Armée de l’air et l’aéronavale et si une gestion lucide rationnelle ne plaiderait pas pour la prise en compte globale de ces avions par l’Armée de l’air.
Conclusion
La démonstration qui précède a été menée à partir du seul critère de l’âge des cellules. Il ne tient pas compte du paramètre opérationnel qui, à lui seul, imposerait une cadence encore supérieure pour adapter notre flotte de combat aux menaces nouvelles ; mais la réalité budgétaire ne permet pas de retenir ce critère.
Le vieillissement du parc est un paramètre inévitable. Il conduira à terme à une réduction des capacités opérationnelles des forces aériennes, à moins de reconsidérer la politique d’équipement de l’Armée de l’air. La prochaine révision de la loi de programmation militaire doit permettre de revenir à un rythme de 20 commandes par an pour assurer un nombre d’environ 400 avions de combat en ligne. C’est à ce prix que l’Armée de l’air conservera ses capacités de tenue de la posture permanente de sûreté, de projection de puissance, de formation et d’entraînement de ses équipages. ♦