Veille scientifique et technologique - Le syndrome du Golfe : quelles hypothèses ?
Vomissements, nausées, crampes, eczéma, troubles respiratoires, perte de mémoire et troubles du langage : tels ont été les symptômes présentés par un grand nombre de militaires de retour dans leur pays après la guerre du Golfe.
Ces faits, largement médiatisés, ont alimenté un violent débat juridique et médical : le « syndrome du Golfe » est-il une réalité ou une vue de l’esprit, et dans la première éventualité, qui est responsable de son apparition ? Il faut reconnaître que ce débat, qui n’est pas sans rappeler celui qui fut attaché voici une dizaine d’années à la santé des vétérans américains revenant du Vietnam, est demeuré infructueux, mais aura permis l’analyse détaillée d’un certain nombre de théories concernant l’étiologie des troubles. La symptomatologie, décrite principalement par les Américains (environ 80 000 cas), dans une moindre mesure par les Britanniques (environ 500 cas), est trop diversifiée pour avoir une origine unique, et plusieurs séries d’hypothèses ont été avancées.
Utilisation d’armes chimiques ou biologiques par les Irakiens
L’Irak est doté d’un arsenal chimique et biologique, mais la preuve de l’emploi de ces armes dans ce conflit n’a jamais pu être formellement établie.
De plus, le retard avec lequel les symptômes sont apparus cadre mal avec l’utilisation volontaire d’un toxique de guerre, quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient (neurotoxique, suffocant, poison sanguin…). L’emploi d’une arme dite « biologique » n’est pas plus plausible, les troubles décrits n’évoquant que de loin une pathologie infectieuse. Reste le contact prolongé avec de faibles quantités de toxiques, libérées lors de la destruction de certains sites de production : dans ce cas, une pathologie multisymp-tomatique d’apparition retardée est envisageable.
Effets secondaires de vaccinations ou traitements préventifs contre ces armes
Il est à présent de notoriété publique que les militaires, notamment américains, avaient reçu à leur départ un véritable « cocktail » de vaccins et médicaments préventifs ; et si l’administration d’un vaccin n’est susceptible d’entraîner des troubles physiologiques que dans un délai assez bref (quelques jours à quelques semaines), il en va différemment des antidotes utilisables à titre préventif face à l’éventualité d’attaques « chimiques ». Parmi ces derniers, le bromure de pyridostigmine, destiné à renforcer l’action des antidotes contre les neurotoxiques, occupe une place particulière. Les Américains, redoutant en effet par-dessus tout une offensive faisant intervenir des gaz de ce type, en avaient administré larga manu à leurs troupes.
Deux mots de neurochimie seront utiles à la compréhension de ce geste qui, de toute évidence, constitue un « excès » voire une « erreur » thérapeutique : les neurotoxiques de la famille des organo-phosphorés agissent en inhibant de façon irrévocable l’action de l’acétyl-cholinestérase, entraînant ipso facto l’accumulation de l’acétylcholine au niveau des synapses. En d’autres termes, plus rien ne contrôle le passage de l’influx nerveux, et l’organisme intoxiqué est rapidement soumis à des « ordres » aussi divers qu’anarchiques, entraînant une mort rapide et spectaculaire (diarrhées, vomissements, crampes musculaires, arrêt respiratoire…). Un traitement préventif reste possible, selon trois modes d’action : prévention des effets de l’accumulation de l’acétylcholine (atropine) ; protection de l’acétylcholi-nestérase vis-à-vis des organophosphorés (oximes) ; inhibition réversible de l’action de l’acétylcholine (pyridostigmine).
Le choix des armées américaines s’était porté sur le bromure de pyridostigmine, en raison de son utilisation bien connue dans des maladies de la fonction neuro-musculaire (myopathies par exemple). Or, si la pyridostigmine, contrairement à l’atropine, n’affecte pas les performances intellectuelles des combattants, et ne les affaiblit pas – du moins directement –, son usage prolongé entraîne une série de troubles, digestifs, cardiaques et respiratoires, qui ne sont pas sans rappeler les composantes du « syndrome du Golfe ». Compte tenu de l’usage excessif qui en fut fait, l’hypothèse d’une intoxication à la pyridostigmine est de loin la plus crédible.
Stress et facteurs liés à l’environnement
Le « syndrome de fatigue chronique » actuellement étudié outre-Atlantique recouvre un ensemble de symptômes rappelant exactement ceux qui furent observés sur les combattants de retour dans leur pays. Or, si son origine infectieuse n’a jamais pu être clairement démontrée (origine multifactorielle, rétrovirus ?), il est certain qu’un stress intense et prolongé peut aboutir à des résultats similaires sur l’organisme. Dans ce cas, l’ensemble des symptômes régresse de façon spontanée, phénomène souvent observé.
Par ailleurs, les effets néfastes de facteurs liés à l’environnement (chaleur, sécheresse, etc.) auraient pu, selon certains observateurs américains et britanniques, se trouver amplifiés par les incendies des puits de pétrole koweïtiens.
Usage prolongé de pesticides et antiparasitaires
La phobie des « petites bêtes » a certes amené les militaires américains à utiliser de façon excessive les pesticides, dont leurs treillis furent généreusement aspergés. À la différence des Britanniques, qui n’utilisèrent que des produits relativement bénins et dénués d’effets sur les animaux à sang chaud (pyréthrinoïdes), les Américains firent un large usage d’insecticides organophosphorés, dont l’action sur l’organisme rappelle sensiblement (à une certaine échelle) celle des neurotoxiques. Leur pénétration par voie percutanée étant à présent une chose bien établie, on imagine aisément les conséquences du port des vêtements imprégnés de ces produits.
Quelles conclusions ?
À vrai dire, il n’y en a aucune !
En France, où les choses se sont déroulées de façon bien plus confidentielle qu’en Angleterre et aux États-Unis, aucun cas n’aurait été observé.
En Angleterre, après avoir enquêté sur une vingtaine de cas, les autorités militaires ont déclaré que « rien ne permet de confirmer que des troubles de santé particuliers affectent spécifiquement les personnes ayant servi lors de la guerre du Golfe ». Au total, le ministère de la Défense a reçu 341 plaintes de vétérans, actuellement à la recherche d’une assistance judiciaire afin d’avoir accès à leur dossier médical.
Aux États-Unis, les événements ont pris une tout autre ampleur. Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que les vétérans américains cherchent (du moins les réservistes) un moyen de bénéficier de soins médicaux gratuits, dans un pays qui ne les dispense pas habituellement, ainsi qu’une importante indemnisation. Tous les moyens ont été bons, comme tenter d’obtenir réparation de la part d’industriels soupçonnés d’avoir vendu à l’Irak des produits chimiques entrant dans la composition d’armes utilisées, selon les vétérans, par les troupes de Saddam Hussein. Les plaignants ont récemment réclamé plus d’un milliard de dollars de dommages et intérêts à ces firmes, notamment à la filiale américaine de la société Rhône-Poulenc.
Le débat reste ouvert, mais on peut d’ores et déjà supposer que l’origine de ce syndrome restera mystérieuse, et qu’une corrélation ne pourra jamais être fermement établie entre l’apparition de symptômes aussi divers et des événements liés à la guerre du Golfe. ♦